Dans la discographie Depeche Mode, Songs Of Faith and Devotion (abrégé en SOFAD pour les intimes) est un monument. C'est le dernier album du groupe avec Alan Wilder, le premier qui inclut véritablement des instruments non synthétiques, etc, etc... L'histoire de l'album, vous la connaissez par cœur et je ne vais pas étendre de nouvelles tartines sur le pourquoi du comment. Si vous voulez connaitre l'histoire houleuse de ce disque, je vous conseille d'aller lire les autre critiques et de consulter le documentaire attrait à cet album sur Youtube.
Ici, je vais plutôt analyser l'album et vous dire pourquoi il est ambivalent (à mon sens, en tout cas).


SOFAD, c'est un album que je laisse rapidement de côté quand je découvre la discographie de Depeche Mode en 2013. Moi, je suis plutôt séduit par d'autres disques du groupe comme Black Celebration et Violator. SOFAD c'est rien qu'à l'écoute ultra-express (10 secondes de chaque morceaux) un album pas facile à appréhender. Plus sombre que les autres, plus dur, plus rock, le quatuor de Basildon se libère d'une certaine façon du "tout synthétique". La véritable question arrive alors : est-ce une bonne chose ?
Il va être très difficile de répondre mais je vais essayer, avec mes propres arguments...


Après la sortie de Violator en 1990, Depeche Mode est propulsé en haut du panier pop. Connu et reconnu dans le monde entier, le groupe se doit de créer un successeur à la hauteur. Avec Violator, le groupe "boucle la boucle" en créant un album de techno pop absolument parfait, autant musicalement que techniquement, quelque chose qu'on avait pas vu dans le genre depuis le Computer World de Kraftwerk en 1981. Le registre techno-pop, c'est ce que DM s'évertue de travailler dans ses albums égrainés depuis les débuts, en 1981. L'album "parfait" du groupe dans ce genre ayant été produit, il est temps pour eux de changer de registre.


Les principaux membres du groupes ont tous chacun plus ou moins une idée concernant ce nouvel album. Quoique... Dave Gahan, lead singer et principal "mur porteur" du groupe (l'image de la rock star incarnée depuis 1986) est désormais presque uniquement attiré par la scène rock alternative et grunge qui explose un peu partout dans le monde. Alan Wilder (clavier et arrangeur du groupe), de son côté, reste toujours branché électro expérimentale (d'ailleurs, il sort avec son projet solo Recoil l'excellent album Bloodline en 1992). Martin Gore, l'écrivain et principal vecteur d'idées du groupe, est lui un peu perdu. Et Fletch ? Bah c'est Fletch quoi : il reste fidèle à lui même.
Il convient alors d'assembler cet espèce de patchwork d'influences diverses dans un Depeche Mode presque entièrement repensé à neuf. Le groupe devient véritablement un groupe rock, pur produit de son époque, en incluant instruments traditionnels aux habituels synthés, samplers et boites à rythmes. Ces derniers sont laissés un peu de côté. Pour orchestrer le tout, le groupe fait de nouveau appel à Flood, le producteur de Violator mais aussi du très populaire Achtung Baby de U2. Si vous connaissez bien l'histoire de la conception de ce disque (SOFAD hein, pas celui de U2), vous savez que tout cela fut une quasi catastrophe, chaque membre du groupe se renfermant de plus en plus sur lui-même.


L'album n'est donc dans sa globalité non plus produit comme un album de techno-pop mais comme un album rock comprenant des éléments synthétiques. C'est quelque part la preuve que Depeche Mode est un groupe qui sait et qui possède le pouvoir de se renouveler, mais qui prends également de (très) gros risques... L'identité sonore du groupe n'est pas vraiment perdue, mais elle en prends un coup, coup qui s'avérera être une véritable transition puisque ce mélange électro-rock sera complètement accepté par le public et deviendra dés lors le principal genre musical du groupe (encore aujourd'hui...)
C'est là qu'intervient le premier gros point négatif pour moi : tout est désormais pensé d'une toute nouvelle manière, mais tellement extrême qu'elle fait dévier le groupe de son genre premier. SOFAD n'est plus le fruit de son époque comme il était pensé à l'époque de sa conception, mais véritablement comme la nouvelle pierre angulaire de l’œuvre Modienne. Depuis 1993 donc, le mètre étalon du groupe pour composer de nouveaux albums n'est pas Violator mais bel et bien SOFAD. En tant que "fan", j'ai l'impression que pendant ces vingt dernières années, le groupe a secrètement cherché a toujours retrouver le son de cet album qu'ils considèrent eux-même comme leur meilleure production. Il leur faut alors continuer la même veine sonore (électro-rock, donc) et ce toujours au détriment de leurs origines purement techno-pop, quitte à laisser de côté les morceaux de ce type sur les cinq derniers albums en date (ce que je trouve, vous l'aurez compris, très dommage pour un groupe se vantant comme principal héritier de ce genre).


Tout cela étant dit, SOFAD reste un bon album, cela dit parfois très moyen et parfois frôlant l'excellence. Parmi les moments moyens ou ennuyeux, il y a les soi-disant "meilleures performances vocales de Dave Gahan", qui s'essaie au "gospel" sur "Condemnation" et "Get Right With Me", deux titres que j'ai beaucoup de mal à supporter (sauf l'outro de la seconde qui passe comme une lettre à la poste, servant également d'intro à "I Feel You" pendant les concerts -mais si, écoutez bien !-). La pseudo électro-indus "Rush" passe assez mal dans mes oreilles également mais l'ambiance générale du morceau est assez bien réussie, ce qui m'empêche de la zapper (quelle rythme et surtout quelle programmation synthétique ! Zut, Alan aurait pu se garder ça de côté pour un album de Recoil !). Contrairement à tout le monde, j'ai aussi beaucoup de mal avec "One Caress". Martin chante, mais c'est pas ça qui me dérange. Le côté quatuor à cordes, ça change, mais ça rends le morceau ennuyeux. En revanche, l'autre balade de Martin, "Judas" est magnifique. Je suis toujours touché par sa voix très claire, plus aigüe et fragile que celle de Dave. Et puis quelle outro sur ce morceau ! Ces deux dernières minutes sont absolument géniales, peut-être les deux meilleures minutes sur l'intégralité des 47 minutes totales du disque. J'avoue, ça sonne très Wilder, et c'est pas pour mon déplaisir. Avec "In Your Room" (très inspiré mélodiquement de Tangerine Dream, écoutez "Thru Metamorphic Rocks" sur l'album Force Majeure), je commence à accrocher. Seul reproche : le morceau est un poil trop long. "Mercy In You" passe assez bien, la production remplie de reverb inversée est plutôt bien inspirée. Les trois véritables sommets de l'album sont pour moi "Walking In My Shoes" (et son côté "urbain" qui ne me déplait pas), "I Feel You" (son instru plutôt blues et son riff inspiré de "Personal Jesus") et puis "Higher Love", seul morceau "parfait" pour moi sur ce disque. Aérien, léger mais magnifique, une très belle façon de fermer l'album (et d'ouvrir les concerts).


SOFAD, c'est selon moi un bon album à manier avec (beaucoup de) précautions, à écouter plusieurs fois avant de tenter ou même de pouvoir directement l'apprécier. Un bon "grower" en somme (en tout cas, pour moi c'était le cas). Je veux bien croire Alan quand il dit que c'est son album préféré du groupe, mais il reste quand même en dessous selon moi de la perfection pop de Violator ou de la joyeuse danse funèbre qu'est Black Celebration. Cela étant dit, le songwriting de Martin atteint ici des sommets inégalés (autant avant qu’après) et la voix de Dave est indéniablement plus travaillée que jamais. Quand aux idées musicales de Wilder, ben elles sont tout simplement magistrales.


Pour le coup, SOFAD est réellement un album ambivalent. Selon l'humeur du jour, je peux l'adorer ou le détester. Petite remarque, les remixes fournis à l'époque en face B des singles sont presque tous déments.

Blank_Frank
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le 18 déc. 2016

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Blank_Frank

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