As I Was Moving Ahead, Occasionally I Saw Brief Glimpses of Beauty par Waltari

Filmer toute sa vie (ou, du moins, une grosse partie). Le genre de truc auquel tout le monde a sans doute pensé au moins une fois, - ne serait-ce qu'en constatant avec mélancolie la fugacité du temps et des souvenirs - et Jonas Mekas l'a fait. De 1970 à 1999, il a filmé toutes les scènes quotidiennes de sa vie, sans aucune technique ou esthétique particulière puisque le film parait plus amateur qu'autre chose. Mais c'est ça qui fait toute la beauté du film, cette totale spontanéité qui déborde de chacune de ces images marquées par le temps, de chaque plan qu'on voit, celle-ci qui rend chaque parcelle de vie présente dans chaque scène plus vraie que jamais. On ne voit que des sourires dans Moving Ahead. Des fragments de paradis comme il dit, et pourtant ce ne sont que des scènes tout ce qu'il y a de plus banal dans la vie d'un homme : le mariage, la naissance d'un enfant, les promenades et tout ce qui compose la vie de chacun. Nous même nous vivons ces instants au cours de notre vie, mais c'est justement ça qui fait que ces souvenirs nous touchent : nous nous reconnaissons dans ces scènes, dés lors nous pouvons percevoir la beauté de tels moments. Le spectateur a le sentiment de revivre la vie de Mekas avec lui, ce dernier s'adressant d'ailleurs directement au spectateur lorsqu'il parle. Une véritable relation s'instaure, on irait même jusqu'à le considérer comme un ami.

Au fur et à mesure que le film avance, la mélancolie se met en place. Les souvenirs s'enchaînent rapidement, disparaissent. Mekas vieillit, sa femme aussi. Ses enfants grandissent. Mekas nous montre la vie humaine dans ce qu'elle a de plus élémentaire. Naturellement, cela nous ramène forcément à nous, êtres humains avec nos propres motivations, nos propres craintes, nos propres projets. C'est notre propre futur que l'on regarde en même temps dans un certain sens. On réalise qu'on se trouve impuissant face à la fatalité du temps qui passe. "Life Goes On" comme Mekas nous le rappelle de nombreuses fois au cours du film.

Le fait que ce dernier soit en fin de vie lorsqu'il nous montre ces moments de bonheur, de beauté, rajoute à la dimension mélancolique du film, mais c'est aussi le montage du film, rapide et saccadé, qui nous rappelle que ce sont des souvenirs que l'ont voit. La vie suit le temps dans son parcours sans obstacle et sans fin, c'est un fait, et toute cette mosaïque d'images que forment nos souvenirs font la beauté de notre vie, et de la vie de manière générale. Le cinéma, par essence, se sert de cette mosaïque d'images. Il s'en sert pour donner à voir une réalité parallèle, mais différente de la vie réelle. Mekas, lui, fait le choix de transmettre cette mosaïque d'images de la manière la plus brute et la plus franche qui soit. Il fait, certes, un choix dans ces instants qu'il nous montre : des instants considérés à ses yeux comme "beaux", forcément porteurs d'une certaine idée de bonheur donc. Mais poser naïvement ceux-ci comme des moments de bonheur, c'est réduire la vie dans ce qu'elle a de plus ambigu, de plus passionnant. Avoir le sentiment qu'il reste quelque chose, ne serait-ce qu'une trace dans notre cœur, de notre vie et que nous voudrions emporter avec nous dans l'éternité, c'est au final ce que nous espérons tous et ce que nous aurions tous voulu exprimer si nous avions réalisé un tel film. Et comme pour nos propres souvenirs, ce sont les sourires que l'on retient, des sourires qui tiennent chaud.

On pourrait dire que ce film n'est rien. Cinématographiquement, il ne montre rien d'autre que des images quelconques sur lesquelles un homme fait part de ses pensées, de ce que représentent ces images pour lui. Mais c'est là aussi l'essentiel, ce tout et ce rien qu'est une vie d'homme, et c'est ce qu'a réussi à capter Mekas.
Waltari
10
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à sa liste

Créée

le 18 sept. 2012

Critique lue 3.1K fois

56 j'aime

6 commentaires

Waltari

Écrit par

Critique lue 3.1K fois

56
6

D'autres avis sur As I Was Moving Ahead, Occasionally I Saw Brief Glimpses of Beauty

Du même critique

Souvlaki
Waltari
10

Sweet things

Il y a de ces albums qui donnent cette sensation singulière d’être fait pour nous, de l’avoir toujours été. C'est comme si chaque note, chaque son résonnait comme notre propre reflet mental et...

le 21 juil. 2013

59 j'aime

2

The Disintegration Loops
Waltari
9

Critique de The Disintegration Loops par Waltari

C’est en tentant de sauver sur support numérique de vieilles bandes magnétiques que Basinski en est arrivé à ce résultat. Les enregistrements se désagrégeant au fur et à mesure ne deviennent plus que...

le 29 janv. 2013

38 j'aime