La bande originale de Final Fantasy VII, composée en 1997 par Nobuo Uematsu, s’impose comme l’une des pierres angulaires de la musique vidéoludique, non seulement par son rôle structurant dans la narration, mais par la richesse de son langage musical, sa capacité à conjuguer immédiateté mélodique et architecture thématique d’une rare précision. Elle témoigne d’un moment charnière où la technologie de la PlayStation, tout en imposant des contraintes de synthèse sonore, offrait pour la première fois aux compositeurs de jeux vidéo la possibilité d’atteindre une ampleur dramatique et une sophistication formelle comparables à celles du cinéma ou de l’animation. Le matériau sonore, bien que limité à des échantillons synthétiques, est façonné avec un sens aigu des timbres, jouant sur des textures harmoniques et des couleurs orchestrales virtuelles qui dépassent la simple imitation instrumentale.


Dès le prélude, variation d’un motif arpégé en accords brisés sur un mode de Fa majeur enrichi de septièmes, Uematsu pose une esthétique à la fois familière et suspendue, où la pureté de la ligne s’allie à une harmonisation subtilement modulante. Ce préambule cristallin, qui n’est pas sans rappeler certaines pièces pour piano de Satie par son dépouillement mélodique et son halo harmonique, agit comme un fil d’Ariane, un thème d’ouverture qui se réincarnera sous diverses formes et tempi tout au long de la partition. C’est l’un des traits marquants du travail d’Uematsu ici : la permanence des leitmotivs, qui ne se contentent pas de revenir à l’identique mais subissent un traitement contrapuntique, rythmique ou modal afin de se plier aux exigences de la dramaturgie ludique.


L’un des exemples les plus emblématiques de cette technique réside dans le Main Theme of Final Fantasy VII, vaste développement thématique qui superpose une mélodie ascendante d’allure pastorale à une basse obstinée, évoquant une marche lente vers un horizon incertain. L’harmonie y est volontairement diatonique dans ses premières mesures, presque naïve, avant de s’enrichir de modulations par tierces et de retards harmoniques qui créent une sensation de dilatation temporelle. Uematsu joue ici sur l’illusion orchestrale : cordes synthétiques larges, nappes de cuivres adoucies, ponctuations de bois numériques, le tout modelé par un contrôle minutieux des enveloppes sonores pour suggérer un orchestre symphonique complet. Ce thème, que l’on pourrait croire destiné à un film épique, trouve pourtant dans le jeu un rôle beaucoup plus nuancé, oscillant entre la mélancolie d’un monde dévasté et l’espoir fragile d’une reconstruction.


La force de cette bande originale tient aussi à sa palette de timbres, qui transcende les limitations techniques de l’époque. Dans One-Winged Angel, la pièce la plus célèbre et probablement la plus audacieuse du corpus, Uematsu introduit un chœur échantillonné chantant en pseudo-latin, superposé à des cordes martelées et à des percussions massives. L’écriture vocale, bien que rudimentaire dans sa réalisation technique, s’appuie sur un langage harmonique inspiré du post-romantisme européen, mêlant quintes ouvertes, dissonances préparées et résolutions brutales. La structure même de la pièce, en sections contrastées, rappelle davantage l’architecture d’un poème symphonique que celle d’une simple musique de combat. Là où la majorité des musiques de boss dans les RPG de l’époque se contentaient d’un ostinato rythmique et de riffs martelés, One-Winged Angel propose un véritable développement thématique et un traitement dramatique digne d’un climax d’opéra, imposant une tension qui se nourrit autant du silence que de la saturation sonore.


Il convient de noter l’usage récurrent que fait Uematsu du silence ou, plus exactement, des respirations musicales. Contrairement à certaines OST contemporaines, comme celle de Chrono Trigger de Yasunori Mitsuda qui privilégie une continuité quasi ininterrompue pour maintenir l’immersion, Final Fantasy VII ose interrompre la texture sonore, ménager des pauses, suspendre la pulsation. Dans des morceaux tels que Anxious Heart, l’absence momentanée d’accompagnement, la mise en avant d’un simple motif de cordes synthétiques sur fond de résonance grave, crée une tension dramatique qui dépasse l’efficacité purement ludique. Le silence, ici, est un outil de narration aussi puissant que n’importe quelle progression harmonique.


Sur le plan modal et harmonique, Uematsu démontre une maîtrise surprenante de l’équilibre entre consonance et dissonance. Ses thèmes principaux reposent souvent sur des modes naturels ou sur des échelles pentatoniques, ce qui leur confère une accessibilité immédiate, mais il n’hésite pas à glisser vers des chromatismes subtils, des emprunts modaux ou des accords de neuvième ajoutée pour enrichir la couleur. Dans Cosmo Canyon, le choix d’une gamme pentatonique majeure associée à une instrumentation pseudo-ethnique (percussions de peau, flûtes synthétiques) évoque un folklore imaginaire, tandis que l’harmonie évolue vers des cadences inattendues, comme si le compositeur cherchait à éviter toute stéréotypie culturelle.


Cette capacité à manier des codes multiples, à passer d’une écriture quasi symphonique à des évocations minimales ou folklorisantes, rappelle le travail polymorphe de Koichi Sugiyama pour la série Dragon Quest, mais avec une sensibilité moins rigide sur le plan formel. Là où Sugiyama s’inscrit dans une tradition orchestrale presque académique, Uematsu ose davantage les hybridations, les textures synthétiques assumées, les transitions abruptes, parfois proches du collage, mais toujours au service d’une cohérence narrative.


L’impact émotionnel de cette bande originale se mesure aussi à sa capacité à exister hors du contexte du jeu. Écoutée isolément, elle ne perd rien de sa force évocatrice : chaque morceau est construit avec un sens de la progression interne, du climax et de la résolution qui lui confère une autonomie musicale. La dramaturgie interne des pièces, leur équilibre entre sections contrastées, leur richesse de détails instrumentaux, en font autant de petites formes closes qui ne nécessitent pas l’appui visuel ou narratif pour être comprises et appréciées. Cette qualité rare rapproche l’OST de Final Fantasy VII des meilleures musiques de film, capables de narrer à elles seules un pan d’histoire.


En définitive, la bande originale de Final Fantasy VII incarne une réussite majeure, à la fois sur le plan technique, thématique et émotionnel. Nobuo Uematsu y déploie un art de la composition qui allie rigueur formelle et liberté expressive, tirant parti des contraintes de la synthèse sonore pour inventer un langage hybride, à mi-chemin entre la musique orchestrale, l’illustration sonore et la chanson populaire stylisée. Sa maîtrise des leitmotivs, son usage réfléchi des timbres et du silence, son habileté à ménager des espaces de respiration au milieu des moments de tension extrême, confèrent à l’ensemble une cohérence et une densité qui résistent au temps. Près de trois décennies après sa création, cette OST conserve son pouvoir d’évocation et son impact dramatique, preuve qu’elle dépasse largement le cadre du jeu vidéo pour se hisser au rang d’œuvre musicale à part entière, digne de figurer dans le répertoire de la musique narrative contemporaine.

Kelemvor
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le 11 août 2025

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