Au milieu des années 70, de sombres rumeurs persistantes de séparation circulaient à propos du Dead. Mais le groupe tient bon, malgré les pressions et les envies solo de chacun. Le Dead signe chez Arista qui va leur mettre une grosse pression car ses attentes sont grandes. Le retour sur une major va se payer cher. Pour le prochain album, d’abord déménagement obligatoire à Los Angeles (pas la ville préférée du groupe, si loin de l’esprit de contre-culture, plus libertaire de Frisco). Et puis, obligation de prendre un producteur extérieur, ce que le groupe n’avait pas fait depuis « Anthem of the sun » en 1968, autant dire une éternité ! Ce sera Keith Olsen, grand manitou du pop-rock californien, dont le succès le plus éclatant jusqu'alors est l'album éponyme de Fleetwood Mac en 1975, le 1er avec Buckingham et Nicks. Les tensions entre les musiciens et le producteur apparaissent tout de suite et ce dernier ira jusqu’à « retravailler » les bandes de l’album sans l’accord du groupe, ajoutant un orchestre à un endroit, enlevant un solo ou duo de guitares à un autre. Olsen veut rendre le son du Dead clairement plus pop et plus « dans l’air du temps », allez, osons l’expression « west coast », oui…Un véritable sacrilège à commencer pour les musiciens eux-mêmes qui en ont été furieux. La 1ère face n’est pas convaincante, assez lisse et manquant de cohérence, avec des influences pop, reggae, rock progressif et même dico-funk. Eh oui, beaucoup des Deadheads se sont bouchés le nez.
Le label choisit leur reprise de « Dancin’ in the street » de Martha & the Vandellas comme single, mettant en valeur Donna Godchaux. Une reprise dans l’air du temps, disco comme c’était la mode ! Le groupe y est accompagné de Tom Scott aux saxophones (L.A. Express, les Blues Brothers, Ringo Starr, Rod Stewart, Joni Mitchell…), avec un groove que Steely Dan n’aurait pas renié à la même période. Là, même en étant très ouvert et grand fan de Steely Dan, pour moi le Dead se plante sur ce morceau, et joliment. Pas que la reprise soit mauvaise mais c’est juste que ça ne leur convient pas. La version live qui a été ajoutée à l’album en bonus, de plus de 16 mn, est autrement plus convaincante avec des musiciens qui se lancent à nouveau dans ce qu’ils maîtrisent à la perfection, de sacrées improvisations. Heureusement, sur cette 1ère face on trouve aussi une reprise du traditionnel « Samson and Delilah » et là, ils sont à nouveau comme des poissons dans l’eau. Le meilleur vient sur la 2e face et c’est ici qu’on retrouve l’esprit plus progressif de cet album avec un seul morceau « Terrapin Station » découpé en 7 parties pour 16 mn au total. C’est la pièce maîtresse de l’album, même « retouchée » par Olsen. Il a été écrit par Garcia et Hunter qui ont crée mélodie et paroles chacun de leur côté au même moment et sans se concerter : « Lady with a fan » est sans doute le plus proche de la musique habituelle du Dead avec un synthé qui annonce le son eighties du groupe.
Puis « Terrapin Station », « Terrapin » et «Terrapin Transit » apportent des touches progressives à la Yes et Genesis alors au sommet. « At a siding » et « Terrapin Flyer » sont des instrumentaux qui mêlent des influences variées allant du classique au rock jusqu’aux musiques caribéennes. Enfin « Refrain » clôture l’album avec l’orchestre de Martyn Ford (Elton John…) enregistré à Londres par Olsen et même une chorale. En live, le groupe n’a joué que les deux premiers thèmes. En les dépouillant de leurs artifices et les rapprochant de leur style blues-folk-rock, ils deviennent des superbes moments d’improvisation. Bref, un album qui n’a pas convaincu grand monde, ni les fans du groupe (les ventes ont été modestes), ni les membres eux-mêmes. Face aux critiques nombreuses, Garcia a simplement répondu : « Qu’ils aillent se faire foutre s’ils ne sont pas capables de rire à une plaisanterie ». Le mot choisi en dit long sur sa manière de considérer cet album et connaissant le bonhomme, on imagine le geste de la main qui a pu accompagner ces propos 😄. Et pourtant, loin d’être un ratage total, la 2e face est formidable, audacieuse et compense largement une 1ère face plus chaotique et incohérente.