Pas dur de constater les choses qui partent. La couleur des cheveux, la voix, les rires, la colère…
À croire qu’on voit que ça. Les Mômes et les Enfants d’abord, 17ème album studio de Renaud sort cette nuit de Novembre alors voilà.
C’est toujours un peu en tremblant qu’on accueille un nouveau disque d’un monument comme celui là. On tremble parce qu’on craint de se rendre compte à quel point il s’abime. « Merde quand même », « Fait chier, il était si bien avant ! ». On se retiendra de prononcer tout ça, parce qu’au fond Renaud c’est un peu de la famille. Alors, le coeur déjà gagné à la cause on appuie sur la première piste et c’est parti. On est heureux de l’entendre quand même, comme s’il nous filait de ses nouvelles, entre deux rimes « Je vais mieux, ‘vous en faisez pas ». Ça nous suffirait. Un album « Ça va » tous les 2 ans, je signe !

Mais bien sûr que le temps passe. Il aurait aimé être un arbre, le Phénix. Traverser le temps et jamais bouger de la terrasse d’un bistro du 14’. Il aurait tellement aimé rester un gosse de 10 ans et « chouraver des carambars » à la boulange’ et puis partager avec les copains à la récré. Mais bien sûr que le temps passe. Il embarque avec lui la gouaye du chanteur énervant et énervé, il tire sur la peau et la mâchoire articule mal, la langue fourche un peu, les consonnes sont difficiles, le rythme en pâtit. Vous l’entendrez de partout. Alors j’aimerais parler des choses qui restent.

Les choses qui restent, c’est ça cet album. Tout ce que le temps n’a pas chouravé en 60 années, Renaud l’a enfermé dans un carré de carton-plastoc’ bleu comme ses yeux, qui n’ont pas bougé non-plus. Comme s’il avait, le temps de 12 chansons, lâché la bride à son rêve. Alors dès qu’on entend le « je » de la première personne, on balance entre deux temporalités. La voix caverneuse du soixantenaire torturé, ou celle du gosse qui raconte ses petites emmerdes. Lui-même ne choisi pas et fait volontiers référence à sa propre vie, dans la bouche d’un gamin innocent.

Il reste les regrets. « On va pas se laisser pourrir » qu’il dit, comme pour se prévenir.. trop tard que les excès le rattraperont s’il y fait pas gaffe. Ironie tragique quand on connait l’histoire, mais si tendre qu’on se laisse soulever le coeur, en écoutant cet enfant refuser tour à tour tous les poisons auxquels Renaud a succombé. Et toujours ce paradoxe entre la pureté et l’innocence des mômes, et la voix écorché du Renard.

Il reste les copains. Qui traversent le temps et qu’on se fait à cet âge. Ces copains aux noms bizarres, auxquels on s’accroche et toujours ça résonne sur les parois de sa discographie : Lucien, Manu, La Teigne, Le Gringalet… se baladent dans la cour de récré de sa mémoire, un ballon dans les pieds ou des billes dans les mains.

Il reste les bonbons. Ces sucreries d’une seconde, ces tous petits moments qu’on savoure longtemps dans la tête. Comme un symbole, c’est un de ces petits bonbons qui a inscrit Renaud a jamais dans le Panthéon de la chanson française. Ce truc qu’on sirote et qu’on jette… on en vend plus en boulangerie, il en reste rien… qu’une chanson.

Aux choses qui partent, j’aimerais quand même rendre un dernier hommage. Répondre à ceux qui prennent l’horloge au pied de la lettre. Tendrement naïfs, ils fustigent volontiers ceux qui changent, et rigolent de la peau qui se dérobe, des voix qui s’affaiblissent ou des verres de jaune qui se descendent comme si on y pouvait quelque chose, contre tout ça. Aux choses qui partent souhaitons plutôt bon vent, puisse la voix perdue devenir le cri d’un gamin écorché au genou, et le verre se faire servir en grenadine.

Les choses qui restent sont magnifiques. Ces trucs qui échappent à la force des choses et à l’oubli, on ne sait trop pourquoi. Elles se faufilent au hasard jusqu’à nos oreilles après un parcours dont on imagine même pas les embuches. Un fil tendu sur une vie qui nous arrive. Les larmes me montent toujours quand j’entends la voix affaiblie et tremblante de Renaud chanter :« Le temps est assassin et emporte avec lui les rires des enfants ». Tout y prend son sens. Les paroles innocentes ne se passeront jamais de cette voix usée. Sans elle, comment saisir à quel point le bon temps révolu était doux comme le miel ?
Cet album est grossièrement colorié au crayon par la main tremblante d’un poète immense qui imite la maladresse d’un enfant. Et comme par magie, les deux se confondent.

L0ubard
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le 29 nov. 2019

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L0ubard

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