Après une année qui s’allonge, des horizons musicaux qui se ferment, des artistes disparus, les dernières lumières d’espoirs semblaient se ternir pour les avides consommateurs de musiques. Or 2022 semble être l’année charnière, l’année de la relance et du retour vers une atmosphère musicale plus dynamique et saine.
Je pense très honnêtement et sincèrement que les aléas de la vie et la météo sont de mèches avec le niveau des sorties musicales. Par exemple lorsque je suis au fond du trou, à aller en cours d’informatique à 7H45 (illégalité la plus totale soit dit en passant). Tout cela sous un froid glacial de 2 degrés en T-Shirt. C’est dans ces moments où les bons albums se font rares.

Mais étonnamment dès que le soleil pointe le bout de son nez il est saupoudré d’un retour triomphal et printanier de Rex Orange County. Rex qui signera cette fois-ci un projet bien moins tiède que son précédent Pony. A peine le temps de reprendre notre souffle qu’ est aussi annoncée la mixtape du fondateur de Bape : Nigo. Cette fois-ci le producteur emblématique des années 2000 ne fait pas dans la dentelle sur la liste des invités. La tracklist lorsqu’elle fut annoncée était déroutante et déstabilisante tellement on croirait lire la tête d’affiche de Rolling Louds. On a le duo dévastateur Rocky et Tyler, Pusha T, Clipse ou encore Lil Uzi Vert. Il faut donc être droit dans ses baskets et en avoir une bonne grosse paire pour sortir son projet à la même date qu’une mixtape pareille. Mais évidemment le sujet mis à l’examen dans l’article d’aujourd’hui est l’homme parfait pour la tâche. Qui est-ce ? Denzel Curry tout simplement.
Si on effleure simplement le personnage on apprend que c’est celui qui a travaillé sur la musique d’Arcane la série événement de 2021 issu du monde de League Of Legends acclamé par le public et la critique. C’est l’artiste qui a collaboré sur le remix d’un des tous meilleurs albums de l’année 2021 LP ! de JpegMafia. Cependant nous sommes là pour voir si Denzel signe avec son nouvel album un coup d’éclat chanceux. Ou si au contraire c’est l’aboutissement d’une longue et méticuleuse maîtrise de son art. Vous allez vite comprendre que la balance penche rapidement dans un sens plus que de l’autre.

L’équilibre et la stabilité reste des arguments et des conditions maîtresses à la longévité de la carrière d’un artiste. Se réinventer sans jamais perdre ses plus anciens auditeurs tout en fidélisant les nouveaux est une tâche des plus ardues. Denny Cascade possède à son actif un classique contemporain du rap américain TA13OO. Et malgré son jeune âge il semble être là pour durer. Tout cela car Curry n’a pas peur de se perdre mentalement en restant inébranlable musicalement. Il arpente les différentes parois du SoundClound rap avec aisance. En ajoutant à cela qu’il est issu d’une région extrêmement concurrentielle dans le domaine. En effet natif du sud de la Floride il est par extension un confrère étatique de XXXTentation notamment. Sachant que X est un artiste encore adulé par le public aujourd’hui (A juste titre ?). Cependant Curry reste imperturbable et fait rapidement son trou. Il ose là où peu le font en parlant d’abus horrible que sa petite copine avait pu subir par le passé dans le son Taboo. Le projet laisse transparaître une prédisposition phénoménale à l’écriture. Des rimes riches calibrées, une voix rauque, chancelante et envoûtante. En résumé un excellent présage. Présage qui ne pointera que le bout de sa note en 2022. Pourtant bon présage ne veut pas dire bon atterrissage. Car oui deux trois bons singles ne peuvent porter à bout de bras l’exécution général d’un projet.

Un bon album doit pour moi cocher plusieurs cases afin de rentrer dans la catégorie de bon album.
Il vous sera alors plus simple de comprendre sur quoi se base ma notation tiré du chapeau depuis près d’un an maintenant. Il faut en premier lieu des musicalités originales et persistantes. Ensuite je recherche une cohérence, une vision. Je m’attends presque à écouter un film et comprendre ce qui rattache l’intro à l’outro, pourquoi et comment. En dernier lieu je suis avide d’expérimentation, être pris au dépourvu par des prises de risques via les paroles ou encore la musique est devenu une passion.
Je vous coupe l’herbe sous le pied en vous annonçant que oui :Melt My Eyez coche beaucoup de ses cases et nous allons voir pourquoi. L’artiste avait annoncé vouloir mêler boom bap, futurisme et lyrisme. Tout cela en conservant une cohérence globale bien que trop absente dans beaucoup d’albums actuels du rap en général. En tant qu’aigri de première je me dois de relever les standards du consommateur moyen de musique. Evidemment musicalement c’est réussi on a l’impression de monter dans le thermomix à voyager dans le temps de la musique. Curry incorpore des mélanges atypiques et précis. Du son futuriste au jazz rap plus old school jusqu’à incorporer des effets jukebox tendant ver le Lo-Fi . On reste tout de même loin de ce que peut produire Earl Sweatshirt niveau Jazz Rap mais on s’en satisfait. On décèle alors un aperçu des promesses de l’auteur début 2022 avec le dévoilement du futur projet.

Son premier single confirme l’arrivée imminente de Melt My Eyez See Your Future grâce à Walking un son marchant main dans la main avec un clip visuellement éblouissant, sorti tout droit d’un roman d’anticipation et très en lien avec l’aspect western futuriste (rappelant sans doute Cowboy Bebop). Ici l’auteur s’exprime sur sa détermination et la manière dont il aborde la vie en conservant une ligne directrice l’empêchant de tomber dans les vices que son statut lui apporte. Cela malgré un monde pourri tant socialement qu’écologiquement « Dirty, filthy, rotten nasty little world we call our home. » On renoue donc logiquement avec l’image très moderniste et avec les enjeux qui façonnent le monde de demain. Une société ultra-consumériste à l’origine de la cupidité et des vols pour les plus démunis d’entre nous « Ain’t no options for my partners, so they resort to scams and robbin’ ». Consumérisme au racine même de la perdition de notre planète elle-même. On peut alors parler d’un cercle vicieux en somme. Ce son marque alors une transition parfaite vers la track suivante : Worst comes to worst.
Ici l’auteur prend la place des plus démunis et explique ne plus pouvoir suivre la cadence économique en tant qu’honnête homme. Il s’entretient avec Dieu et explique qu’il ne veut pas mourir mais que le paradis sur terre coûte bien trop cher. « Told him (Dieu) that the Reaper can’t take me » et « Tried to get to heaven but we see that Heaven cost here, huh ? ». Tout cela sur une musicalité envoutante et des scratchs de platines bien années 80, bien l’époque de nos grands frères . Le refrain est même composé de tonalité très Reggae. En exposant ces lourds enjeux, l’auteur nous rappelle qu’ils découlent eux-mêmes de problèmes plus individualistes. Il nous guide alors vers le single phare de l’album Troubles .
En effet il annonce rapidement « Got some troubles that these drugs can’t fix ». Au premier abord c’est musicalement bien plus léger mais en contraste total avec les sujets abordés dans la track. On parle ici de dépression, d’addiction et de peur qui nous façonnent tous plus ou moins. Problèmes qui semblent étroitement lié avec l’environnement économique qui conditionne le monde qui nous entoure. Beaucoup d’interactions sociales sont malheureusement aussi gouvernées à juste titre ou non par ces facteurs comme l’explique T-Pain en disant « When I was down bad and I needed help , Passin' by me on the street, you should've seen yourself ». Ingénieux et entraînant c’est certainement l’un des singles les plus habiles et abordables de ce début de 2022 . Si T-Pain fait une apparition pertinente sur ce featuring, les bons artistes ne se font pas rares du tout sur le projet. On retrouve l’excellent SlowThai dans la seconde moitié du projet ou encore le légendaire pianiste Robert Glaspert sur l’intro du projet. En zyeutant la track-list on comprend vite que le projet n’est pas démesurément rempli de featurings sauf sur :
Ain’t no way est l’exception totale à la règle. On y entend tout le gratin de la nouvelle génération de rappeurs avec notamment 6lack, JID ou encore Rico Nasty. Tout ce beau monde sur un sample encore une fois rappelant un dinner et son jukebox accompagné des effets bien plus modernes. JID rappelle encore qu’il reste le Midas du rap US en transformant chaque son en BOP (Best of Pop pour les incultes). Le rythme y est frénétique et pourtant si fluide. Sentiment omniprésent tout au long du projet. Cependant afin de satisfaire cette nécessitée de fluidité servant à la narration même de l’histoire et des thématiques traitées par un projet, on doit souvent y parsemer des interludes comme Laylow peut le faire dans ses « albums conceptuels ».
Cependant l’album ne dispose que d’un seul et unique interlude ce qui reste rare pour un projet aussi scénarisé. The Smell Of Death  rappelle les productions du défunt MFDoom avec une intro digne d’un cartoon de super héros des années 80’ et des synthétiseurs hyperactifs. Denzel Curry vise très voire trop juste. Il amène du renouveau mais reste fidèle aux sonorités fondatrices du genre. Il réussit à se défaire des codes classiques du Rap. Il met en lumière les enjeux qui nous concernent tous. Zeltron s’élève au-delà du commun des rappeurs tout en restant mortel car lui aussi souffre mais nous indique un chemin meilleur. Peu d’erreur sur un projet qui se réinvente, reste cohérent de bout en bout en nous emmenant dans cette nouvelle avant-gardiste. Melt My Eyez See Your Future entre sans gêne dans la course de l’album de l’année 2022.

Rayane_
8
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le 11 mai 2022

Critique lue 945 fois

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