Noir Désir, chapitre 5 : « Des visages, des figures »

Le 11 septembre 2001 est une date que beaucoup de gens ont encore en tête et qui n’est pas prête de disparaître de l’histoire… En effet, cette date correspond à la parution du dernier album de Noir Désir : « Des visages des figures ». Cet album est également le plus original, le plus sophistiqué, et le plus riche musicalement parlant de tout leur répertoire…il est aussi un album peu facile d’accès pour certaines personnes et particulièrement ceux qui ne jurent que par « Tostaky » ou pensent que Noir Désir ça n’est que du rock lourd et rugueux et puis c’est tout! Si vous avez suivi mon avis sur les albums précédents vous devez vous douter de mon appréciation globale du présent disque…si la première écoute ne fut pas forcément la plus concluante à l’époque où je l’ai écouté la première fois je peux affirmer le placer sans le moindre complexe parmi mes albums préférés tout artiste/genre confondu. C’est également LE chef d’oeuvre de Noir Désir bien que certains rageux/intégristes n’apprécient guère de lire une chronique assumant avec aplomb cette préférence.


Pourquoi ce disque suinte la perfection à chaque seconde? Tout d’abord parce que musicalement parlant le groupe a totalement su transcender les limites imposées par le rock et le hard rock : il est bien au-delà quelque part entre rock, musique atmosphérique, poésie surréaliste (certains textes ne signifient pas grand chose mais possèdent une musicalité très agréable à l’oreille), musique symphonique et expérimentale…bref c’est un ovni musical très difficile à décrire dans sa globalité tant il s’essaye à tout. Evidemment, il est impossible de ne pas parler non plus de l’immense succès commercial rencontré grâce au tube archi-culte : « Le vent nous portera » chanson la plus connue du groupe encore aujourd’hui et moment de grâce instantanée faisant mouche à chaque pression du bouton grâce auquel la mixture sonore vous arrive dans les oreilles. Paroles mystérieuses et sinistres (« Ton message à la grande ourse et la trajectoire de la course, un instantané de velours même s’il ne sert à rien…Le vent nous portera » mais quelle classe nom de…Cantat!), rythme légèrement sautillant sur une guitare sèche entrant en contraste avec une batterie calme, parties de clarinette basse, chant posé mais habité…voilà le tube parfait!


Même si « Le vent nous portera » est effectivement un sommet dans la carrière du groupe et un sommet du disque le réduire à ce morceau serait totalement absurde…car des moments de grâce il y en a par paquet de douze ici! Tout d’abord en ouverture « L’enfant roi » où le groupe surprend tout le monde avec des accords de guitare sèche très simples qui rythment le tout sans la moindre percussion, un chant très doux et apaisé, et de discrets synthés amenant une ambiance cotonneuse à un morceau dans lequel l’auditeur a l’impression d’avancer dans la brume…très déstabilisant pour du Noir Désir de prime abord en effet…jamais le groupe n’aura pris le risque de sonner aussi épuré…et ça fonctionne! « Le grand incendie » fait parti de ces morceaux qui me font d’autant plus aimer le disque car Noir Désir montre ici qu’il n’a pas renoncé au rock et fait faire preuve de mauvaise foi les intégristes qui ont exagéré le virage stylistique du groupe…il est malheureusement considéré comme prophétique en vue d’un événement désastreux arrivé aux states le jour de la parution de l’album… La rythmique est saccadée, tout est décadent ici…du chant désinvolte et à peine énervé de Cantat aux décharges électriques discrètes qui viennent ponctuer le morceau en passant par ces lignes d’harmonica vicieuses et irrésistibles! Le tout se termine dans un magma sonore improbable où des notes de piano déferlent de façon totalement bordélique et aléatoire…moment de chaos jubilatoire venant achever un morceau dont la rage était jusque là largement contenue!


Même si Noir Désir n’a donc pas oublié son rock, il n’en a pas moins décidé de privilégier les atmosphères sombres et poignantes. Le meilleur exemple étant ce « Des armes » venant surprendre l’auditeur après un « Vent porteur » très radiophonique, il s’agit d’un texte de Léo Ferré qui n’a pas eu le temps d’être mis en musique par ce dernier à cause de la fâcheuse faucheuse (c’est donc un morceau de Noir Désir pigé?). Et bien, sans vouloir faire injure aux fans de Léo Ferré qui n’aimeraient pas Noir Désir (à supposé que le vent ne les aient pas déjà emportés) ou aux fans de Noir Désir qui auraient en horreur Léo Ferré (ça existe?) ce texte ne dépareille aucunement avec les autres textes du sieur Cantat…preuve en est que ce dernier a atteint le niveau des plus grands paroliers Français…c’est dire! Pour ce qui est de la musique…c’est prodigieux…P-R-O-D-I-G-I-E-U-X vous dis-je!!! Sur un fond sonore insalubre alimenté par de discrets synthés sinistres la voix possédée de Bertrand Cantat s’élève à capella et vient vous prendre à la gorge sans que vous ayez rien demandé et vous assène ses paroles anti-guerre de façon accablante et magistrale tout en crescendo jusqu’à une accalmie conduisant à la fin du morceau de façon pesante…voilà de l’art avec un grand A!


Pour le reste…arf! « L’appartement » avec son rythme lent et rampant et ses expérimentations sonores à la limite du psychédélique qui vous montrent que Noir Désir a l’art d’utiliser un synthé pour en faire une bombe hypnotique, ou encore le morceau titre qui vous donne l’impression de regarder des bateaux s’éloigner sous un soleil couchant avec ses violons délicats et émouvants qui vous prennent à la gorge à la fin telle une tempête se déchaînant soudainement sont autant de perles qui voient Noir Désir briller dans un style encore plus mature et réfléchi que par le passé. Quant-à « Son style 1 » c’est une décharge électrique comme Noir Désir a toujours su le faire (avec une production encore plus nette que par le passé) sortie de nulle part, et qui devrait satisfaire les fans les moins ouverts d’esprit et satisfaire tout le monde de façon générale puisque c’est excellent! La partie « Son style 2 » entre en contraste avec la précédente et joue à nouveau dans la gamme acoustique et mélancolique…sorte de passage à vide de fin de soirée où l’on regrette d’avoir trop fait la fête (sans doute pour faire écho à la thématique de la débauche du morceau précédent).


La fin de l’album enchaîne encore ce qu’il convient d’appeler des chefs d’œuvres : « A l’envers à l’endroit » est une ballade amer à la mélodie marquée et marquante, tandis que « Lost » est le second single de l’album et certainement selon moi le plus grand morceau de Noir Désir. C’est simple : tout y est dessus, c’est comme si le groupe avait décidé d’y synthétiser tout ce qui fait le charme et l’intérêt de sa musique en seulement 3 min 21….vous voulez de l’acoustique et un chant déchirant et mélodieux? vous en aurez! Vous voulez des décharges électriques et violentes avec un chant survolté voire même scandé à la manière d’un flow? Vous l’aurez! Vous voulez un texte mystérieux et équivoque plein d’émotion aussi? Vous l’aurez! Tout Noir Désir est sur ce morceau à la fois doux et violent, sombre et poignant… « Lost » est l’essence même de Noir Désir…la quintessence même de son style, l’aboutissement artistique de Bertrand Cantat depuis le tout premier morceau qu’il ait jamais composé. Pour finir en beauté, « Bouquet de nerf » ballade nocturne aux accords de guitare absolument mélodieux et aux violons poignants vient vous caresser les oreilles après toute cette urgence déployée précédemment…le texte ne veut pas dire grand chose (comme beaucoup de textes présents sur l’album) mais la musicalité des mots est inouïe, c’est en tout cas un morceau intense émotionnellement qui conclut parfaitement un album!


Hein? Quoi??? « L’europe »? Jamais entendu parler de ce morceau…qu’est-ce donc? C’est « ça » le dernier vrai morceau de l’album??? Ce truc de 23 minutes qui à lui seul dure presque aussi longtemps que le reste de l’album??? C’est une blague non??? En plus Brigitte Fontaine est complètement barge dessus, et puis…et puis c’est quoi cette chose expérimentale et répétitive trois fois trop longue pour rien??? Bon pour ma part je la considère comme une piste « cachée » vu qu’il s’écoule suffisamment de temps entre « Bouquet de nerfs » et « L’Europe » pour la zapper…pour ma part je l’ai toujours zappée pour les raisons que je viens de donner…jusqu’à très récemment! Oui en effet, depuis j’ai appris à aimer « L’Europe » qui est sans aucun doute (et de loin) la composition la plus audacieuse de tout le répertoire de Noir Désir : c’est hypnotique, entraînant (une fois rentré dans le délire), le riff de guitare est subtile et lancinant, le chant de Cantat est quasiment parlé et linéaire mais prenant, les sons utilisés sont complexes et trippants…les instruments semblent divers et variés il y a même de la flûte de pan qui fait son apparition vers la fin…le tout porte bien son nom car on sent que le groupe va piocher dans des influences musicales diverses appartenant à différents pays. Bref, même « L’Europe » avec son côté inhabituel est une réussite! Par contre je conseillerais plus de l’écouter à part pour l’apprivoiser et de considérer que l’album se termine véritablement avec « Bouquet de nerf »…simple petit soucis de cohérence personnel…mais avec ou sans « L’Europe » l’album entier reste un chef d’oeuvre ultime et absolu de toute façon!


Noir Désir signait donc ici un album ultime (dans tous les sens du terme malheureusement) bourré à craquer de bonnes idées, audacieux, sophistiqué, brillant…tout simplement culte! La suite malheureusement tout le monde la connaît…Bertrand va dérailler…les drogues et les disputes feront deux victimes : l’une morte, l’autre marquée à vie par son crime. Sali et souillé par l’image sulfureuse de son leader controversé le groupe tentera un discret retour à la sortie de prison de ce dernier. En 2008 : deux inédits (tous les deux sublimes…surtout « Gagnants perdants ») verront le jour, l’un est une reprise…l’autre « Gagnant perdant » est une émouvante chanson tout en acoustique dont les paroles étaient parfois d’une grande actualité y compris pour le groupe : « les dégâts, les excès…ils vont vous les faire payer, les cendres qui resteront, c’est pas eux qui les ramasserons. » tu croyais pas si bien dire mon pauvre Bertrand…peu de temps après Noir Désir implosera (logique) et la France perdra ce qui a été son plus grand sursaut créatif à ce jour… J’exagère? Oui peut-être…après tout vu la qualité exubérante d’artistes Français dont j’entend parler aujourd’hui la relève semble assurée…euh vous m’en voudrez pas si de temps en temps je m’en vais le long d’un détroit malheureusement un peu lointain de mes sombres désirs vers d’autres horizons hein?


Bilan de l’intégrale Noir Désir :


-Où veux-tu qu’je r’garde : 10/20 (avec le recul Lola est un très bon morceau qui sauve pas mal l’ensemble)


-Veuillez rendre l’âme (à qui elle appartient) : 18/20 (Les écorchés nom de…Cantat!)


-Du ciment sous les plaines : 14/20


-Tostaky : 17/20


-666,667 club : 19/20


-Des visages des figures : 20/20 (par dépit parce que la raison m’interdit de mettre 21…)


A plus pour un nouvel intégrale!

Venomesque
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le 17 sept. 2017

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