Un soir de 2003, en plein repas sur fond de télé, mon oreille est attiré par un titre que je n'entends pas pour la première fois ; il a beau passé en boucle, je ne m'en lasse pas. « Ça, j'aime bien » que je dis à mon beau-père et à mon frère. Ça les étonne un peu ; ça ne ressemble pas à ce que j'ai l'habitude d'écouter. Ça m'étonne moi aussi ; je n'ai jamais eu de « street credibility ». Je n'étais pas un gars qui traînait dans les rues ou qui sortait beaucoup durant mon enfance et mon adolescence. Je n'écoutais pas non plus beaucoup de rap, je ne m'y intéressais pas, je me disais que ce n'était pas pour moi. Ou je n'osais pas... mes parents étant de droite, ça aurait été la claque ! Je laissais ça à mon demi-frère (le fils de ma belle-mère d'alors) et étant donné que les paroles ont toujours été secondaires pour moi en musique, je n'entendais et n'en retenais que les gros mots, la vulgarité qui me repoussait et que je n'avais pas envie de questionner plus. Je n'appréciais le style que lorsqu'il était marié à la Pop ; que ce soit sur des projets comme Gorillaz ou des noms qui l'étaient par nature comme Outkast. Bien que je m'amusais à assembler quelques prods sur Ejay HipHop et Groove, il faudra attendre la fin de mes années lycée pour que je m'y intéresse réellement, via un autre producteur qui officiera aussi bien dans le rap que dans la Pop, Mr Timbaland.
Le clip qui passe en boucle sur MTV n'a quant à lui rien à voir avec le rap. Je l'ai sûrement mis inconsciemment dans le même sac car il passait sur Skyrock et dans toutes les compils dites urbaines. Le type qui pose sur ces prods a lui aussi un flow, mais différent d'un rap ; c'est envoyé à la mitraille, jouant avec le rythme, mais aussi mélodique et chaleureux, malgré la voix rauque et nasale. Je n'ai jamais entendu ça ailleurs, je me demande d'où ça vient, comme cette boucle mystérieuse à chaque refrain, semblant tout droit sortie d'un vieux d'horreur ou d'SF. J'aurais pu rapprocher ça de Shaggy, qui lui aussi a essayé d'importer la Jamaïque dans un style et des prods plus « à l'américaine ». Non, les lignes mélodiques et vocales de Sean Paul étaient elles appliquées directement à des prods jamaïcaines pré-existantes, dites « riddims ». Et il avait une façon beaucoup plus aguicheuse à mon oreille de le faire. Une façon à la « Shake that Thing Miss Anna-Bella » que je ré-imite alors en yaourt dans ma chambre, en espérant ne pas être coupé, comme dans le clip. Une façon plus... Pop ?
De clip en clip, de tube en tube, la vibe de Sean Paul m'emporte. C'était l'époque de la mode du « shake ton booty », lancé encore une fois par MTV et effectivement, mon cul n'attendait que ça. « Like Glue », « Baby Boy » avec Beyoncé, « Breathe » avec Blu Cantrell... Je ne pensais pas pouvoir être autant attiré par une performance vocale. On entend sur la majorité de ses sons un gros travail sur les back-ups. Mais j'apprécie tout autant les riddims sur lesquels il pose, par leurs simplicités. J'ai l'impression qu'ils sont faciles à reproduire sur les logiciels de MAO que je commence à utiliser. Donc je les étudie, les décompose, me demande comment quelque chose d'aussi basique peut fonctionner et sonner autant. Puis après tout, je ne le comprends pas encore mais les « riddims », c'est de l'électro aussi ! Jamaïcain certes, mais les producteurs derrière mettent autant de cœur à l'ouvrage sur leurs machines que mes idoles de la French Touch ! Il y a même ce côté DIY sur certaines prods qui me rappellent mon niveau et ma créativité à faire comme les pros. Je n'oserai pas encore acheter l'album car il me semble éloigné de mon univers par mes préjugés adolescents mais j'arriverai, je ne sais plus comment, à me procurer une version gravée de ce Dutty Rock.
L'album commence sur une intro trop cool où Sean, enfumé, pose sur des vieux titres, retravaillés version Hard-Rock. A l'époque, j'avais été spectateur d'un événement MTV (encore et encore) où il tentait déjà de marier sa voix à ce style, et j'avais trouvé que ça lui avait été à ravir ! Il pouvait tout faire avec ce timbre ! (Bon, j'ai revu l'émission récemment, c'est loin d'être si extraordinaire... Le problème du bonhomme est qu'il s'essouffle vite sur scène, un comble quand on débite autant !). Puis l'enchaînement commence. « Shout » aurait pu être un tube comme un de ceux déjà sortis. « Gimme the Light » était déjà un de ces tubes, mais je l'ai réellement découvert à cette première écoute. « Ganja Breed » et « Top of the Game » montrent que même ses feats assurent. Comme sur le single « I'm Still In Love With You » qui sortira plus tard, du reggae plus classique de forme, qui fonctionne toujours aussi bien aujourd'hui, preuve étant la reprise de JLO. Et même si c'est cheap à la « Punkie » ou à la « Concrete », je bois et rebois ces instrus si simples et efficaces, terrain de jeu pour débutant à la MAO, SP te les rattrape à coup de hooks diablement addictifs ; il avait le zeitgeist ! Il pouvait te magnifier quasi n'importe quel riddim mal branlé. Il reste « Shake That Thing » où Mister pousse la chansonnette - qui aurait fait une parfaite conclusion à l'album si il n'avait pas voulu trop en mettre. A la place, ça finit sur un drôle de « Samfy I » et sa fanfare de cirque ; belle fanfaronnade. J'aurais ainsi cité toutes mes pièces préférées.
Après, je n'aime pas tout non plus. On peut citer des choses comme « My Name », « It's On » ou pire, « Jukin' Punny », qui par leurs mixages et certaines mélodies à contre-tons, manquent de justesse et rappellent son affreux premier album Stage One. Vous l'avez écouté ? Avec ce sample de singe gênant dès le premier titre... qui est en plus l'un des meilleurs de la galette. Si l'on reste dans la critique, le tout est bien trop répétitif. Au point qu'à douze ans déjà, j'apprenais qu'une même prise de voix pouvait servir et être réutilisée sans aucun changement, sur plusieurs refrains, voire sur plusieurs couplets de suite. Au point que souvent, je n'écoutais pas les morceaux en entier. Qui le fait de toute façon ? Enfin, je sauterai vite fait sur les « skits », dont je questionne l'utilité plus généralement dans la majorité des œuvres urbaines, même si j'ai apprécié reconnaître le sample du logiciel Ejay sur « Uptown Haters Skit » : tout se recoupait !
Mais peu importe, ça y était ! Avec Sean Paul, j'étais enfin dans le coup ! Je l'avais maintenant ma street-credibility. Quand un mec de quartier me demandait « Wesh, t'écoutes quoi toi » ? je n'étais plus obligé d'être méprisé en répondant Moby. Un Sean Paul bien placé et il s'apaisait, savait tout de suite de quoi il relevait « Ouais, c'est de la bonne ça. Legalize it ! ». Oulaaa... non, pas la drogue... pas encore, je suis trop jeune, voyons !
>>> suite et fin de sa carrière ici : https://strangears.tumblr.com/post/787807666631294976/chronique-nostalgique-7b-sean-paul-et-moi