Love Chant
5.7
Love Chant

Album de The Lemonheads (2025)

Je suis de ceux qui ont découvert The Lemonheads et leur leader, Evan Dando, avec Lovey, à l’époque où sa mélancolie sonnait comme une échappée possible hors du vacarme grunge. Depuis, je ne l’ai jamais vraiment quitté. Il y a eu les disques, les longues absences, les errances, les retours et les reprises. Et cette fois, après presque vingt ans de silence en matière de chansons originales, Love Chant débarque comme un message tombé d’un autre temps.

Je me souviens de ce concert des Lemonheads au Petit Gibus un soir de mars 2019. Une salle clairsemée, un Dando bougon, un peu perdu, parfois limite odieux avec le public ou peut-être juste fatigué de devoir encore jouer les fantômes du passé. Je ne lui en veux pas parce qu’au fond, ce que j’apprécie chez lui, c’est justement ça : ce mélange de fragilité, de flemme, de génie discret. Ce type capable de te briser le cœur avec un simple accord majeur mal gratté.

Evan Dando a toujours été un paradoxe ambulant. Beau gosse malgré lui, idole improbable de la génération alternative, il s’est souvent saboté avec une régularité presque poétique: les excès, les nuits trop longues, les concerts ratés et les disparitions. Il y a eu des années où on ne savait plus trop s’il était encore là, ni ce qu’il voulait prouver. Mais c’est aussi pour ça qu’on l’aime : parce qu’il n’a jamais su jouer le jeu. Là où d’autres ont transformé leurs démons en plan de communication, lui s’est juste effondré, puis relevé, l’air de rien.

Et dans ces années d’ombre, il n’était pas vraiment silencieux. Il y a eu ces albums de reprises Varshons (2009) et Varshons 2 (2019) qui étaient bien plus que de simples exercices de style. Dando y reprenait Leonard Cohen, Lucinda Williams, Nick Cave, Yo La Tengo… toujours avec cette voix fêlée, cette tendresse un peu maladroite qui rendait tout vrai. Ces disques étaient des cartes postales musicales : un homme fatigué qui rend hommage à ceux qui l’ont construit. Ce n’étaient pas des pauses mais des respirations. Même si ce n’était pas lui qui écrivait, on y retrouvait tout ce qu’il est : la sensibilité, la pudeur, la fragilité magnifique.

En France, il n’a jamais eu la reconnaissance qu’il méritait. Trop américain pour l’indie local, trop doux pour les fans de grunge et trop sincère pour les cyniques. On l’a souvent réduit à une belle gueule paumée, à un vestige des années 90, alors qu’il écrivait (et interprétait) des chansons d’une limpidité et d’une justesse rares. Ceux qui ont écouté It’s a Shame About Ray savent qu’il y a là-dedans une grâce que peu ont su atteindre : des morceaux qui semblaient simples mais qui touchaient juste, entre la lumière et la mélancolie.

Come On Feel The Lemonheads, l’année suivante, ouvrait les vannes : plus de bruit, plus de fièvre, plus de chaos. Dando y brûlait la chandelle par les deux bouts, tout en réussissant l’exploit d’écrire des refrains irrésistibles au milieu du désordre. Ces deux disques étaient sa jeunesse brillante, confuse mais incroyablement humaine.

Love Chant, lui, est son album de la maturité. Il ne cherche plus à séduire ni à faire le malin. Dans cet opus, enregistré à São Paulo, là où il vit désormais, les guitares tintent, les mélodies s’étirent, la voix a gagné en douceur ce qu’elle a perdu en éclat. On sent la main du producteur Apollo Nove, un peu de soleil dans les interstices et une légèreté qui apaise sans trahir.

Et puis il y a les collaborations, qui font de Love Chant un disque collectif sans en avoir l’air.

On y croise Juliana Hatfield, fidèle complice depuis toujours, dont les harmonies planent encore comme un fantôme bienveillant. J Mascis (Dinosaur Jr) vient prêter ses guitares râpeuses, rappelant les vieux jours où indie signifiait encore liberté. Tom Morgan, l’alter ego d’écriture de l’époque Come On Feel, signe à nouveau quelques textes, preuve que certaines amitiés résistent au temps. Adam Green, Erin Rae et Nick Saloman (The Bevis Frond) complètent le tableau, chacun apportant sa nuance, son timbre, sa lumière. Ce ne sont pas des featurings tape-à-l’œil mais des présences familières.

Love chant est l’album d’un homme qui a tout connu : la gloire, la solitude, les dérives, les pertes et qui décide enfin de se poser. Pas pour prouver quoi que ce soit, juste pour dire : je suis encore là.

Ce n’est plus le Dando de It’s a Shame About Ray, ni celui de Come On Feel et de ses dérapages flamboyants mais il reste l’un des derniers romantiques du rock, un survivant fragile d’une époque qui n’a jamais vraiment su quoi faire de lui.

Et moi, en l’écoutant, je repense à ce soir au Petit Gibus, à sa mauvaise humeur et son désintérêt apparent. Je crois que Love Chant est la réponse qu’il n’avait pas su formuler ce soir-là.

Un désolé, murmuré des années plus tard, guitare en main. Evan, j’accepte tes excuses.



Kodack1
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le 25 oct. 2025

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