Est-ce que vous vous êtes déjà demandé ce que ça fait d'être un père de famille de 43 ans, d'être millionaire, adulé par des millions de fans et d'avoir la capacité d'introspection d'un adolescent attardé pas très malin ?

Eh bien au cas où vous répondriez oui à cette question bien spécifique, Orelsan est là pour vous répondre dans "La fuite en avant".


Nouvel album de la "superstar pour les normies", la fuite en avant est le genre d'album que l'on écoute parce que l'on veut pouvoir en parler, même si on est pas un fan d'Orelsan car il deviendra forcément un sujet de conversation.

Evacuons immédiatement la question de la qualité du projet: C'est PAS OUF mais c'est PAS HORRIBLE non plus, si on met de côté "Boss" le titre cringe-beauf sur sa meuf et le refrain japonais ambiance opening "odeur de transpi à la Japan Expo" de "Plus rien". C'est Orelsan, c'est pas mal produit mais on s'en relèvera pas la nuit non plus, on s'ennuie pas mal mais on y trouve quand même quelques barz bien croustillantes. On s'interroge quand même au milieu de tout ce mid.


A qui s'adresse Orelsan ?


Tout l'album gravite autour du trou noir de la personna(lité?) anxieuse d'Orelsan qui, à 40 ans passé n'a qu'une seule question à la bouche : Mais que pensent-ils de moi ?


Sujet central de l'oeuvre d'Orelsan, le regard de l'autre sur lui même prend ici une place curieuse au regard du parcours du garçon. Aucun succès, aucun argent, aucune année supplémentaire ne semble pouvoir lui enlever l'angoisse que produit l'idée que des gens ne l'aiment pas ou pourraient ne pas l'aimer. A 43 ans, Orelsan rappe encore assis le cul entre deux-chaises, celle de sa vie d'avant peuplée de beaufs de province et de soirées minables, et celle de sa vie actuelle de rappeur riche et adulé. Il culpabilise de ne pas aimer son public de blancs qui ne comprend pas le rap que lui aime alors que c'est grâce à lui qu'il vit la vie de rêve.

Il s'attriste d'être au centre de l'attention (tu l'as voulu tu l'as eu !), tout en se justifiant de ne pas avoir voulu vivre la vie de ses "potes à qui il ne confierait pas ses enfants".


Mais que fait Orelsan pour changer les choses ? Propose t-il un son plus radical, à même d'emmener sa fan base vers ce qu'il aime lui ? Affute t-il son savoir sur les sujets qu'il prétendait aborder dans le catastrophique "Civilisation" pour entrer dans une conversation plus pointue avec ceux qui le regardent de haut ?

Non, et non. Orelsan n'engage pas la discussion avec le monde extérieur, préférant rester dans sa ligne, à sa place, dans une forme de fatalisme intellectuel étrange, après tout "la peur a été créée pour qu'on reste en vie".


De fait, La fuite en avant prend fatalement la forme d'un soliloque où Orelsan ressasse les même pensées que dans Perdu d'Avance, (un album vieux de 15 ans déjà), enfermé dans sa tête et dans une vision du monde souvent simpliste.

Car La fuite en avant souligne à de nombreuses reprise la faculté extraordinaire d'Orelsan à ne jamais sortir d'une pensée binaire où les bons et les méchants s'affrontent sans fin comme dans un shonen. Où grandir est une épreuve douloureuse, et où avancer se fait à contrecoeur, malgré soi, et revient toujours à se distancier d'un imaginaire geek un peu bas de gamme.


Pourtant, tout n'est pas à jeter dans La fuite en avant, et l'on retiendra tous les titres où Orelsan cesse de pleurnicher sur son sort pour faire ce qu'il fait de mieux : les portraits au napalm. Sur La fuite en avant, Orelsan n'est jamais aussi bon que lorsqu'il est méchant, cruel, arrogant et absolument chirurgical, que ce soit envers ses détracteurs, sa fanbase, sa famille et bien sûr : lui même. Le Pacte, Osaka, La petite voix, Sama et Soleil Levant (avec un SDM en pétard) sont clairement ses morceaux les plus inspirés.

Et si Orelsan "a envie de faire partie des gentils" peut-être vaudrait-il mieux pour nous qu'il enfile le masque d'MF DOOM pour devenir le grand méchant du rap français.


Bref, même si on pédale pas mal dans la semoule, la fuite en avant aura au moins le mérite de bien porter son titre, et de laisser la porte ouverte à un prochain album un peu plus mature.

Manaan
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le 7 nov. 2025

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