Either/Or
7.9
Either/Or

Album de Elliott Smith (1997)

Pour Elliott Smith, Either/Or constitue l'album de la consécration et de sa révélation auprès du grand public. Un élément de taille va peser sur ce coup du sort qui n'en est finalement pas un. Pour son film Good Will Hunting, Gus Van Sant demande quelques chansons à Elliott Smith. Pas moins de cinq chansons seront retenues par le réalisateur américain dont une extraite de son premier album (Roman Candle) et une autre qui demeurera inédite à la bande-originale de Will Hunting : Miss Misery. Cette splendide soundtrack voit apparaître des noms assez fameux comme Al Green, The Dandy Warhols ou encore l'incontournable faiseur de BO, Danny Elfman. Smith a donc une place de choix au sein de tout ce petit monde et ses morceaux, triés sur le volet et tous d'excellente facture feront de la bande-originale de Will Hunting une des prétendantes aux Oscars. Durant cette fameuse cérémonie célébrant le septième art, Elliott Smith sera d'ailleurs mis sur le devant de la scène afin d'interpréter sa chanson Miss misery accompagné des cordes de l'orchestre de circonstance. C'est ainsi que se présente un petit bonhomme chétif aux cheveux gras, engoncé maladroitement dans un costume éclatant, jouant sa complainte fabuleuse devant un par terre poudré à la tenue correcte exigée. Un comble de l'absurde en somme. Will Hunting ne gagnera pas l'Oscar de la meilleure musique de film. Gus Van Sant a eu la mauvaise idée de sortir son film la même année que le Titanic de James Cameron, et Elliott ne peut rivaliser avec 'My heart will go on' de Céline Dion.

Pour illustrer son propos et renforcer un peu plus la crédibilité du jeune homme désorienté qu'est Will Hunting, Gus Van Sant a sélectionné les trois meilleurs morceaux de l'album Either/Or. En premier lieu, 'Between the bars' fait office d'introduction, et quelle entrée en matière quand on sait que ce morceau est devenu par la suite la carte de visite d'Elliott Smith, ce titre ayant été repris par de nombreux artistes, comme Madeleine Peyroux ou Chris Garneau, pour ne citer que deux des plus fameuses 'covers'. Cette chanson reposant sur des accords feutrés, presque tendres, enrobent un propos sur le partage de la solitude et l'empathie : "people you've been before that you don't want around anymore / that push and shove and won't bend to your will / I'll keep them still". En second lieu, Angeles se révèle être une merveille de ballade folk arpégée, avec des notes qui virevolent au gré des accords savamment articulés. Une composition épurée, sans faille. Un tutoiement de la perfection. Et enfin, 'Say yes' achève avec brio cette triplette de titres extraits de Either/Or. Une chanson faussement guillerette sur le début mais douloureuse sur le fond puisqu'elle traite des relations sentimentales, de celles néfastes dans lesquelles une des deux parties se fait manipuler par l'autre : « It's always been wait and see / A happy day and then you'll pay / And feel like shit the morning after. »

Passé cette sainte trinité, Either/Or en a encore sous le capot. L'album s'ouvre sur 'Speed Trials', un des quelques titres rythmés voués à casser le caractère monocorde que l'on pouvait déceler à l'écoute des deux premiers albums. 'Pictures of me' est également de cet acabit. Quelques riffs de guitare un peu énervés viendront même à exsuder de 'Cupids trick', comme de légères résurgences de Heatmiser, Elliott Smith laissant ainsi percevoir que le rock n'est pas fini pour lui. 'Alameda', bien que rythmé, demeure une ballade à la mélodie chaleureuse. Les paroles, elles, ne le sont pas réellement. Teintées de pessimisme, elles prônent l'accablement de soi-même : "Nobody broke your heart / you broke your own because you can't finish what you start".

Avant de conclure l'écoute de cet album culte avec un 'Say yes' de circonstance, '2 :45' permettra au mélomane de s'enfoncer un peu plus dans la nuit au gré des jolies notes déployées par la guitare du chanteur maudit. Either/Or est probablement pour beaucoup le meilleur album d'Elliott Smith. Une chose est certaine, il est le plus important car le succès dont il a été couronné ne manquera pas de pousser ce chanteur à expérimenter toujours un peu plus son style, en travaillant davantage sur les arrangements, quitte à renouer avec le rock. Cette étape aura lieu un an plus tard et portera le nom de XO.
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le 21 déc. 2011

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Anthony Boyer

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