Cookin’ With the Miles Davis Quintet par Claire Magenta

Un leader charismatique, une formation légendaire, un disque qui ouvre une quadrilogie historique : Cookin' du Miles Davis quintet.


Détail amusant, tout du moins révélateur et intéressant, quand Miles Davis signa pour l’un des plus gros labels US de l’époque à savoir la Columbia Records au milieu des 50’s, ce dernier devait par obligation pas moins de quatre albums à la maison de disque Prestige. En attendant de recevoir les émoluments de Columbia (costume ultra chic, voiture de luxe italienne et tutti quanti), notre Prince of Darkness s’attèle à enregistrer de suite quatre disques. Anecdote qui rappelle les mésaventures du Clash de Joe Strummer. Pour rappel, l’histoire voudrait (gardons le conditionnel, nous ne voudrions pas recevoir l’opprobre de la part d’un gardien du Temple punk) que le Clash ait enregistré le gargantuesque (et indigeste ?) triple album Sandinista ! en espérant pouvoir se dégager du contrat qui les rattachait à l’époque à CBS. Mais l'histoire aura retenu qu'un triple album ne vaut pas trois albums, ils leur restaient dès lors encore deux albums à produire. Fin de l'aparté.


Ce qui sur le papier aurait pu passer pour une gageure ou pire un projet rimant avec dilettantisme, va au final devenir l’un des actes fondateurs d’une des plus belles et influentes formations jazz de l’histoire. Miles Davis après avoir été l’instigateur du cool jazz, du hard bop, trouve enfin la formule magique, à savoir une formation stable, quatre musiciens exceptionnels (John Coltrane au saxophone, Red Garland au piano, Paul Chambers à la contrebasse et Philly Joe Jones à la batterie), un quintet dont la cohésion étonne encore cinquante ans après. Un quintet si marquant que ce dernier fut considérer comme LE premier quintet de Miles Davis (en attendant LE second quintet de Miles dans les 60’s avec la jeune garde Tony Williams, Herbie Hancock et consorts), faisant fi des anciennes formations du trompettiste.


Parallèlement aux sessions d’enregistrement pour Columbia qui donneront le classique ‘Round About Midnight, Miles et son quintet graveront en deux séances marathons (comme il est usage de les définir) le 11 mai et le 26 octobre 1956 suffisamment de « matériels » pour quatre albums : Cookin’, Relaxin’, Steamin’ et Workin’. Quatre LP qui furent enregistrés dans les conditions du live, où divers standards croisent des compositions écrites par des actuels ou passés sidemen de Miles.


Cookin’ ouvre ainsi donc le bal en étant le premier à paraître (à noter que cet album n’est pas le premier gravé par ce quintet mais le second, le premier étant The New Miles Davis Quintet). Au menu, Miles et son quintet nous proposent en hors d’œuvre la relecture du standard d’Hart et Rodgers, My Funny Valentine, repris quelques années plus tôt par Chet Baker en 1952. De prime abord, si l’envie grotesque vous poussait à vouloir comparer ces deux versions, hormis le fait que celle de Chet était chantée, il convient avant tout de souligner que les reprises de ces deux messieurs sont différentes et difficilement comparables. Leur approche musicale est diamétralement opposée, Miles Davis reprenant ce standard sous l’angle du hard bop, où le dialogue trompette/piano tient une place primordiale. Blues by Five contrairement au titre précédent permet de mettre en lumière la dualité entre Miles Davis et son nouveau souffleur John Coltrane (ce dernier ne jouant pas sur My Funny Valentine). Autre point important à signaler de nouveau, la session fut enregistrée dans les conditions du direct, ne manque en effet que le public (rien ne vous interdit de ne pas applaudir entre deux solos). La chaleur se dégageant de ce disque ne trahit aucunement l’ambiance embrumée d’un club de jazz. Quant à la cohésion des membres, elle est parfaite. Airegin (anagramme de Nigeria) met en exergue la fougue du jeune Coltrane, confirmant le potentiel entre aperçu précédemment. Composé à l’origine par l’ancien souffleur de Miles, Sonny Rollins, Airegin prend la forme d'une évidente « passation de pouvoir ». Cookin’ se clôt par l’un des classiques du swing, la suite Tune Up/When Lights Are Low, avec mention particulière pour les duos Davis/Coltrane et Davis/Garland.


Au final, un album important dans l’histoire du jazz tant par la qualité des improvisations que par la présence de ce All Star band.


http://www.therockyhorrorcriticshow.com/2008/10/miles-le-cuistot.html

Claire-Magenta
9
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le 10 mars 2014

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Claire Magenta

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