Après ma profonde indifférence au blues au cours de ces dernières années, j'expérimente actuellement toutes les ressources de ce style et c'est une grande révélation. Cet album en est un exemple parfait. Je l'avais détesté à la première écoute, laissant un commentaire plein de dégoût devant ce son que je trouvais alors trop flou et mou. Que ne fut pas ma stupéfaction quand, à ma réecoute il y a peu de ce disque et de multiples classiques, je me rendis compte que mes goûts avaient grandement évolué et qu'à présent, ma compréhension de cette musique et de cette oeuvre était totale et que j'aime le blues de toute mon âme musicale.

The Healer and the Bear, 1970.

Comme quelques ronins, John Lee Hooker et Alan Wilson sont des mythes, des vagabonds du blues. Vagabonds des chemins et des crossroads, vagabonds errants entre tous les genres. Présenté comme le meilleur harmoniciste du monde par son idole, Wilson est au crépuscule de sa carrière et de sa vie lorsque se clôture l'enregistrement de Hooker'n Heat. Ode au blues du Mississippi, décrié au moment de sa sortie par la scène blues et les adeptes de Hooker, lui reprochant d'avoir travaillé avec un groupe aux tendances commerciales (première entrée de l'artiste au Billboard 100, 78ème place max).

A l'image de ses précédents grands faits d'armes (It serves you right to suffer ; I'm John Lee Hooker), la production est centrée autour de la voix du maître, mise en avant d'une organisation musicale toujours à son meilleur. Cette ambiance feutrée, ce son sombre et brut sera le salut pour Hooker, lui qui n'a jamais été réellement constant et libre de son art, malgré de multiples singles à succès. Luttant contre la ségrégation des années 50 et après une reconversion professionnel comme beaucoup alors, 1962 et la tournée européenne des bluesmen américains rendront à celui-ci, Waters ou Howlin' leurs lettres de noblesse.

En effet, tout le gratin de la nouvelle scène anglaise revendique l'influence du bluesman, que ce soit John Mayall, Clapton ou les Stones, aux côtés de tous ces artistes boudés par le public américain blanc, qui à l'aube des 60s rêvait d'Elvis et de Viet-Nâm. Muddy Waters, Howlin' Wolf ou encore Junior Well's se retrouvent héros de cette jeunesse avide d'authenticité et de fondamentaux.

Le décor de la pochette de Hooker'n Heat semble prendre forme dans une chambre d'hôtel, une ambiance étrange s'en dégage, presque mystique. Le contraste avec l'extérieur clair renforce cette idée, des individus dans l'ombre, tout en noir. Par le son des morceaux, on se demande même si là n'est pas leur studio d'enregistrement, amplis autour du lit, fumée de cigarette, odeur de tabac/café/whisky, des jams improvisées, la jambe du vieux loup tapant le rythme.

Une chambre d'hôtel. Un décor qui n'est pas sans rappeler la base de toute chose, de la musique de la 2ème partie du XXème jusqu'à aujourd'hui. 1936, seul, assis, sa guitare en main, un micro lui faisant face, Robert Johnson enregistre une trentaine de chansons, le diable comme seul mentor, ses doigts comme seul moyen d'expression. Des enregistrements déterrés au cours des décennies qui changeront, on le sait, tout ce qui suivra.

Ce son sinistre, ces notes de gratte flottantes, comme volées, qui s'échappe des accords d'Alan Wilson et Henry Vastine, cette ambiance de pub parfois, un concert qu'on dirait fait pour notre seule écoute, comme susurré à l'oreille. Les sages paroles du vieux maestro de la musique noire du delta.

Un tout. Une orchestration digne de tous les disques du monde, chaque musicien offrant sa partie, enveloppant au mieux les soupirs du chanteur. Lui, à la voix transmetteur d'émotion et à la sincérité brute, semble plus vrai que d'habitude et dans son élément, comme une silhouette sur un tabouret récitant ses vers dans un bar souterrain flouté par la brume et les effluves de cigarettes.

Robert Johnson, Alan Wilson, Janis Joplin, Jim Morrison, Jimi Hendrix, Brian Jones

Le blues dans la peau, plus précieux que la raison, que l'âme. La musique du diable, les accords rapides et répétés, le son graveleux, les paroles plaintives et l'ombre planant sur ses adeptes.

John Lee Hooker, comme ceux de sa génération, sera épargné par le mauvais oeil qui stagne à la croisée des chemins. L'artiste perpétuera son héritage au long de cette fin de siècle, jusqu'à sa mort en 2001. Alan Wilson, lui, s'endormira une dernière fois, d'une overdose de nature, au milieu des sages séquoias de Topanga Canyon. Le jeune loup n'a pas suivi, le vieux loup avance toujours plus.

Si les Canned Heat offrent une copie parfaite d'une puissance émotionnelle et technique rare, sombre et lourde, l'Atlas de cet album, la voix rocailleuse repoussant le sort et les montagnes, c'est bien ce good old John Lee. Comme un guide, un père au milieu de ses enfants, Hooker emmène son groupe d'un temps, ainsi que tous ceux qui écoutent et l'écouteront lui et son oeuvre, tout en haut, au firmament d'un style fondateur qui n'en a pas fini de vivre et de vibrer.

John "mothafuckin'" Hooker

Tom-Frost
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le 10 juin 2022

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romainxc
8

Critique de Hooker ’n Heat par romainxc

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