On a un gros souci avec ce disque-ci : parvenir à ne pas l'écouter en boucle, à se défaire un moment de ses trois ou quatre titres les plus prégnants, pour tenter de reprendre une activité plus ou moins ordinaire. Car La Reproduction - comme on le pressentait dès septembre, à l'écoute de ses premiers extraits - sort de l'ordinaire. Non pas qu'il soit révolutionnaire ; à bien des égards, il est même extrêmement classique : plusieurs morceaux parmi les plus réussis (Ne sois pas trop exigeant, My space oddity) pourraient être signés Michel Legrand, et figurer dans un vieux film de Jacques Demy ; d'autres encore rappellent Philippe Katerine, Brigitte Fontaine ou Taxi Girl... Si Arnaud Fleurent-Didier fait donc mouche aujourd'hui, c'est par cette conjonction rare de mélodies entêtantes, de cordes luxueuses, de pauses et d'embal­lements rythmiques (qui peuvent gommer sans scrupule le schéma couplet-refrain), et surtout de mots cinglants qui interrogent et qui bousculent. D'une voix pourtant pas très belle, fragile, aiguë et souvent monocorde, le trentenaire parle, autant qu'il chante, et nous interpelle : il cherche sa place dans le monde, se débat avec la production, la reproduction et la filiation ; alterne questionnaires et inventaires pour brosser le portrait d'une génération esseulée, enfants de divorcés et de soixante-huitards, rejetons de l'hyperconsommation lâchés dans le labyrinthe des réseaux asociaux. Une génération repliée, parfois même désabusée, mais qui rêve de tendre la main à son aînée. On n'aime pas forcément toutes les plages du disque avec la même ardeur, mais on devrait être nombreux à s'y reconnaître.(Télérama)


Arnaud Fleurent-Didier serait-il le nouveau Serge Gainsbourg ? A en croire l'intéressé il n'éprouverait pas d'émotion particulière à l'écoute de la musique de l'homme à la tête de chou. Et pourtant. Et pourtant, sa culture musicale est plus large, moins sulfureuse. De Ravel à Morricone, imbibé de variété française. On pense à William Sheller, Yves Simon, Michel Polnareff, Gérard Manset, Nino Ferrer et tant d'autres. On dit de lui qu'il sera la révélation 2010 mais il n'est pas de son époque. Arnaud Fleurent-Didier est de Versailles, vient d'une famille de petite bourgeoisie voire moyenne, fait une fixation sur sa famille, sur lui, ses amours, ses actes manqués, regarde son époque, s'interroge. Son univers fait plus penser à un film d'Yves Robert genre Un Eléphant Ca Trompe Enormément qu'à celui d'un Kassovitz style La Haine ou Assassin. Nous sommes dans une France un peu giscardienne, un peu Diabolo Menthe mais transposée en 2010. Ne se serait-il rien passé en 35 ans ? Si et Arnaud Fleurent-Didier le sait bien. La Reproduction est sans doute un disque aux accents des plus nostalgiques mais il est aussi bien plus moderne qu'on ne l'aurait supposé. S'il n'est pas un chanteur né (d'ailleurs il avoue lui même avoir un problème avec cette fonction), ni même un grand parolier (quoi qu'on ait entendu largement pire), il reste de lui un producteur et un arrangeur tout à fait remarquable. Et c'est ce qui rend le tout absolument magique car on renoue ici avec les grandes heures de la chanson francophone sophistiquée où l'émotif primait sur tout autres considérations, mettant en exergue une musique qui a un véritable contenu. Mais, finalement, tout cela on le savait déjà. On savait qu'Arnaud Fleurent-Didier est ce petit génie de l'harmonie, des mélodies savoureuses et des histoires sentimentalo-pastelles. Portrait D'Un Jeune Homme En Artiste nous avait déjà mis la puce à l'oreille. C'était en 2004. Une si longue absence. En tout cas ce deuxième album est l'un des véritables évènements de ce début d'année. D'une incroyable richesse, il met au rebus tous ces tenants de la nouvelle chanson française dont l'intérêt est plus que discutable. La Reproduction, comme un transfert de génération. C'est peut-être pour cela qu'il parle aussi souvent de ses parents. Une sorte de transferts de témoin avec un lien filial très fort. Un lien qui se perpétue au travers du personnage AFD et de ses aléas sentimentaux. C'est l'histoire d'une vie, notre vie, la votre, la mienne. Avec ce côté un peu chabadabada, Arnaud Fleurent-Didier soigne sa névrose et nous ouvre sa porte. Derrière elle se situe une vision romancée et lyrique de sa vie sentimentale. 2010 vient tout juste de commencer et on nous met La Reproduction entre les mains. On ne pouvait pas mieux démarrer. D'ores et déjà c'est déjà un classique et un coup de maître. (liability)
“Où pourrions-nous aller, pour être un peu moins tristes, un peu moins fatigués par ce qui nous résiste ? Où pourrions-nous nous rendre, pour goûter à la vie ?”, se demandait Arnaud Fleurent-Didier sur la magnifique dernière touche apportée à son Portrait Du Jeune Homme En Artiste (2003). Sept années ont passé et des chemins qu’on imagine sinueux l’ont mené à ce disque majeur qui devrait, à tout le moins, avoir un certain impact générationnel, en vertu d’une équation magique : textes d’époque, mélodies et mise en son à la fois surannées et modernes. Le tout survolé par une voix perpétuellement tiraillée entre ses inflexions ironiques et les larmes longtemps ravalées. Lucidité, cruauté, tendresse, empathie, le spectre est large où se déploient ces chansons. Leur regard se pose tout près, tout autour : sur soi, la vie quotidienne, sur le bagage culturel familial lourd comme un fardeau (la déjà classique France Culture), sur le passé des gens qu’on aime (extraordinaire diptyque Mémé 68/Pépé 44, avec ces mots d’anthologie : “Dis pépé, l’Occupation, c’était quoi ? T’y étais pas mais moi non plus. Tu t’occupais comment ?) sur la mondialisation de l’amitié (My Space Oddity, mi-amusée, mi-désenchantée). Avec son obsession pour la transmission et la… reproduction (au sens bourdieusien), Arnaud Fleurent-Didier est en passe d’être à la chanson française ce qu’Arnaud Desplechin fut au cinéma dans les années 90 : une Nouvelle Vague à lui seul. Le cinéaste embrassait les clichés du cinéma d’auteur le plus classique (chambres de bonnes, thésards en surplace, amours à peine adultes, histoires de famille, dépression et doutes existentiels) pour mieux les transcender, les dépasser par la force de la mise en scène et la puissance du propos. La Reproduction ne procède pas autrement : insuffler du romanesque en renouvelant la forme. Mais pas par une pyrotechnie ou des pirouettes stylistiques, plutôt par un travail en profondeur de l’écriture et de la réalisation. Derrière une apparente banalité narrative, les phrases sont précisément ciselées, les mots visent juste et profondément, tombant parfaitement sur une orchestration époustouflante, qui évoque l’opulence légère et magique des musiques de Michel Legrand (piano, cordes romantiques, chœurs désuets) rejouées par un contemporain de Phoenix (batterie, basse et guitare font de concert un travail rythmique imparable, notamment sur le morceau Reproductions). Ample, ambitieuse et élégante, la production dessine l’écrin parfait pour des textes qu’on se retient à grand peine de tous citer, qu’ils jouent sur une drôlerie jubilatoire (“L’autre soir sur les Champs-Élysées/La France encore allait gagner/Moi, mon klaxon marchait pas bien/On m’a pris pour un italien) ou sur la force de fulgurances bouleversantes (“Je ne m’habitue pas aux choses qui finissent/Depuis tout petit, c’est un peu mon vice”). Ce goût de la rime ! Enfin, parce qu’il sait soigner ses entrées et ses sorties, le garçon nous laisse sur une chanson sublime qui fait vibrer la corde très sensible des relations père/fils, avec une délicatesse infinie : “Mais si on se dit pas tout, c’est pas grave, papa/Si on se dit pas tout, comme au cinéma/Si on se dit pas tout, un jour ça viendra”. Arnaud Fleurent-Didier nous laisse au bord des larmes, comme il se doit. ( magic)
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le 26 févr. 2022

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