Au 21éme siècle, qu'a donc encore à raconter le rock progressif ?


La question me semble opportune car si celui-ci comptabilise, et partout dans le monde, un nombre impressionnant de groupes; lorsque l'on écoute ceux-ci, on se pose légitimement la question de savoir s'ils ne proposent pas simplement une redite actualisée du mouvement musical, alors au fait de sa gloire dans les années 70's.


Mais que s'est-il passé depuis tout ce temps ? Pour schématiser, deux tendances se sont dégagées du rock progressif originel: le néo-prog fin des années 70's, début 80's. On pense notamment à Marillion, groupe phare de cette période, ainsi que le métal progressif, branche plus dure et née de la fusion du Heavy et du prog'. Les groupes Rush, Dream Theater ou Opeth incarnent par exemple les porte-étendards de ce genre.


Il est intéressant de constater qu'aujourd'hui, de ces deux styles, seul le métal progressif perdure, et je dirais même continue de s'amplifier quand on remarque la pléthore de groupes sortant disques après disques chaque année. Logique car celui-ci enfanta à son tour tout un ensemble de sous-genres, empruntant autant au Black Metal le plus violent, qu'au progressif expérimental des début, ces influences.


Le néo-prog, quand à lui, semble s'être éteint. Hormis les quelques rares groupes encore en activité depuis l'origine, je ne connais pas de formations se réclamant ostensiblement du mouvement.


Mais revenons à notre question en préambule. Depuis, je dirais maintenant une grosse vingtaine d'années, à la louche; le rock progressif, du moins ce que j'en écoute pour être plus objectif, me semble tourner en rond. Alors moi, grand amateur de ces sonorités, j'y retrouve forcément mon compte, je suis bercé dans le sens du poil si j'ose dire. Mais je ne peux m'empêcher de me demander la finalité de tout cela. Pourquoi refaire, parfois à l'identique, souvent en moins bien, ce qui a déjà été fait ? Serait-on arrivé au bout du rock progressif, exploré de fond en comble désormais ?


Difficile à dire, mais à cette question à 1 million de dollars, un personnage comme Steven Wilson représente une piste intéressante si ce n'est de réponse, je dirais de réflexion. D'abord avec Porcupine Tree, ensuite en solo, il représente un des rares artistes poussant constamment le rock progressif vers des directions inconnues. Album après album, il surprend, confrontant sa musique à d'autres styles, à d'autres sonorités. En véritable rat de studio, il expérimente, concocte, fabrique, agrège des éléments les uns aux autres pour délivrer à chaque album, un rock progressif nouveau.


Ce qui est impressionnant dans la discographie de Steven Wilson, c'est d'une part son homogénéité parfaite, et d'autre part le fait que quelque soit l'album qu'on en extirpe, il résulte de l'aboutissement d'une idée originale chez le compositeur. "To the bone", son dernier en date par exemple, lorgne vers un coté plus "popisant" de la musique progressive. Tout en gardant la base du rock wilsonien intacte.


The Raven That Refused to Sing lui, sorti en 2013, paradoxalement à ses autres productions, allait comme à rebours du sens de son œuvre. Je m'explique, cet album est probablement celui le plus influencé directement des 70's. Branché comme à la source même de la genèse du rock progressif. Un brin étrange pour un gars en constante mutation, de retourner vers le socle même du prog' pourrait-on se dire. Ici est son tour de force.
Contrairement à la multitude de groupe, comme je le disais en introduction, qui recycle, Steven Wilson arrive à teinter le matériau originel. Oui, les influences sont perceptibles, mais non, on n'a pas cette impression de catalogue de rock progressif. À quoi est-ce dû finalement chez lui cette sensation de nouveauté ? J'ai l'audace de penser que ce qui fait le sel de sa musique, outre son talent indéniable de compositeur, réside dans ses compétences de producteur. La qualité de restitution, notamment dans cet album est fabuleuse. La chaleur de l'écoute, toute 70's, comme lorsqu'on enregistrait les instruments ensemble, ce son de basse vrombissant, la batterie précise au millimètre, les voix, nappes aériennes au-dessus de tout, etc... Prodigieux.
Steven Wilson retrouve cette ambiance perdue. Le multi-instrumentiste, aidé par Alan Parson sur cet album, lui aussi surdoué des studios, fusionne comme deux époques distantes de quelques décennies, deux façons de penser le mixage. The Raven That Refused to Sing est un écrin moderne pour un rock progressif inventif. Toujours mélancolique, Jamais nostalgique. Le charme de ses pairs des années 70's se sent, la volonté de défier les canons du rock progressif encore plus. Une subtile prouesse.


Je n'espère pas réduire ici son génie à des qualités dites techniques, le sens de la mélodie, Steven Wilson le possède, c'est évident, mais j'avais cœur à mettre en exergue cette aptitude qu'il a de sublimer n'importe quelle note de musique par son traitement. Un traitement moderne d'une musique référencée, avec en prime des nuances originales et différentes selon les albums.


Steven Wilson ne se contente pas de faire du neuf avec du vieux. Il arpente, cherche, et ne se laisse définitivement pas griser par la facilité d'une zone de confort.
Il est comme un alchimiste des studios. Testant à chaque nouvel album, un récipient vierge et unique où faire couler le rock progressif qu'on aime.

Liverbird
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le 29 sept. 2017

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Liverbird

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