everything is alive
7.1
everything is alive

Album de Slowdive (2023)

« Je ne veux pas quelque chose de nouveau, je veux me souvenir de ce qui a toujours été. »

(Melanie de Biasio (1))


Les brumes du temps


Le retour de Slowdive après une absence de 22 ans en 2017 avait surpris et estomaqué tout le monde, moi y compris. On les avait quitté en 1995 avec le superbe ambient, mais suicidaire auprès des maisons de disques, Pygmalion et depuis silence radio. On avait fini par faire notre deuil. Et voilà t’il pas qu’avec leur album de 2017, sobrement intitulé de leur nom, ils nous revenaient jeunes et fringants comme au premier jour. Surtout que l’album était très bon, revenant au style de Souvlaki (1993) avec néanmoins la synthèse de tout ce temps écoulé (et les dernières innovations technologiques qui déboulèrent en deux décennies).


Alors quand j’ai appris comme beaucoup de gens qu’ils sortaient un nouveau disque en 2023, l’attente était là, longue, insurpassable. Un peu comme le cinéma maintenant où je ne regarde même plus les bandes annonces sur le net, je n’ai rien écouté du nouvel album sur le net jusqu’à sa sortie où finalement je me suis précipité pour l’acheter mais ne l’écouter pleinement qu’à ce moment-là, vierge de tout. Et une fois encore, même si le choc n’est cette fois plus comparable, j’en ressorti avec une sensation de bonheur intense.


Alors oui, il faut dire que c’était parmi mes disques les plus attendus de l’année et l’attente ne fut donc pas vaine et l’on pourra de ce côté objecter que j’étais déjà quelque part conquis et dans la case du public cible, c’est pas faux. Certes, cette fois plus de surprise totale, on est en terrain connu et pourtant en faisant attention comme on dit, le diable est dans les détails. Car si l’album de 2017 revenait aux racines de Souvlaki en semblant mettre sous parenthèse l’épisode Pygmalion, ce « Everything is alive » y revient subrepticement par plusieurs passages atmosphériques dans plusieurs morceaux qui permettent de tracer un trait d’union entre les disques et repartir de plus belle dans le passé tout en continuant d’esquisser des pas de côté vers l’avenir.


Et l’Andalousie joue…


A nouveau 8 pistes, égrenées précieusement que la bande à Neil Hastead nous délivre tranquillement, oscillant tranquillement entre 4 et 7mn et si l’album décolle dès le début avec Shanty qui introduit une part nouvelle d’électronique à travers ces boucles hypnotisantes (2), on a l’impression d’être coupé net dans notre élan dès la piste 2, Prayer remembered, instrumental planant et légèrement mélancolique comme une prière aux disparus (3). Un effet volontaire qui augure d’un miroir avec la réalité qui non seulement aurait été sans ambages dans l’écoute du disque s’il avait été placé logiquement en conclusion finale. Cela et une production sonore plus floue, moins riche que sur l’album précédent ralentissent l’écoute du disque, obligeant l’auditeur à écouter et réécouter patiemment le disque afin d’en tirer lentement toute la substantifique moëlle. On peut donc bien sûr l’aimer sans détours dès la première écoute mais on peut aussi le repasser encore et encore pour y distinguer des pointes de détails, des richesses qui ne font sens qu’après coup. D’où cette pochette labyrinthique énigmatique en couverture et cette volonté évidente de nous perdre pendant qu’on est dans l’album.


Avec Alife et Kisses on revient d’un coup à ce son qu’on adore, cette addiction qui remonte d’un coup. Le Slowdive du passé qui revient, qui n’a rien perdu de sa jeunesse immortelle. Parfaits singles (d’ailleurs je crois que ce fut le cas), rythmés, rêveurs, mélancoliques, à la fois pouvant être issus des années 93 et 95 comme de 2017. Intemporels et oscillant entre plusieurs temps : piégés dans le labyrinthe donc.


Entre temps justement il y a eu Andalucia plays, un des deux titres plus longs que Slowdive compose pour cet album. Un morceau languissant qui révèle le cœur du groupe, la direction qu’il semble vouloir privilégier de plus en plus en étirant la musique dans cet état de stase ralentie. La guitare acoustique se superpose à merveille ici à l’électrique dans cette chanson remémorant le souvenir et les sentiments enfouis (4), n’oubliant pas de tracer un parallèle dans les paroles avec d’autres titres de l’album, les citant ouvertement, traçant des ponts tout le long.


The sun's coming up (5)

And I see you're smiling

I dream like a butterfly

The prayers of Saint Christopher

Travellers and stones

And ghosts on the river

Days fold into the end

Know I ran the Roman head

And you are the heart

The prayer I remember

These reggae tunes

Maybe it's over

Chained to the clouds

You are my angel

Wearing your favorite shirt

French cloth and polka-dot

Andalucia

Plays on the stereo

Remember the first winter

The dark heart of everything

(…)

On reste dans le labyrinthe donc.

Avec des ponts tracés ici vers Prayer remembered et Chained to a cloud (on passe du pluriel au singulier). Ce dernier est l’autre long morceau du disque où l’électronique ressurgit pour créer des boucles entraînantes sur fond de paroles cryptiques qui nous renvoient à notre incompréhension totale (6) : de l’état du monde, de la réalité, du labyrinthe. Probablement du mystère Slowdive en lui-même, du fait qu’on l’adore encore après toutes ces années.


SloW mo’ (dive).


Et finalement le contraste en faces de Yin et Yang, il est bien là dans le travail sonore du groupe. Slowdive (2017) était un disque relativement équilibré où l’accent était mis sur des compositions enlevées, toujours vives, souvent énergiques (propres à l’image que l’on se fait de l’identité du groupe, d’où ce titre éponyme et sobre). Si on y regarde bien, il faut attendre la 4e piste, Sugar to the pill pour que le rythme ralentisse et que le groupe dépose un ballet de notes hypnotiques planantes en boucles qui préfigure le passage plus poussé à l’électronique du disque d’après. Mais après le rythme reprend, même sur des titres à priori rêveurs (Go get it et ses passages en échos, magique). Il faut attendre l’ultime piste, Falling Ashes où Neil Hastead sort le piano pour que la rupture en forme de conclusion mélancolique brise le tout et le relance comme un appel pour une prochaine possible aventure.


Everything is alive lui, renverse d’une certaine manière l’échiquier et représente une autre face du groupe. Dans cette optique et comme si l’on avait affaire à un arcane majeur du tarot inversé (7), l’album de 2023 choisit le plus souvent de ralentir la cadence, non pas en mettant plus de titres planants et moins de titres agités (on est plus dans Pygmalion non plus hein) mais en coupant volontairement toute envolée en plaçant un titre assagi ou disons plus planant (B) après une compo plus lyrique (A).

Ce qui donne d’une manière un peu schématique mais qui correspond assez bien ce système dans la trackliste :


  • - Shanty (A)
  • - Prayer remembered (B)
  • - Alife (A)
  • - Andalucia plays (B)
  • - Kisses (A)
  • - Skin in the game (B)
  • - Chained to a cloud (B)
  • - The slab (A)

La tendance s’inverse d’un coup sur les deux derniers morceaux et l’enchaînement Skin in the game (un beau titre mais qui pour le coup fait presque trop « Slowdive du passé » je trouve. Vous aussi ?)/Chained to a cloud qui pourrait du coup créer une sorte de monotonie chez l’auditeur. C’est pour ainsi mieux te piéger avec The slab, probablement le morceau le plus rageur (toutes proportions gardées, on parle de Slowdive hein) du disque, voire de leur discographie. Là où une ouverture possible d’espoir et de mélancolie d’un retour était possible sur Falling ashes au disque précédent, on a l’impression qu’on nous claque violemment la porte au nez en guise d’au revoir.


D’adieu ? J’espère me tromper franchement bien sûr. Slowdive ne peut pas nous quitter comme ça après être revenu vers nous et nous avoir à nouveau tenu la main. Il faut dire que le groupe a le mérite de prendre son temps pour nous revenir avec une certaine qualité au final. On pourra apprécier ou pas leur nouvelle livraison, force est de reconnaître que même si elle n’ébranle plus forcément, elle reste tenante d’une créativité que bon nombre de groupes souvent reformés après un certain hiatus semblent parfois un peu laisser aux oubliettes pour mieux battre le fer de la nostalgie. Slowdive continue d’aller de l’avant avec son style, ses hésitations, ses pas de côtés mais aussi ses élans lyriques, ses déclarations d’amour et son romantisme juvénile et intemporel. Quitte à nous laisser nous en sortir tous seuls de ce labyrinthe après nous en avoir fait tout le tour.


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======

.


(1) Citation visible et en même temps cachée sur la tranche de son dernier disque, le double album fascinant « Il Viaggio ».

(2) Un autre rappel à Pygmalion. L’album de 1995 était en effet fortement influencé par le post-rock électronique des potes de Seefeel par exemple.

(3) Les membres du groupe ont d’ailleurs perdus des gens de leur famille durant la pandémie. De fait l’album aurait dû sortir plus tôt et c’est le covid qui a retardé sa sortie, laissant Halstead et les autres prendre du recul.

(4) L’Andalousie donc ?

(5) Un clin d’œil à « When the sun hits » sur Souvlaki ? Il faut dire que les notes de la guitare ressemblent un peu et qu’Andalucia plays pourrait dès lors sonner comme une version presque assagie partagée de 30 ans d’écart.

(6) Did you really understand… Falling down to the beginning ? Did you see it’s all real ?

(7) Et justement pour cet homme dans le labyrinthe pour reprendre un sympathique petit livre de SF de Robert Silverberg, je choisis la carte de l’ermite. Quoi de mieux qu’un groupe qui s’est isolé près de 22 ans avant de nous revenir pour mieux le symboliser ?






Nio_Lynes
8
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le 23 nov. 2023

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