Une musique pleine d'emphase ouvre les festivités, une musique de film d'horreur de série B, une musique pleine de charme, moitié rock symphonique post-prog, moitié variété française de bon goût, puis la voix de Gainsbarre se fait entendre, mi-intellectuelle, mi-abrutie, pleine d'ivresse, de mégots de cigarettes et de cacahuètes. Les paroles à l'humour pince-sans-rire, fouillées, osées, écrites à partir de son observation de comptoir de la faune de la nuit, sont à écouter comme des textes récités par un bon acteur de théâtre d'une pièce de mauvais goût sur des planches brinquebalantes d'Avignon. Des paroles mi-chantées, mi-parlées, d'une voix basse parfois nassilarde, abyssale, puant l'alcool. Des paroles brèves, de comptoir, succintes, embrumées jusqu'aux sourcils, opaques à cause des fumées incessantes des Gitanes du vieux garçon, des paroles de chansons mises en avant par une production finalement beaucoup plus subtile qu'elle n'y paraît, donnant l'impression que l'excellent orchestre rock qui accompagne ce petit bout de chou fait exprès de ne pas jouer fort pour laisser entendre la voix (trop) basse et lasse d'un homme finalement bien fatigué par les nuits et les excès, mais qui ne s'est jamais pris le chou.


Sur « Flash Forward », Gainsb'se marre avec des allitérations en « hic », « hac » et « hoc » et des rimes en plastoque, faites de tic et de toc, : « (…) elle était entre deux macAQUES, du genre festival à WoodstOCK ; (…) demandez-donc un peu au viOQUE », et par instants, bascule cyniquement dans l'humour facile mais tellement bonne et conne, que c'en est jouissif : "l'un a son trou d'obus, l'autre a son trou de balle" ...tout ceci agrémenté de motifs rock d'un guitariste très inspiré (ce n'est pas la première fois que Gainsbourg ait été produit de la sorte : déjà, dans « L'histoire de Melody Nelson...», des riffs à tomber par terre, saignants comme il faut, étaient mis en retrait sur la plupart des morceaux).


Sur « Lunatic Asylum », par contre, on peut sentir un léger essouflement, ses terminaisons de mots en « GE » rappellant le gainsbourg jeune sachant chanter de 1963, peut-être le meilleur, celui de « La JavanaiSE », mais avec un mauvais souffle de réchauffé, comme s'il peinait à se renouveler, utilisant des concepts musicaux peut-être trop connus pour être utilisés. Gainsbourg fait choux gras.


Un disque qui fait plonger dans une drôle d'ambiance, stylée, celle de Paris la nuit (« Aeroplanes »), une atmosphère d'oiseaux de nuit, une nuit de gangsters à la Melville, une nuit de fauchés, de joueurs de pokers enfumés, une nuit pour un dernier pastis, une nuit dans un vieux troquet pour quinquas blasés, une nuit de cigares, une nuit cinématographique, une nuit de phares de bagnoles sous un tunnel, une nuit de blagues bien ou mal senties et d'histoires bien pourries, une nuit où l'on chuchotte, une nuit noire, une nuit blanche, une nuit haineuse où l'on prend le temps d'en boire un dernier pour la route, qui finalement s'avère être l'avant-dernier, une nuit où le contenu du verre prend le temps de descendre tout doucement, c'est un peu tout ça, finalement, « l'homme à la tête de chou ».


C'est bête comme chou.

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le 21 mai 2015

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Errol 'Gardner

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