Sarah
6.7
Sarah

Album de Jude (2003)

Sorti en 1997, le premier Jude ? guitare sèche et écriture qui l'était plus encore ? révélait un chanteur égaré sous le ciel bleu avec ses idées noires. Ce Jude-là était l'un de ces misfits qui vont aiguiser leurs rancœurs en lorgnant les culturistes de Venice Beach, puis s'empressent de les assassiner dans leurs chansons ? le ridicule tuant, Out of LA semait dans son sillage un paquet de cadavres. Un an plus tard, No One Is Really Beautiful confirmait l'insolente maîtrise de Jude, qui rien qu'à la lettre B y alignait en brochette les Beatles, Beck et Buckley (Tim), avant que la connerie rococo (rococonnerie ) de King of Yesterday fasse un bide mérité. Mais, aujourd'hui, on peut à nouveau en pincer pour Jude. Se pincer pour se réveiller, aussi ? la voix sur Sarah, des escadrons de Caruso se contentent d'en rêver. Un chant souvent chavirant raconte à nouveau des histoires de cœur envoyé par le fond. Car Jude s'est retrouvé largué au carré, par son label Maverick et par sa belle (la Sarah du titre). Quand l'employé licencié du label de Madonna fait d'entrée rimer "Madonna" avec "Mother Theresa", on soupçonne un admirable sens du sarcasme, dont témoigne derechef un "Tu es la meilleure des planches sur lesquelles je puisse marcher" (Perfect Plank) déjà anthologique dans le registre du compliment contondant. Si Sarah est un disque dépeuplé (aussi peu de batterie et de guitares électriques que d'amour), les agaceries psychédéliques et affriolantes qui s'y détachent sur fond de songwriting acide et de violoncelle aigre-doux mettent surtout en valeur une voix stellaire, qu'un effondrement intime a pour paradoxal effet de rendre ici plus étincelante que jamais.(Inrocks)


L'histoire est vieille comme l'industrie du disque, mais elle fait encore peine à  entendre. Après le succès de No One Is Really Beautiful, Jude enregistre pour Maverick un album manifestement trop personnel et ambitieux que le label de Madonna refuse. Encore un songwriter torturé dont le génie est méprisé par des marchands de soupe ? Pas tout à  fait puisque Jude va jouer à  fond le jeu de son label, jusqu'à  la caricature : retour en studio où King Of Yesterdayest torché en quinze jours. L'album est une redite peu convaincante du précédent, mais la pochette est hilarante, figurant l'artiste en golden boy barbu et permanenté, chemise ouverte, lunettes et sourire californiens. Bref, Jude vient de torpiller sa carrière. Un petit tour de promo et l'homme est viré. Il revient aujourd'hui avec un disque autoproduit qui tient du... chef-d'oeuvre. Savoir qu'il sera peu entendu fait mal au coeur (on ne peut se le procurer que via son site Internet). En neuf chansons sublimes, Sarahdénoue le fil fragile d'une histoire d'amour, du début à  la fin, de la rencontre comme révélation à  la solitude de la séparation ("I know I'll lose all of our friends/But they were your friends so you'll say/Isn't it over anyway"). L'écriture de Jude est d'une finesse stupéfiante. Portées par une voix somptueuse, ces mélodies épurées et lumineuses n'ont quasiment pas d'équivalentes dans la pop américaine. Produites et arrangées avec simplicité par l'ex-Grant Lee Buffalo Paul Kimble, elles se satisfont le plus souvent d'une guitare acoustique, d'un clavier et d'une rythmique très discrète. À cet égard, le sommet est certainement atteint par la bouleversante You And Me, où Jude s'accompagne de sa seule guitare et assure lui-même les choeurs. Les arrangements de cordes de Madonna, graves et sobres, sont le seul luxe du disque. La mélodie de Your Love Is Everythings'enroule sur elle-même dans un tourbillon de choeurs et de boucles, rappelant les plus beaux moments du Figure 8d'Elliott Smith. Chaque instant de ce disque court mais dense laisse éclater les talents de mélodiste et de parolier de Jude. Sarahs'achève sur des choeurs dont la beauté évoquent la mélancolie poignante de Brian Wilson. Attention, chef-d'oeuvre en péril.(Magic)
En 1998, Jude sortait son premier véritable album, "No One Is Really Beautiful" (après "430 N. Harper Ave.", sorte de brouillon de ce que sera "No One..."), sur le joujou flambant neuf de Madonna (le label Maverick). Splendide et inusable galette où je découvrais un songwriter sensible, doué et doté d'une voix fabuleuse. "King Of Yesterday" (quel titre prémonitoire !), sort trois ans après. Pas vraiment atroce, il est tout de même bien fade et mal produit par rapport au diamant qui le précédait... Et puis, dans le désordre, il a été évincé de chez Madonna (pour ses ventes décevantes), s'est fait larguer (une certaine Sarah parait-il), a subi une bonne déprime et finalement, l'année dernière, il a écrit quelques nouvelles chansons qui allaient devenir cet album. Jusqu'à présent disponible de façon ultra-confidentielle en vente directe par internet, "Sarah" a suscité un tel bouche à oreille que Naïve décide aujourd'hui de parier sur le retour de l'"enfant prodige du folk" en le distribuant. Le disque, lui, vaut effectivement le détour. Il porte en soi les stigmates de ce retour forcé au rudimentaire. Mais, après tout, c'est ce que j'ai toujours apprécié chez Jude : sa voix et une guitare, des chansons toutes bêtes qui me parlent sans artifices ni boursouflures inutiles. Le message est envoyé dès le début de "Sarah" : "Madonna", le premier titre, colle des frissons de plaisir, Jude montre qu'il a recollé aux sensations de son premier album et qu'en plus, il n'a rien perdu de son exceptionnel sens de la mélodie. Sa voix non plus n'a pas bougé, unique, précise et excessivement rare (combien d'octaves couvre-t-elle ?). Sur cette lancée, "Sarah" ne pouvait évidemment pas se rétamer et continue sur les huit chansons suivantes à assembler le patchwork étonnant de Jude Cristodal. Tour à tour bucolique ("Perfect Plank"), très folk ("You And Me") ou encore countrysant ("Crescent Heights"), le tout est d'une cohérence à toute épreuve. Il peut tout à fait être rapproché de Neil Young ou de Dominique A dans l'utilisation étendue de sa voix et dans cette manière de rester singulier quelque soit le style, l'humeur ou la période. "Sarah" a sans doute été essentiellement composé à la guitare, d'où une certaine rugosité et un style direct... La période déprime de Jude en quelque sorte... Soit. C'est surtout un album immense d'un magnifique perdant.(Popnews)
bisca
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le 1 avr. 2022

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