L'Esquisse 2
6.8
L'Esquisse 2

Album de Keny Arkana (2011)

Du vrai rap, comme j' aimerais en voir plus souvent ! L' impératrice du Rap Français !

Bonjour à tous,


Me voilà devant vous avec cette critique, pour un coup de cœur très récent ! Je veux parler de cette artiste, trop méconnue, du grand public.... Keny Arkana ! Où l’on mesure la distance parcourue par cet électron libre à l’écart des manies du rap game....


Ca faisait des lustres qu’on n’avait pas croisé Keny à Paris. D’abord parce qu’elle est originaire de Marseille et que c’est sous le soleil de ce sud que tout se passe. Mais aussi parce que celle qui défonçait la porte du rap hexagonal en 2005 n’a jamais suivi les recommandations des labels ou des rappeurs, pliant régulièrement bagage pour participer à un forum social au Mali, suivre une manif au Brésil. Une conception de la carrière qui contraste avec celle du discocrate moyen. “Je n’ai jamais considéré que le rap était ma vie. Je peux tout arrêter demain, je n’y suis pas attachée de manière égotiste.”


Depuis la sortie du ep Désobéissance, un monolithe rouge vif largué en 2008, Keny avait ainsi une fois de plus quitté le studio : “J’en avais même oublié que je faisais du rap, que j’étais signée en maison de disques. Il y a des tas d’autres choses qui me passionnent, qui me préoccupent. Des choses importantes.” Spontanément mis en mots au terme de cette fausse retraite, L’Esquisse 2 replonge dans ces “choses importantes”, annonçant un nouvel album éloigné de ses dernières traces : “On m’a collé l’étiquette d’extrême gauche à cause de Désobéissance, mais ça me gêne. La politique politicienne, je n’y crois pas, l’affrontement direct avec le système non plus. Je suis dans quelque chose de plus quotidien, d’usuel, de constructif.”


Depuis l’époque où les gauchistes en campagne ont cru pouvoir l’encarter à l’aise, la Marseillaise a évolué, mettant en veilleuse son opposition de principe au profit de visions moins grandioses mais plus concrètes : “Les écovillages, les mises en réseau, c’est un avenir qui me parle. Ce sont des formes de micro-démocratie, d’autonomie… Une lutte politique plus réaliste que d’aller tabasser les flics.” Un discours éloigné de la petite gloriole des contestataires de studio “mais tout aussi éloigné de la petite éthique des altermondialistes. Ils me font pas rêver avec leurs pancartes !”


Les yeux ouverts sur une autre réalité, Keny vit une liberté que peu s’autorisent, même si elle n’évite pas quelques manies françaises à base de samples un peu pompiers qui empêchent de pénétrer vraiment cette autre dimension que ses mots réclament pourtant. Elle n’est jamais aussi efficace que sur des instrumentations plus souples, sur ces sons quasi live qui s’effacent lorsque sa voix étranglée prend de la hauteur.


Dans la veine du crépusculaire Cinquième soleil, c’est cette liberté qui brille sur Au milieu du chaos ou Odyssée d’une incomprise, juste résumé de son chemin de traverse. Sur ces poèmes éventrés, elle chemine avec ses propres mots, sa trouille de l’argent et de la célébrité, sa peur maladive de se trahir ou de saisir la chance d’un autre et son souci du genre humain, dépassant les messes contestataires au profit de visions intimes : “Je ne suis pas en guerre contre les partis, ni contre les rappeurs, ni contre personne. Je suis juste pour autre chose, je construis, tu comprends ?”.


Et, c' est ça qui change tout. Elle ne fait pas ça, pour le fric ! L' argent créé la dépendance, et l' aliénation. Rousseau l' avait bien compris, quand il affirmait : " Il est nécessaire d' éviter la double aliénation du mécène, et du public ".


Un rap clairvoyant, sincère, engagé sans être violent ni revenchard. Un bon album car on attendait pas Keny a ce niveau. Intelligente, elle nous livre de beaux textes, toujours dans son propre univers.


Encore une fois, on ne va pas tortiller. L’intéressant est là. Tout ce qui coule de son stylo plume et qui se pose sur la feuille blanche est marqué de la griffe Arkana. On aime ou pas mais elle a le mérite, et personne ne pourra lui enlever, de rester elle-même. Cohérente jusqu’au bout du bandeau, elle développe inlassablement les mêmes thèmes qui sont son engagement à la gauche de l’extrême-gauche, son penchant écolo et alter-mondialiste. Elle se pose même en résistante sur « V Pour Vérités » dans un concept à la V Pour Vendetta.


L’album est composé de vingt pistes et la prouesse de Keny est de broder autour des mêmes idées en réussissant à ne pas se répéter. Après l’écoute, il n’y a qu’une chose qui reste dans la tête, comme un refrain lancinant : la Marseillaise chante la liberté. Sous toutes ses formes. A travers un champ lexical varié autour du vent, de l’eau, de la nature, elle tisse une toile profondément libertaire et humaniste. Aimer l’humanité mais pas ceux qui la dirige, c’est son credo qu’elle résume en une seule phrase à la toute fin de l’opus : « Je lève mon verre à ceux qui restent eux-mêmes, qui pensent par eux-mêmes / Dans un monde qui chante la peur avec une fanfare de haine. ».


Il se trouve que Keny Arkana a réussi un beau projet. Mais elle est comme un train en marche. Ceux qui l’ont prise à ses débuts n’auront aucun mal à la suivre et l’apprécieront de plus belle. Mais pour ces gens qui s’y intéresseraient seulement maintenant, il faudrait repartir du début. En résumé, ses fans le seront encore plus et les profanes auront du mal à adhérer. En attendant, la trublionne du rap français continue son bonhomme de chemin bien loin des sentiers battus et c’est avec soulagement que l’on constate que non, personne n’a tué Keny ! ( oui, blague hyper facile... )


Sur ce, portez vous bien. Écoutez Keny Arkana. Elle le mérite ! La musique adoucit les moeurs, enfin... Tcho. @+.

ClementLeroy
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Créée

le 18 juil. 2016

Critique lue 291 fois

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San  Bardamu

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