Stup Forever
6.4
Stup Forever

Album de Stupeflip (2022)

L'album s'ouvre, et ça c'est désormais pratiquement le seul point commun structurel entre les cinq Eres Stupeflip, par un morceau court, mix de dialogues, et une instru qui promet au sens large. Y'a même la mention de l'immortalité du Crou ! Alors c'était vrai : "Stup Virus" n'est pas le dernier opus. Au moins, je ne me sentirai plus divisé intérieurement par cet album ; si on lui enlève son attrait "testamentaire", il ne demeure qu'un cumul d'égo-trips léchés. Comment la Menuiserie, qui n'est en fait qu'un Julien Barthélémy derrière son ordinateur dans le 11ème arrondissement de Paris, peut-elle rebondir après cette déception confirmée ?
Eh bien, il annonce définitivement la couleur musicale avec "Dans ton balladeur" : il n'y aura pas la sauvagerie de la Première Ere, ni l'expansion de l'univers comme dans la Deuxième Ere, ni de liens en histoire comme la Troisième Ere. Mais aussi, heureusement, pas d'égo-trip incessant comme dans la Quatrième Ere ! En fait, je pense qu'il annonce déjà qu'il prend ses distances avec le Mystère au Chocolat, ce qui était la clé de voute de l'univers fantastique qu'il avait créer à partir de bases tangeantes. Il annonce que ce Stupeflip, sera beaucoup plus proche du King Ju intime, du Julien Barthélémy exilé dans sa musique ! Et même si, à titre perso, je trouve "Dans ton balladeur" sympa, ce qui est vraiment intéressant - c'est tout con mais ça en dit -, c'est que c'est le seul premier vrai morceau d'album... qui ne parle pas du groupe. Il "dénonce" des archétypes sociaux, il balance un refrain qui veut tout et rien dire volontairement, mais il ne présente pas l'univers du groupe, ou pose les motivations des personnages, contrairement aux autres albums. Pour moi, ça confirme que Barthélémy, sans être capable de passer à autre chose, cherche à synthétiser le meilleur des prédécesseurs, tout en se recentrant de plus en plus sur lui-même et son rapport à la fois à la réalité qu'il fuit, et à son propre univers qu'il anime de plus en plus seul.
"Cosmos 1999" se pose, c'est une transition surtout atmosphérique. Rien de particulier à en dire, même si ça reste bien sympa là aussi ! J'adore la transition avec les chèvres.
"Etranges Phénomènes" m'a dérouté à la première écoute. C'est vrai, qu'est-ce que c'est que cette instru qui semble étouffée, s'élance puis recule, souffle mais n'espire rien ? Il faut dire que je m'étais un peu arrêter au premier couplet, qui est pas ouf ("Oh là là là là c'est moi que r'v'là sans chalala / Je suis encore là, pas là, pour sonner la-la-li"). Mais en écoutant plus attentivement le deuxième couplet, qui lui est très clair, on découvre qu'il parle de violence familliale. C'est sans doute le morceau le plus intime, ou en tout cas le moins pudique, que King Ju ait sorti. Et l'instru, alors, se révèle aussi étouffée et refoulée que son sujet ! Le flow du refrain est génial, aussi. Donc, finalement, une grande chanson.
"Tellement bon" est... tellement bon. Ironiquement, il a réussi à rendre la chanson aussi addictive que les joints, parce que la mélodie du refrain est absolument imparable, que l'apport de choeurs sur les claviers donne un attrait lithurgique au sujet, et qu'il est traité sans démagogie ni jugement, juste la constatation du plaisir de l'auto-destruction qui, en même temps, n'est pas bien. Juste, tellement bon.
Je suis très fan de l'introduction de "L'truc Explosif". Cette chanson est le premier vrai morceau à l'ancienne, Stupéfien, de l'album ! On renoue avec un semblant d'histoire (qui ne reviendra pas), un égo-trip à base de syllabes se répondant encore plus que sur les autres titres, des trucages de voix qui induisent plusieurs persos (Ca, ça, ça c'est l'ère du Stup !). Très bon là aussi ! Pourquoi cet égo-trip me plait bien plus, dans sa volonté même, que la plupart de "Stup Virus" ? Parce qu'on a eu tous les morceaux avant, qui racontent quelque chose de touchant sur King Ju. Ca va paraitre fou hein, mais dans l'Art, on atteint le coeur du public beaucoup plus facilement avec l'émotion qu'avec la satisfaction de soi (même avec toute l'ironie du monde comme avec ce groupe) !
Dans "Tensions", là aussi un morceau Stupéfien à l'ancienne, on apprend le renvoi de Miss Google Trad pour le retour de Fabien Pollet. Dans un contexte cinématographique on appellerait ça du fan-service, mais le plaisir des retrouvailles prédomine ! D'autant que c'est, finalement, un prélude à l'avance des "Régions Fédérées". Là aussi c'est très intéressant d'un point de vue Diégétique de l'univers Stupeflip: c'est le premier morceau qui oeuvre pour une coalition, une Paix, entre les territoires de l'univers Stupéfien. Dans une interview écrite, King Ju disait d'ailleurs : "Stupeflip va mieux". Et ça se ressent ! Mais chez d'autres artistes, ça amenuise la qualité. Sans spoiler mon avis global, même si on est loin du niveau de "The Hypnoflip Invasion" et "Stup Religion", c'est quand même meilleur que le premier album et surtout "Stup Virus" à mes oreilles, et ce n'est pas donné à n'importe quel artiste de réussir des albums à la fois au fond et à la surface du trou !
"Les gens qui s'énervent"... Difficile de savoir par quel bout le prendre. Il introduit un "nouveau" personnage, mais comme personnage inédit, Reggae-Man, c'est quand même pas très original, surtout pour cet artiste ! Est-ce une parodie ou une tentative sincère de reggae un peu rigolo ? J'accorde le bénéfice du doute. C'est un petit plaisir, mais rien de transcendant, l'intérêt est surtout dans le fait que les anecdotes ont été réellement vécues. La dernière d'ailleurs, j'ignore si c'est voulu, mais elle nous rapproche humainement du Père, qui était décrit comme un monstre dans "Etranges phénomènes"...
"Gluo", je le trouve un peu sans intérêt pour être franc. C'est une instru qui n'a pas foncièrement d'idées originales, même le "Ouh Ah Hi" m'a fait grave penser aux onomatopées de Nightwih, l'instru c'est du Noir Désir tendance "Comme elle vient"... En fait, ce qui est cool à noter à la limite, c'est que Barthélémy répond aux critiques comme quoi il manquait du rock dans "Stup Virus" ; voilà, une instru bien rock. Au sein d'un album qui se veut très Nineties !
"Les Voûtes", s'ouvre sur une hésitation mémorielle à propos de dates - apparemment celle des débuts du groupe. Ca rappelle que 1972 c'était pipeau, qu'il n'a plus l'âge de jouer là-dessus, et confirme sans plus aucune "ambiguité" la création du groupe. Puis il part dans un texte, très matérialiste vis-à-vis du temps qui passe dans ses métaphores, et là aussi il est très émouvant, très identifiable, et l'instru d'un coup très propre sied parfaitement à son thème.
"Sharkattack" mêle le présent et le passé, dans le même morceau. Passé parce que c'est un sample de musique classique, comme leur plus gros tube "Stupeflip Vite", et que c'est d'abord un égo-trip ironique. Présent, parce qu'il l'interromps pour parler de son rapport à la scène, où il répète peu ou prou ce que Brel disait : que ce n'est pas normal de s'exposer aux gens pour chanter ! C'est très intéressant si l'on écoute ce morceau après avoir vu son interview par le Youtubeur Grand JD, très respectueuse et où King Ju n'a pas peur de se dévoiler un peu, parce qu'il explique dedans qu'il a conscience qu'auprès de certains fans, Stupeflip a pris une aura de gourou. Ca se voit dans les concerts, il y a des témoignages de la Stup Party, il a conscience que certains prennent trop au premier degrès ce qu'il dit. Et c'est parce qu'il a pris pleinement conscience de ça que "Stup Forever" n'a plus rien du terrorisme bienveillant d'autrefois ! J'aime bien aussi qu'il parle de Brel comme d'un "boomer" durant l'interview, alors que Brel a arrêté la scène pour exactement les mêmes raisons que lui... Et difficile de faire moins "boomer" que Brel... Morceau super, instru incroyable.
"Pop-Hip le Mort-Vivant", lui aussi, joue avec le présent et le passé (vous aurez remarqué, souvent deux morceaux de suite se répondent dans leurs motivations de base). Passé parce que Pop-Hip, Présent parce que, comme l'auront très bien souligné plusieurs membres de SensCritique n'ayant pas aimé l'album, Pop-Hip a désormais un univers musical totalement similaire aux autres morceaux du disque. Il est toujours aussi premier degrès que dans "Stup Virus", l'instru se permet tout juste d'être un peu fantaisiste avec sa tonalité plus Halloween que vraiment horrifique. L'intro aiguille sur ces choix : "Moi je l'aimais bien, Pop-Hip... Pourquoi tu le rescucite pas, Pop-Hip ?" "Pop-Hip... Réveille toi..." Aucune seconde d'hésitation, mais on sent pointer la lassitude de ressortir ce personnage. Ce ne sera pas le seul... Pour résumer là-dessus : c'est sympathique, mais sans plus.
"Tiger Crane" est l'expression la plus concrète, sur tout le disque, de l'envie de Barthélémy de prendre ses distances avec la fiction de Stupeflip pour aller de plus en plus vers lui-même et l'identifiable avec son public ! Il scande des vers, certains faisant sourire ("Je suis rare, comme un ouvrier qui vote à gauche"), jouant beaucoup sur les syllabes, sur un rythme presque difficile à suivre. C'est complètement un résumé de "Stup Virus" en moins de 2 minutes, textuellement. L'instru est très simple niveau rythmique, mais ce qui m'intéresse, c'est la flûte. Hasard ou non, le fait qu'elle soit là, alors qu'il scande de tout et de n'importe quoi, en mode "égo-trip vive Stupeflip", renvoie complètement à "Fan 2 Stup", chanson Terminale de "Stup Virus", et qui contient ces vers : "Tu voudrais parler avec moi / Que je te raconte l'ère du Stup / Mais je n'en sais pas plus que toi/ Et t'inquiète pas c'est que de la flûte". Je crois que tout est dit sur la raison d'être de ce morceau, qui en devient du coup génial.
"The Platform", c'est LA déception de l'album, et pourtant, c'est une déception cohérente avec les intentions de l'album. En effet, l'instru renvoie complètement, cette fois, à "Apocalypse 894" (mais pas juste en inspiration hein, on retrouve vraiment la même structure, la même idée globale...). C'est le morceau avec le feat de MC Salo et Cadillac ! Mais Cadillac dit, littéralement, 8 petits vers de rien du tout qui veulent rien dire, et l'intervention de Mc Salo est tout aussi oubliable. Dans les quatre autres albums, leurs apparitions apportaient toujours du sel objectivement, et au mieux étaient de vraies perles (le coup de Casimir dans "Ouest's Region Inquisitors" c'était du génie !). Est-ce volontaire, puisqu'on a compris que King Ju veut rebâtir un univers Stupéfien plus propre à lui, y compris avec ses acolytes de toujours ? C'est possible.
"Vengeance !" est un des morceaux les plus populaires de l'album, et même si je le trouve très bien, il ne me transcende pas non plus. Il est surtout intéressant lorsque l'on compare avec la notion de "terrorisme bienveillant", un des dictames du groupe depuis ses débuts, qui invitait à l'action concrète ; alors que là, on est sur du "devant mon ordi j'attends le chaos". Il a réinventé sa propre devise, mais de manière encore plus renfermée qu'avant.
"Régions Fédérées", pour moi, est le chef d'oeuvre de l'album. Pas étonant qu'il me plaise autant : je trouvais déjà "Annexion de la Région Sud", "Ouest's Region Inquisitors" et "Région Est" absolument brillants, en particuliers le deuxième nommé ! C'étaient des conclusions qui se répondaient entre elles par un fondu. "Pleure pas Stupeflip" sur "Stup Virus" rompait avec cette tradition, en annonçant justement de faux adieux. "Régions Fédérées" renoue avec cette magnifique transmission artistique, pour mon plus grand plaisir ! Et donc, comme je le disais plus tôt, sous l'étau de la paix : pas Annexion, Fédération. Léger remontage du sample de "Sharkattack" ; "Tout le monde dort" : ça parle de Rambo ; sur des choeurs magnifiques et une batterie ultra efficace, King Ju proclame son envie de changer les vies ; Mc Salo dépose son paquet et repart ; intervention du fameux monologue de "Blade Runner", à laquelle il répond avec sa propre voix en la réadaptant à Stupeflip (je me demande comment ça s'est passé niveau droits d'auteur d'ailleurs) ; à la suite du "Il est temps de mourir", l'instru s'enfonce dans une vraie folie, de plus en plus concrète et surtout sous-terraine, où le rire de King Ju se mêle à une chanson préexistante ultradéformée. On est dans un trip autistique absolu. Et c'est géant.
Alors, pourquoi ne pas avoir fini là-dessus ? "Stay Positiv" c'est pas mal hein, mais forcément elle souffre de la comparaison avec "Régions Fédérées", qui elle-même semblait renouer jusqu'au bout avec les immenses conclusions d'albums de Stupeflip, et l'émotion ne peut que retomber, juste pour un morceau à la Daft Punk. C'est dommaaage ! Mais là-aussi, si je veux aller jusqu'au bout de ce que j'ai compris des intentions, c'est logique : tout en protégeant le passé, réinventer le présent du groupe, pour un futur plus personnel. Très à l'image de sa superbe pochette finalement, qui est franchement la meilleure de Barthélémy pour l'instant !
Pour toutes ces raisons, je trouve "Stup Forever" hyper intéressant, en plus d'être un sacré pied musical. Il a réussi ce dont peu d'albums peuvent se vanter. Mais le plus remarquable dans ce projet artistique, c'est que, dans les bons ou les mauvais morceaux, il y a toujours cet immense sentiment de liberté, qui contribue énormément à la fraicheur que procure le groupe. Le Stupeflip Crou ne mourra jamais - mais il ne restera jamais tout-à-fait le même non plus !

Billy98
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le 21 sept. 2022

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