Dès les premières notes, ça balance quelque chose de lourd. Un vieux morceau de soul, vite écarté par une secousse tellurique, qui te secoue la platine : Wesley Theory.  Des sonorités de dingue. Des voix qui sortent du plafond, par les portes et dans les fenêtres. Des effets spatio temporels. Ça secoue dans le sens de la hauteur. De la danse ; mais malsaine. Puis un message d’utilité publique signé de Dre…et qui se concrétise par le très explicite : For Free (interlude). Solo jazz free virtuose, et le flow de Lamar qui est aussi affuté que les instrumentistes derrière. Un flow de dingue, le gars ! On dirait un mélange entre Method Man et Eminem. Un flow à 2000 watts, et tranchant comme une lame de rasoir... Quand on entend ce genre de trucs, on comprend la réflexion de Miles Davis à propos du rap : Le nouveau Be Bop ( !) Une phrase qui avait dû faire se retourner Dyzzie et les autres dans leurs tombes. Une pureté, et une saleté du son en même temps. Tout le temps en excès, rythmique, et tout le temps sous contrôle, un peu comme une Ferrari qui sort du garage flambant neuve, prête à servir.


       Et le tube King Kunta, qui rappelle les belles heures du rap mainstream. Dansant, et excitant. "We want the funk !" D’accord, mais du P funk, G funk, lancé à plein gaz. Du rap héritage funk 70s fait avec les moyens d’aujourd’hui. Le beat dopé old school, avec des invités de luxe, voilà : Institutionalized. Superbe. Vocalement c’est brillant. These Walls. Idem. Magnifique mix. G funk, et ryhtm’n blues spatial. Qui a dit que les arrangements sur les albums de Hip Hop, étaient faibles ? Un jazzman a dit ça un jour. Beaucoup d’albums de Hip Hop lui donnent raison. Mais tout ça c’est finit. Bienvenue dans le gangsta rap évolution. Avec des riffs de sopranos, des soli de sax alto, de frétillements mélodiques, de voix harmonisées, avec ou sans auto tune, vocodor, echo, tout ce qu’il est possible de faire, sans jamais trahir l’esprit ou faire collage. Chant et rap mélangés, plus que le lassant couplet refrain. Et ça développe une histoire. Comme cette phrase qui revient tout le temps, comme une obssession:


I remember you was conflicted…


…Find myself screamin’ in a hotel room…EEEiah!!!!


   Enfin un gars qui a quelque chose à dire. Comme dans These Walls. Tout est travaillé et à niveaux multiples de sons, de timbres, de couleurs. Des mélodies finement ciselées qui feraient presque tache sur un album de G rap, new génération. Des basses-synthés lourdes et spacieuses...des Bruitages réfléchissant. Et les voix aux timbres multiples et bizarres qui emplissent le spectre. Et un monde s’ouvre devant toi. Y a pas à dire, c’est riche dans le bon sens du terme, avec du sens. Le morceau n’a pas peur de changer de rythme, et de s’arrêter en plein climax, et passer de pop à improvisation-confession sous instrument à vent saxophone, et piano cassé. Génial.  


    Alright. Aussi différent et homogène que les précédents. Nigga. Enfin le mot nigga reprend du sens sur un album de rap mainstream. Depuis quelque temps, je ne l’entendais plus, ou pas du tout, ou comme un gimmick, sans sens aucun. Il ne voulait plus rien dire. Every thing gonna be Alright, Nigga!  Convoquons les grands esprits, Bob marley a dû sourire en entendant ça.


     For sales ? (interlude).  Si tous les interludes pouvaient être comme ça ! Un morceau new soul qui se fait appeler interlude, pour mieux nous perdre dans le groove, interlude. J’en redemande. Momma: C’est un morceau de bravoure que n’aurait pas renié Jean Gabin, (l’acteur ou le MC). Je sais, je sais. Des secondes voix et un sample en or. Je sais. Un texte en or. Slow d’une force incroyable, avec le boys band qui va avec.


  I know everything…
Until I get back home.


     Et le morceau finit en block party G rap NWA style. Et pendant  que les nègres cherchent à s’entretuer, pendant que d’autres s’enrichissent, pendant que la fièvre s'empare de nous,  il va chercher poème, pour parole de survie :


 I remember you was conflicted
Misusing your influence
Abusing my power full of resentment


Found myseilf  screamin’ in hotel rooms.
    
     Hood Politics. From Compton to the world. Comme je le disais précédemment. Enfin le mot : Nigga, qui veut à nouveau dire quelque chose. Ça commence en P funk simple, et finit en OVNI sonore. Avec les changements en plein régime qui s’imposent. Ça bouge comme il se doit. Shit ! Ce Mc a un flow terrible, quand même !  Et il y a un nouveau gang en ville. Les Démo-crips, et le Re-blood-licains. Venu de l’un des ghettos les plus dangereux des USA, voilà le nouveau petit génie de la balle. Il n’a peur de rien, et fait son truc sans s’inquiéter des ventes hypothétiques d’albums. D’où la richesse, et la variété. Heureusement, la maîtrise fait tenir tout ça debout de façon magistrale. Le refrain rappelle certains tubes de Pac. Je comprends qu’on le compare à 2Pac. Même sens du rythme, tranchant, et puissant, virtuosité du flow. Indiscutablement doué, le gars. Album lumineux sur bien des points, dont cette mise au point :


    How Much A Dollar Cost? Hein?  Mise en lumière du problème racial, non résolu. Le dégradé de couleurs, le pays arc-en-ciel rêvé par Obama, il y a encore du boulot. Complexion (A zulu Love). Encore un problème de race ? Heureusement, il y a la poésie, qui redéfinit le réel :


  I remember you was conflicted


Misusing your influence


Abusing my power full of resentment


Resentment that run into a deep depression


Found myseilf  screamin’ in hotel rooms. Aaaarggh...


     Et du constat à l’émancipation, il n’y a qu’un pas. The Blacker The Berry, The sweeter The Juice. Morceau de bravoure de plus. Du lourd. Hardcore. Avec un refrain guttural jamaïcain, sans ambigüité aucune. Blacker. La question noire n’est pas réglée. Les USA n’ont pas encore enterrés leurs vieux démons. Racisme et hypocrisie règnent. Enfin, le mot black revient dans le glossaire Hip Hop américain, et aux grammys. Je croyais qu’il était mort, et avait laissé la place à la variét. Nigga. Rap conscient de ses limites et de ses forces, je n’aurai jamais crût possible de le renouveler comme le fait Kendrick Lamar avec c’est album là.


    Par le beat tout puissant, et de la funk dans les veines. Souviens-toi d’où tu viens. De loin. Et c’est l’heure de rendre des comptes. Voilá les samplers gonflés aux hormones, clairs comme du crystal de roche. La basse toute puissante, qui régne en atout maître, puissant moteur du groove. C’est encore plus pop que gangsta, et encore plus gangsta que pop. Exploit. C’est plus neuf que plein de trucs annoncés nouveaux, ou  révolutionnaires qui sortent. Ou alors cet l’album est l’aboutissement du G rap mort-et né de sa belle mort par la mort violente de Pac et Biggie, presque in the same time. Poème ou message? Les deux. Politique aussi. Avec la part belle donnée aux mélodies, séduisantes comme des petites perles. L’engagement n’empêche pas l’exigence artistique, voire le perfectionnisme. Du grand art. Chaque morceau travaillé au cœur, à chœur ouvert.  


  Avec  Mortal Man comme dernière pierre à l’édifice, ballade colorée et caressée par le vent des cuivres, glisse entre les nuages des synthés. Alors, le message ne varie pas d’intensité. Et puis merde! King Kunta que j’adorais au début, c’est le plus « mauvais » morceau de l’album.


One two, one two…


Album hautement addictif, que j’écoute en boucle depuis quelque temps déjà.


    PS : La direction artistique est fournie. On serait surpris du contraire. L’album brasse jazz, funk, soul, pop expérimentale, rap game…avec Dre pas loin. Moi qui le croyais fini, mais Dre en a encore sous le pied. Il n’est pas encore mort, le vieux docteur, qu’on se le dise. Immense album rap. Déjà classique, pour moi.

Angie_Eklespri
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le 23 nov. 2016

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Angie_Eklespri

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