Slow Focus
7.4
Slow Focus

Album de Fuck Buttons (2013)

Tarot Sport, c’était avant tout une idée de dépassement de soi. Une énergie exaltée, transcendante, qui te terrasse, te fait entrevoir l’infini de ton petit corps misérable, et te fait tendre désespérément vers lui. Faute de sortir de son corps, on danse quand le climax arrive, ou du moins, on se retrouve peu ou prou à gesticuler aussi vite que possible, à vouloir se libérer de sa propre enveloppe pour finalement parvenir à être une totalité divine. Si la remarque peut sembler un peu trop générale, et applicable à la musique dans sa globalité, je pense que celle-ci convient particulièrement bien pour parler de Tarot Sport. D’ailleurs si on peut définir l’émotion transmise par la musique en « mouvements », on peut clairement parler ici d’un mouvement ascendant. Dépassement de soi donc, mais dépassement vers le haut. Une envie de pouvoir être partout à la fois, de s’élever, et de tout voir en un instant.

Pour en venir à Slow Focus, l’évidence de ce mouvement n’est plus aussi présente. Non pas que Fuck Buttons ait complètement retourné sa chemise : on trouve toujours ce fouillis de bruits, ces mélodies qui emplissent tout l’espace et finissent par former une seule et même entité, mais le mouvement de l’émotion n’est plus aussi évident. Avant, on narguait la gravité terrestre avec des morceaux comme Olympians ou Surf Solar, alors que maintenant on a plus l’impression de se retrouver sur une planète qui aurait 2 ou 3 fois la gravité de la Terre sur Brainfreeze ou Stalker. Et l’explication première à cela est assez simple : les beats sont plus lourds, moins vifs, plus insidieux peut-être. L’album est surtout moins « unilatéral » de manière générale dans la manière de faire. Sur Tarot Sport, à l’exception de Rough Steez et Phantom Limb, la formule était on ne peut plus simple : beats + plusieurs strates de bruits unifiées + mélodie, le tout allant crescendo jusqu'au climax. C’était principalement cette simplicité qui permettait au mouvement de l’émotion de ne rencontrer aucun obstacle et de porter cette impression de pureté, alors que sur Slow Focus, on part dans plus de directions différentes, et il n y a au final que le premier morceau et les deux derniers qui gardent à peu près la logique du précédent album, et puis The Red Wing aussi, même si déjà un peu moins. On cherche plus la cohérence dans cet album que dans Tarot Sport, où celle-ci allait de soi.

Du coup, on se retrouve avec une musique plus conflictuelle, plus introspective, plus pessimiste aussi, car il est clair que Tarot Sport était un album optimiste, offrant des visions idéalisées, triomphantes, baignées d’une lumière régénératrice à t’en mettre plein la vue tout du long. Ce serait un peu simple de résumer ça à un simple antagonisme optimiste/pessimiste, je doute d'ailleurs que ce soit les termes les plus appropriés pour me faire comprendre , mais en comparaison, Slow Focus est tout de même plus proche d’une vision sombre, apocalyptique, dystopique, et baignée de mysticisme. On est au milieu d’une ville avec ses buildings qui montent à plusieurs centaines de mètres au-dessus de nous, le ciel est rougeoyant, la chaleur étouffante, et le Soleil est sur le point d’engloutir la Terre. A ce titre, des morceaux comme Year of the Dog ou Sentients font penser à des compte-à-rebours dans leur progression, et portent une certaine urgence en eux du coup.

C'est d'ailleurs difficile d'éviter de parler d'urgence quand on parle de cet album et du précédent. Dans les deux, on se trouve en face d'une énorme masse d'énergie, et la principale différence entre l'un et l'autre, c'est le rapport dans lequel l'humain se retrouve vis à vis de cette énergie qui, à chaque fois, déborde et fais tendre vers l'infini. Dans l'un, Tarot Sport, il cherche à accompagner cette énergie de manière à ne faire plus qu'un avec elle, à tendre vers des représentations où le corps physique n'existerait plus en tant que tel, où le trop plein d'énergie ferait exploser les limites spatiales de ce dernier. Ce débordement pousse à une d'extase où l'être se retrouve poussé à ses limites. Dans l'autre, Slow Focus, on tend de la même manière vers l'infini, mais la différence se trouve dans la manière de percevoir ce dernier : l'infini qui se révèle ici est celui de la fascination pour l'abîme, de l'exaltation qui naît du danger de la confrontation à ce qui dépasse l'homme.

Fuck Buttons est moins évident. Le dépassement de soi n’est plus une idée présente de manière aussi "brute" que dans Tarot Sport, on pourra dire qu’elle l’est toujours, mais sous une forme plus latente. Bien évidemment, le disque en laissera plus d’un sur le côté, Brainfreeze, Stalker et Hidden XS étant les seuls morceaux proches de l'évidence de Tarot Sport. Une musique émotionnellement moins évidente devient forcément moins facile à approcher et demande donc une plus grande participation de la part de l’auditeur. La seule chose qui compte au final, c'est que nos deux bonhommes aient su conserver leur savoir-faire tout en explorant une autre facette de leur son, et ça, on ne peut que le saluer.

Créée

le 13 juil. 2013

Modifiée

le 29 août 2013

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Waltari

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