Ce 8e volume des « Bootleg Series » de Miles nous emmène en France et ce coffret de 6 CD comprend les performances enregistrées au Festival Mondial du Jazz de 1963 à Antibes (du 26 au 28 juillet de cette année-là) et au Festival de Jazz de Paris de 1964 (le 1er octobre). Les enregistrements de 1963 présentent George Coleman, Herbie Hancock, Ron Carter et Tony Williams, tandis que les enregistrements de 1964 nous font entendre l'arrivée de Wayne Shorter au saxophone ténor et l’histoire du jazz était en train de s’écrire dans nos oreilles tant l’influence de ce quintette a été grande. Ce coffret est assez logique car la France a toujours eu une place particulière dans la vie et la carrière de Miles. En dehors des Etats-Unis, c’est le pays où il s’est le plus produit, à partir de 1949, quand il a joué au Festival International de Jazz en 1949, à 22 ans. Et en juillet 91, c’est à la Villette à Paris qu’il se produit, entouré pour la seule et unique fois des musiciens qui l’ont accompagné plus ou moins longtemps (Herbie était là, Wayne aussi), 2 mois avant sa mort. C’est surtout en France qu’il découvre un nouvel art de vivre, loin du racisme systématique qu’il a connu, et qu’il tombe amoureux de Juliette Gréco puis de la sœur de René Urtreger (une mixité impensable aux Etats-Unis à cette époque).
En 1959, « Kind of Blue » avait marqué non seulement l’histoire du jazz mais bien l’histoire de la musique populaire, rempli de thèmes inoubliables mais Miles refusant de faire du sur-place, il lui faut toujours explorer de nouveaux territoires, sans œillères. Au printemps 1963, Miles engage officiellement la section rythmique composée de Herbie Hancock au piano, Ron Carter à la basse et Tony Williams à la batterie. Ils entrent en studio en mai de la même année avec George Coleman au saxophone ténor pour enregistrer la seconde moitié de l’album « Seven Steps To Heaven ». Deux mois plus tard, ils arrivent en Europe. C’est Ron Carter dans les notes du livret qui compare leur travail à ceux de chimistes dans un laboratoire où tout est possible : «Prenez ces produits chimiques que je vous donne et voyez ce que nous obtenons. Appelez simplement les pompiers si nécessaire. ». En engageant Wayne Shorter (Coltrane lui avait indiqué ce jeune saxophoniste en 59 comme possible successeur) après plusieurs demandes, le Quintette trouve sa forme parfaite. Shorter est engagé par Miles autant comme saxophoniste que comme compositeur pour le groupe. Dès le premier album de la formation, « E.S.P. », des compositions de Shorter sont utilisées. Ce dernier devient celui qui fournit des idées à Miles, l’agitateur de concepts qui emmène la musique plus loin, arrivant très vite avec des compositions entièrement terminées où les passages de chacun des musiciens sont précisément écrits. Ce quintette se met de plus en plus à expérimenter, développant une cohésion unique, un nouveau son dans le jazz et une nouvelle approche de l’improvisation qui aujourd’hui encore laisse pantois. On a ici les débuts de cette formation extraordinaire, sur scène et c’est magique, même 60 ans après. Mauvais point par contre pour la présentation : pour un coffret assez cher, on peut s’attendre à ce que les CD soient placés dans autre chose qu’un coffret en carton mou et fragile, sans doute pas solide du tout. Pour des collectionneurs, et c’est avant tout à eux que s’adresse ce coffret, ce n’est pas un détail futile.