https://www.youtube.com/watch?v=NyC5RKzQm9I


Plus encore qu’une claque visuelle, l’adaptation au cinéma de la première partie du manga « Akira » se révèle être, à l’écoute répétée de sa bande originale, une claque sonore. On tient non seulement là l’élément principal qui distingue le film de la série de BD dont les centaines de pages sont épurées en 2 heures de métrage, mais aussi un chef-d’œuvre musical à part entière. Sa durée est tout d’abord révélatrice : avec 10 morceaux allongés sur 1 heure et 10 minutes de bande-son, l’ambition artistique évoque celle de Philip Glass pour le film expérimental « Koyaanisqatsi ». Le parallèle entre les deux démarches ne s’arrête d’ailleurs pas là tellement on trouve la même intention de repousser les limites de l’expérience musicale pour aboutir à une réflexion sur l’humanité équivalente, bien que plus optimiste pour la version nippone.


Philip Glass et Geinoh Yamashirogumi ont en effet tous deux l’ambition de dénaturer l’être humain, lui proposer un reflet musical sans visage par la systématisation d’un rythme répétitif quasiment robotique. Les motifs aliénants se déclinent ainsi à l’envi, vision de l’avènement d’un post-humanisme, programmé comme un papier à musique détraqué. Mais là où Glass s’exécute logiquement par la musique électronique, à même de réveiller le Terminator en chacun de nous, Yamashirogumi affirme des instruments, notamment à percussion, disparates et bien plus organiques, rappelant souvent la tradition asiatique. Il faut dire que derrière ce nom un peu grotesque se cache un groupe de plusieurs centaines d’artistes musicaux de toutes les conditions sociales, il n’en fallait pas moins pour accompagner la démesure narrative du projet scientifique gouvernemental déroulé dans le film, qui tend à développer le potentiel d’arme de destruction massive de certains enfants et adolescents « spéciaux ». Une telle mêlée artistique collective ne peut d’ailleurs que servir la démarche de dépersonnaliser et universaliser des partitions musicales qui donnent à voir des monstres psychiques qui s’expriment à coup de démolition de quartiers densément peuplés de Néo-Tokyo.


Un tel holocauste n’est pas sans rappeler les deux champignons que vit subitement pousser le Japon, non sans souffrances, durant l’été 1945. Les respirations saccadés du deuxième morceau « Battle With The Clowns » annonce déjà prophétiquement la mutation à venir : le mouvement sera celui d’une progressive montée en puissance d’abord fascinante et mesurée avec « Winds Over Neo-Tokyo », puis incontrôlée, monstrueuse. Il se dégage alors la figure christique de Tetsuo, dont la maîtrise première lui confère un aspect divin, appuyé tout au long des partitions par des acmés musicales, surgissant en illuminations spirituelles. Mais la douceur du xylophone ou des voix enfantines de « Doll’s Pollyphony » laissent bientôt place aux cordes vocales bien plus graves et menaçantes de « Mutation », traduisant un chaos d’une violence inouïe. Il faut alors imaginer la résurrection du Christ en Hulk, qui réduirait Jérusalem en cendres.


Cependant le cheminement de cette OST n’est pas logique, plutôt dialectique. L’aller-retour perpétuel entre la perte d’humanité de Tetsuo, surhomme condamné par l’entropie viscérale et infiniment douloureuse de sa puissance psychique, et Kaneda, l’ami aux ardeurs affectives indestructibles constitue l’architecture rythmique de la bande-son. Après la digression musicale plutôt dispensable « Exodus From The Underground », et alors que le mécanisme infernal semble irrémédiable, les deux derniers morceaux « Illusion » puis « Requiem » proposent un registre apaisé, où les sonorités primitives du début réapparaissent, pour finir sur une choral de murmures figurant la renaissance en devenir. C’est l’aboutissement de la fresque cauchemardesque qui apparaît alors, mise à nue sensible où l’essence de la nature humaine dépasse sa protubérance destructrice pour voguer immaculée, en affect pur.

Marius_Jouanny
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le 24 févr. 2017

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Marius Jouanny

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