« La poésie n'est autre chose que la révélation qui se dégage d'une âme humaine », ces mots, empruntés de Lamartine dans « Méditations poétiques », exaltent l'idée d'une poésie comme l'émanation spontanée du sentiment.
C'est précisément ce que font les deux artistes qui nous ont délivré « Pretty Dollcorpse » : Femtogo et Petite Sœur, sous la variabilité ondoyante de Neophron.
Par l'effet d'une loi poétique bien déconcertante, il apparaît que l'armature littéraire de ces godelureaux était surtout voisine de celle des radoteurs romantiques du XIXᵉ siècle.
Si l'on doit examiner la nature humaine et l'inextinguible propension de réconfort des âmes, on verra d'un œil équitable l'attendrissante situation de ces artistes, exténués de l'habituelle fatigue de l'existence, et venant proposer une authentique parole qui leur rende un peu d'énergie pour les jours qui viennent. Pretty Dollcorpse est un objet artistique d'une parole authentique et, dans une certaine mesure, réconfortante.
Quand Femtogo et Petite Sœur tombaient dans un abîme, c'était pour ressauter jusqu'au ciel. Leurs saillies, fussent-elles ignobles ou sublimes, ils s'en emparaient comme d'une foudre dans la nue et en faisaient, à la manière d'un projectile, un missile pour dévaster ou pour massacrer. L'album parle de prostitution, de suicide, de marginalité, de violences ; et aussi de résilience et d'espoir.
L'inexorable ferveur de cette rage cramponne, avec une vigueur presque surhumaine, les cœurs meurtris et âmes solitaires vers les pâles banquises des cieux. Il faut les écouter en sanglotant, ces voix amoureuses de l'innommable souffrance de la vie et saluer leur art.
En ce qui concerne la réception, jamais je n'ai lu plus indigent, plus scélératement bête, plus dangereux et hors sol que la critique des effroyables imposteurs modernes qu'on blasonne « journalistes ». Ces suborneurs ont jugé les thèmes abordés par nos deux artistes comme de simples écueils esthétiques, un artifice gênant à écouter car trop impudique. Cela semble évident, mais je le dis quand même : analyser leur témoignage aussi intense et en même temps (et malheureusement) d'aussi commun, c'est ôter toute la sensibilité des artistes mais aussi des auditeurs qui, le temps de l'écoute, puisent de ce qu'il y a de plus immuable, de plus fort et, dans un certain sens, de plus beau en eux avant d'être libérés de leur indicible part tragique de la vie à l'aide d'une déflagration de larmes.
Quand on est de tels artistes, il faut renoncer toute ambition d'appartenir à ces usufruitiers écrivant dans la presse publique comme des suçoirs de la vermine. Dans leurs écoles de journalisme, on leur apprend les lieux communs littéraires et les dégoûtantes satiétés de la vie matérielle. Que voulez-vous attendre de ces ruffians universitaires ? Il ne leur vient même pas à l'esprit que la vie se situe au-delà de leur langage fossilisé depuis des siècles. C'est même une chance d'être contesté quand on s'engage à gravir le Tonnerre.
L'album m'a frappé au cœur d'un glaive aigu. Qu'on aime ou qu'on n'aime pas, l’œuvre a le mérite d'exister dans sa façon de refléter la saumure des cœurs suppliciés. L'écriture de Femtogo et Petite Sœur ne réduit pas leur expérience à des paroles. Leur musique, qui résonne au contact de leurs phrases les plus retenues, les plus avares, c'est au-dedans de leurs paroles mêmes qu'ils les éveillent, comme le pressentiment de tout ce à quoi elle doit s'engager et se promettre pour qu'il n'y ait rien en une vie qui ne lui soit intérieur.