God Blesse, deuxième album de Saez et premier suicide pour le musicien à l’ego tellement hors de contrôle qu’il s’oppose à tout et à tout le monde, y compris à son propre public, qu’il mitraille dans les deux premières chansons de l’album. Saez devait être le porte-parole d’une génération qu’il déteste. Il la déteste parce que, pour lui, c’est une masse de drapeaux blancs, qui préfère le confort de l’inacceptable plutôt que la nécessaire rébellion contre les injustices.
Enfant d’une génération ratée
Qui pensait qu’à rêver
De drapeaux blancs
De drapeaux blancs
Moi, j’veux du nucléaire
J’veux du sexe et du sang
Des bombes dans le RER
Même si je ne suis qu’un enfant
Enfant d’une génération ratée (Gâchée, gâchée, gâchée)
Vautré devant la télé
On se branle devant les bombardements
Mon Dieu, que c’est excitant
Si le fond a dû faire grincer des dents sa maison de disques, la forme du diptyque que composent Je veux du nucléaire et Solution est tout aussi kamikaze. On se prend 8 minutes de rock bruitiste dans la gueule où la voix délibérément crispante de Saez surnage en gueulant sa haine. Deux chansons de sale gosse pour ouvrir les hostilités, qui vont durer… 2h15 !
Le premier chapitre du projet est un hors-piste total et génial, car après l’ouverture du feu qu’ont représentée les deux premières chansons, Saez se balade sur le champ de bataille et constate les dégâts. La distorsion disparaît alors totalement, laissant place à des ambiances qui rappellent parfois Kraftwerk (Ice Cream Trip) ou des clins d'oeil à Tangerine Dream (WTC). Dans ce bordel il y a aussi des airs d'acid folk, morceaux qu'il chante...en anglais! Une langue que, bien entendu, il ne maîtrise absolument pas ! (Be my princess). Le tableau est complété par de nombreuses chansons instrumentales qui évoquent parfois Brian Eno sous acide, mais qui, surtout dans leurs meilleurs moments, pourraient servir de définition à la mélancolie, tant les notes vous embarquent dans son monde à la fois apaisé et désespéré. C’est une des choses que j’aime chez Saez : il réussit non seulement à traduire sa mélancolie par des mots, mais aussi par des notes. Sa musique a quelque chose de « poétique » à mes yeux. On y entend de très nombreuses références, mais il y ajoute une sensibilité qui n’appartient qu’à lui (Thème 2 partie 1)
Le premier chapitre est donc un voyage halluciné qui s’achève avec une chanson folk qui démarre de manière classique et très belle (si on met de côté son accent english totalement improbable 😆).
Le deuxième disque peut sembler plus classique puisqu’après un sas de décompression instrumental d’un quart d’heure (quand même !!), Saez consacre la seconde partie de l'album à des chansons plus classiques, au moins dans la forme.
Pourtant, à l’époque, ces compositions devaient elles aussi être totalement déconcertantes pour les fans, puisque aucune chanson ne contient de guitare électrique (tout à l’opposé de son premier album).
Ce second chapitre est à vrai dire une descente aux enfers sous le patronage de Brel, qui me semble être une influence évidente du travail de Saez.
Si vous trouvez l’univers de Brel déprimant, celui de Saez vous poussera au suicide !
Chaque chanson est à mes yeux une marche de plus vers l’abîme. Jusqu’au sommet du vide qu’est la chanson Voici la mort.
12 minutes dont je n’ai jamais réussi à voir le bout tellement c’est plombant.
Dans ce second chapitre je retiendrai quand même le splendide À ton nom. Une chanson qui était totalement dans l’actualité au moment où est sorti cet album (2002).
Je pense d’ailleurs que le ton de l’album, son aspect chaotique et extrême, ont été fortement influencés par le 11 septembre et cette impression de basculer dans l’inconnu que nous avons tous ressentie à ce moment-là. Après la chute, chacun cherchait le sens de ce qui s’était passé, et je crois que c’est ce que Saez essaye de faire dans cet album. Il le fait avec sa sensibilité nihiliste et totalement désespérée.
L’album se finit pourtant par une note d’espoir au milieu du vide : le magnifique Menacé mais libre.
Libre c'est le mot qui convient à cet artiste, pour le meilleur et le pire