1972: Léo Ferré vient de faire, de suite, "L'été 68" (avec "c'est extra"), "Amour Anarchie" (d'où il a enregistré "Avec le temps") et "La Solitude" (titre éponyme). Tous les trois sont des albums qui ont beaucoup marché, qui ont marqué le paysage musical français de l'époque. Les jeunes sont derrière lui. Qu’auraient fait les autres chanteurs à la place de Léo ? Mode automatique, on sert ce que demande notre public le plus impliqué: encore du rock, encore chanter la Révolution, pour des durées acceptables et des textes à peu près compréhensibles. Oui, mais Léo, il a répondu: Je vous emmerde. J'ai du méga-succès, je suis rentable comme jamais, je suis une idole, alors ce que je vais faire pour mon prochain disque ? Un Oratorio de 46 minutes ! Oui Monsieur ! Avec "La chanson du Mal-Aimé" de Guillaume Apollinaire, un poète mort en début de siècle ! Yes Sir ! Et je vais tout faire tout seul, chef d'orchestre, compositeur, interprète solo pour tous les personnages et toutes les parties d'un poème qui prend 10 pages à lui tout seul ! Bam, dans ta gueule !
Vous l'aurez compris: ce disque est une prise de risque monumentale (il ira encore plus loin un an après, avec "Et Basta !"). Léo avait peur de rien, tant qu'il pouvait laisser exprimer son génie. D'ailleurs, il surgit en plein milieu d'une espèce de créativité mégalomaniaque, d'une démesure artistique sans équivalent dans la Chanson Française: entre 1968 et 1975, il a produit 9 albums, dont un double-album, cet Oratorio, deux albums sortis la même année (1973), un album totalement symphonique, le tout en sachant qu'il composait tout comme il dirigeait ses bandes instrumentales ! Et je compte pas les inédits (dont "avec le temps" !) et les albums live ! Que quelqu'un lui lance une fléchette de calmant s'il vous plait.
"La Chanson du Mal-Aimé" est donc un putain de pari, où il s'est fait plaisir. Qu'est-ce que ça rend ? Un bon album. Cependant, contrairement à Rimbaud ou Baudelaire, j'arrive tout de même à lire certaines parties du poème fleuve d’Apollinaire sans entendre la voix de Ferré ou sa musique. C'est symptomatique de certaines longueurs. Il aurait fallu plus d'instants énergiques, tel celui, magnifique, illustrant "La réponse des Cosaques au sultan". Par moment, c'est même mou du genou. Mais dans l'ensemble, c'est une grande œuvre, qui impressionne par son ambition. Léo est plusieurs fois bouleversant, la musique est ultra-riche (elle a même été qualifiée de compliquée par son propre père !), c'est une belle démonstration du talent incroyable du vieux Lion. Quant au poème, inutile de dire que c'est l'une des œuvres maitresses de la carrière d’Apollinaire. Y'a plus qu'à s'allonger, et à se laisser embarquer, dans le monde de la Poésie, là où Léo nous aura amenés plusieurs fois.
Viens... Viens...On est damnés, viens...

Billy98
7
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Albums à l'histoire intriguante...

Créée

le 11 sept. 2017

Critique lue 369 fois

6 j'aime

3 commentaires

Billy98

Écrit par

Critique lue 369 fois

6
3

Du même critique

Il était une fois dans l'Ouest
Billy98
10

MA BIBLE

Mon film préféré. La plus grosse claque artistique de ma vie. Une influence dans ma vie. Un éternel compagnon de route. Le cinéma à l'état pur et au summum. Oui, vraiment ma Bible à moi. Je connais...

le 21 juin 2016

29 j'aime

12

Lulu
Billy98
10

Jamais été aussi désespéré, et jamais été aussi beau (attention: pavé)

Le Manifeste... Projet débuté par un court-métrage majestueux, accentué de poèmes en prose envoyés par satellite, entretenant le mystère, son but semble vraiment de dire: prenons notre temps pour...

le 15 mars 2017

27 j'aime

10

The Voice : La Plus Belle Voix
Billy98
2

Le mensonge

Je ne reproche pas à cette émission d'être une grosse production TF1. Après tout, les paillettes attirent les audiences, et plus les audiences augmentent plus les attentes montent, c'est normal. Je...

le 17 févr. 2018

18 j'aime

7