Transitus
5.5
Transitus

Album de Ayreon (2020)


Contexte de création



Alors qu'en 2008, suite à la sortie de l'album 01011001 l'auteur-compositeur multi instrumentiste Arjen Lucassen déclarait en avoir peut-être fini avec son projet phare Ayreon, il a fallu finalement attendre 5 ans et 3 albums de projets parallèles (Guilt Machine, Star One et un album solo) pour revoir Ayreon renaître de ses cendres avec l'album The Theory of Everything, abordant toutefois de nouvelles thématiques. Puis en 2015, c'est à nouveau un projet parallèle qui voit le jour sous la forme d'une collaboration avec la talentueuse Anneke van Giersbergen, sous le nom de The Gentle Storm. Autant dire que le grand monsieur hollandais nous avait habitué depuis quelques années à délivrer les albums de son principal projet au compte-gouttes !


Mais contre toute attente, les années suivantes remettront Ayreon sur le devant de la scène sur le long terme. Ainsi s'ensuivent The Theater Equation, remarquable adaptation live de l'album The Human Equation en 2015, puis sa sortie en DVD en 2016, l'album studio The Source en 2017, suivi de près par une nouvelle série de concerts best-of sobrement appelés Ayreon Universe et leur sortie DVD l'année suivante. Enfin, après une réédition anniversaire de l'album Into The Electric Castle également en 2018, suivie, encore, d'une nouvelle série de concerts autour de cet album et de la sortie DVD de ce show en 2020 (vous arrivez à suivre ?), c'est encore une fois sous l'estampille Ayreon qu'il nous revient cette même année avec un tout nouvel album : Transitus.


Toutefois, à l'instar de The Theory of Everything, les thématiques de cet album s'éloignent totalement des fresques SF de la saga des Forever. Et pour cause, puisqu'il était en fait initialement prévu que cet album fasse partie d'un nouveau projet plutôt ambitieux. En effet, tout est parti du souhait pour Arjen de réaliser un film musical, dans la grande tradition des années 70's, son propre Jesus Christ Superstar comme il aime à le dire.


Étant limité dans son budget, il décide que l'histoire ne sera pas une histoire SF mais plutôt une « ghost story » romantique et horrifique. Pour la première fois, il choisit son cast pas uniquement sur la voix mais aussi sur le physique de ses personnages qu'il veut mettre en scène. Très vite, les noms de Tommy Karevik et Simone Simons s'imposent pour Daniel et Abby, les deux rôles principaux de cette histoire d'amour impossible et tragique entre un riche aristocrate et une simple servante à la fin du XIXème siècle. Toutefois, découvrant entre temps le travail du groupe américain Oceans of Slumber mené par la chanteuse afro-américaine Cammie Guibert, il change son fusil d'épaule et offre à Cammie le rôle d'Abby, ajoutant à son histoire une nouvelle dimension puisqu'en plus de la différence de rang social entre les deux protagonistes s'ajoute également une différence de couleur de peau. Quant à Simone, elle sera finalement l'Ange de la Mort, un personnage taillé sur mesure pour elle afin de lui faire révéler son côté plus boute-en-train et décalé qui semble la caractériser, bien que cela ne transparaisse pas vraiment dans son chant habituellement (on se souviendra tout de même, dans le DVD bonus de 01011001, de son « dear penis » laché au lieu de « dear PX », ce qui peut nous donner en effet une idée de cette partie peu connue de sa personnalité).


Les choses avançaient donc bon train mais le Covid d'une part et le label d'autre part sont passés par là, l'un retardant la production du projet et l'autre suggérant du coup de transformer ça, pour le moment, en un album d'Ayreon. Quelques arrangements supplémentaires plus tard, l'album sonne probablement un peu plus à du Ayreon que ce qui était initialement prévu, mais... en différent ! Ce qui frappera sans doute en premier lieu, c’est le ton globalement moins heavy que du Ayreon traditionnel, mais également avec moins d’éléments futuristes, cadre historique de l’histoire oblige.



Le concept



A ce stade de cette critique, il est judicieux en premier lieu de développer quelque peu l’histoire de ce nouvel album concept, afin de pouvoir mieux analyser ensuite la musique en concordance avec le déroulement des faits. Pour ceux qui voudraient se garder la surprise, il y a évidemment un risque de spoilers mineurs dans ce qui va suivre.


Comme nous l’avons déjà évoqué, l’album nous raconte l’histoire d’Abby et Daniel, un couple que tout sépare. Lui est issu d’une riche famille blanche, elle est l’une de leurs servantes. Mais une autre épreuve va encore davantage mettre à mal leur histoire. Un soir, en effet, alors qu’elle quitte le lit de Daniel, Abby renverse accidentellement un chandelier qui va immédiatement mettre le feu à la maison. Abby parvient à s’enfuir, mais Daniel, persuadé sur le coup qu’Abby a agi volontairement, périt dans les flammes et dans l’incompréhension. Abby, en panique et se sentant coupable, va alors trouver son père Abraham. Sa conversation n’échappe pas à sa belle-mère Lavinia, voyante de son état, qui va d’ailleurs ensuite avoir une vision de Daniel, mourant dans les flammes en criant « pourquoi ? », ce qui va la troubler concernant l’innocence d’Abby.


Pendant ce temps, Daniel se réveille dans une sorte de purgatoire, un lieu hors du temps et de l’espace appelé Transitus, où les âmes sont conduites vers l’au-delà (the Great Beyond) ou vers l’enfer (The Underworld) selon leur conduite de leur vivant. Il y rencontre l’Ange de la Mort, qui va l’enjoindre à la suivre dans l’au-delà, mais Daniel s’y refuse. Il a en effet fini par comprendre qu’Abby n’avait pas pu agir volontairement et craint qu’elle soit accusée à tort. Il supplie l’Ange de la Mort à l’aider à blanchir son nom, ce que cette dernière finit par accepter. Après avoir contemplé le passé d’Abby et Daniel accompagné de ce dernier afin de juger si leur histoire mérite d’être prise en compte, elle va alors lui permettre de revenir sur Terre pendant sept jours et sept nuits sous la forme d’un fantôme, durée pendant laquelle il lui reviendra de trouver un moyen d’innocenter sa bien-aimée…


L’histoire n’est pas inintéressante mais pêche parfois dans la façon dont elle est menée et souffre de quelques incohérences. Par exemple, la façon dont Daniel se rend compte qu’Abby est innocente reste un mystère. Par ailleurs, les fameux sept jours et sept nuits ne sont pas exploités, on ne les voit pas passer et on a le sentiment qu’ils ne servent à rien, Daniel trouvant on ne sait trop comment une solution pour entrer en contact avec le monde des vivants au tout dernier moment. De même, certains personnages rencontrent l’Ange de la Mort dans Transitus, d’autre sur Terre sous forme de fantôme, et il semble que d’autres ne la rencontrent carrément pas. L’incursion d’Arjen dans ce type d’univers est après tout un coup d’essai et il n’est pas non plus raté, espérons que certains points soient corrigés ou éclaircis si un jour le projet initial de film musical devait voir le jour. Il faudra pour le moment considérer l’œuvre d’avantage comme un album et s’attarder sur la musique pour (peut-être) mieux l’apprécier.



La musique




  • La narration


Comme vu plus haut, musicalement, l’album est assez différent de ce à quoi on peut attendre d’un album d’Ayreon, mais incorpore toutefois quelques éléments familiers. Commençons par un aspect plutôt courant à l'univers d'Ayreon (ou même plus largement d’Arjen) : la présence d'un narrateur. Si le recours d'un narrateur n'est pas systématique dans les œuvres d’Arjen, il est toutefois récurrent et ce dernier aime à employer des figures reconnues et surtout véritables héros de jeunesse à ses yeux. La première trace de narration orale dans l'œuvre d'Arjen remonte à l'album Into The Electric Castle en 1998, où une voix, « Forever of the stars », guide les personnages tout le long de l'album. C'est alors Peter Daltrey, voix du groupe psychédélique des années 60's Kaleidoscope, qui s'y colle. Le rôle sera repris et réadapté 20 ans plus tard par l'acteur John de Lancie, connu pour son rôle de Q dans la saga Star Trek, lors des représentations live de l'album à l'occasion de son anniversaire. Quelques années plus tôt, Arjen avait fait appel à l'acteur néerlandais mais mondialement connu Rutger Hauer pour être la voix du Dr. Voight Kampf dans son album solo Lost In The New Real. Ce n'est donc guère étonnant qu'il fasse ici à nouveau appel à un acteur pour la narration, en la personne cette-fois de Tom Baker, le tout premier Doctor Who ! On imagine bien que la narration vient ici apporter quelques éléments de compréhension de l'histoire qui font défaut du fait de la transformation du projet en cours de route. Peut-être un tout petit peu trop envahissante, la narration s'intègre malgré tout plutôt bien à l'ensemble et la voix de Tom Baker se révèle séduisante et parfois impressionnante dans son jeu. Même si derrière, on reconnaît bien les mots (et les intonations) d’Arjen ! On peut en effet très bien l’imaginer réciter ces passages lui-même avec ce ton théâtral et la touche d’humour qu’on lui connaît. Il y a là fort à parier qu’il a dû envoyer des démos vocales à l’acteur (comme il le fait pour les vocalistes) et que ce dernier a dû les reproduire fidèlement !



  • L’introduction et ses thèmes et ambiances récurrents


Dès le début de l'album, donc, ce narrateur intervient pour nous avertir que l'histoire qui va nous être racontée n'est pas à mettre entre les mains (ou les oreilles) des âmes sensibles. L'histoire sera sombre et tragique ! On peut donc s'attendre à une musique particulièrement dark, et ce n'est pas le titre d’ouverture Fatum Horrificum qui va nous en faire douter. Lorsque la tracklist a été révélée, chacun a pu constater la longueur de ce premier titre de 10 bonnes minutes et imaginer un epic d’ouverture tel que Age of shadows (01011001) ou The day that the world breaks down (The Source). Il n’en est rien, et cela pourra décevoir (moi le premier), car Fatum Horrificum est en réalité une longue intro (presque) instrumentale en plusieurs parties qui, dans la tradition de certains opéras rocks, va explorer les principaux thèmes récurrents de l’album, ce qui peut déjà donner un aperçu des différentes ambiances que l’on va y trouver.


Dès la première partie de cette introduction intitulée Graveyard, et ce avant même la narration, le ton nous est donné. L'ambiance est grave et ténébreuse, soutenue par des murmures scandant des mots latins plutôt tragiques : « Fatum... Horrificum... Fatum... Inauditum... », soit « destin horrible, destin imprévisible/inconnu », une cloche qui sonne le glas, ou encore l'utilisation du cor (Alex Thyssen) apportant un effet à la fois grave, majestueux et cinématique. Après la narration (deuxième partie : 1884) viennent ensuite les vocalises fantomatiques de Dianne van Giersbergen. Cette dernière interviendra par la suite à plusieurs reprises tout au long de l'album dans ses moments les plus sombres. Si Dianne a souvent tendance à en faire trop dans le style lyrique, ici ses interventions sont justes et tombent toujours à point nommé pour souligner l'atmosphère mystérieuse et spectrale de ces moments. D’autres titres persisteront d’ailleurs également dans cette ambiance par le biais d’Amanda Somerville dans le rôle de Lavinia, l’intrigante belle-mère d’Abby qui possède des dons de voyance. Ainsi, les titres mettant en avant cette dernière, tels que Daniel’s funeral, Henry’s plot et Message from beyond, abhorrent une atmosphère mystérieuse qui sied très bien au personnage, et font personnellement partie des passages que j’apprécie le plus de l’album.


Mais revenons à l’introduction. Après cette mise en bouche plutôt noire, comme pour nous prendre à contrepied, c’est ensuite une belle section prog’ presque rassurante, comme Arjen ne sous a pas fait depuis longtemps et qui évoquera à coup sûr les Pink Floyd, qui vient prendre le dessus sur la troisième partie, Daniel and Abby. Comme son nom l’indique, ce thème est associé au couple formé par nos deux principaux protagonistes et renvoie ici directement au moment où le couple se retrouve dans la chambre de Daniel, juste avant la tragédie. On le retrouvera donc à d’autres moments clés de l’album concernant le couple. Si ce type de son, avec ses guitares planantes, se fait rare dans les dernières productions d'Arjen, on peut malgré tout penser par exemple à l'album Universal Mirgator pt. 1 qui explore ce genre de sonorités. Et le retour de ce type d’ambiance purement prog’, pour le coup, n'est pas pour déplaire !


L’introduction se poursuit avec la quatrième partie Fatum, et on se prend cette fois de plein fouet un gros chœur qui débarque pour reprendre les mots latins du début en développant encore davantage le propos tragique. Bien que déjà expérimenté sur les représentations live de l'album The Human Equation avec une chorale amateur triée sur le volet (utilisée également dans l'album de The Gentle Storm), le recours à un vrai chœur professionnel (Hellscore Choir) est une nouveauté dans l'univers d'Ayreon. Le moins que l’on puisse dire, c’est que son apport est saisissant et retranscrit très bien l’ambiance dramatique que l’on nous avait promis, et dont le climax interviendra plus loin sur le titre Inferno, où la chorale est de retour et se mêle au chant désespéré de Johanne James (batteur de Threshold derrière le micro pour l'occasion pour interpréter Abraham, le père d'Abby), ce qui en fait sans doute le passage le plus intense de l'album.


La cinquième partie de l’introduction, Why ?! met en scène Daniel (Tommy Karevik) pour ce qui s’apparentera plus à une onomatopée qu’à de véritables paroles (« Why ? No, no, no »), correspondant au moment de sa mort dans les flammes, et qui deviendra d’ailleurs un véritable gimmick du personnage tout le long de l’album, ce dernier répétant régulièrement ces « No ». Cela est suivi par une musique dramatique sur un thème que l’on retrouvera là encore à plusieurs reprises dans l’album.


Enfin, la sixième et dernière partie de l’intro, Guilty, est la seule partie véritablement chantée : Abby va trouver son père en panique et se blâmant elle-même de ce qui vient de se produire. Comme on peut s’en douter, le thème de la culpabilité est récurrent dans l’histoire et le thème musical associé reviendra donc lui aussi à plusieurs reprises. Si ce Guilty arrivant en fin d’introduction, n’est pas la meilleure piste de l’album, on notera l’originalité du titre Condemned without a trial, où tous les villageois reprennent le thème en chœur comme un hymne. Ainsi, ce titre est sûrement ce qui rapproche le plus l'œuvre de ce qu'elle devait être initialement : un film musical. Dans l’esprit, on n’est en effet pas si éloigné d’un Another day of sun de La La Land, par exemple, en un peu moins joyeux bien sûr. Le thème sera également à nouveau repris sur She is innocent, un titre saccadé dont le rythme s’accélère mais qui n’est pas un de mes préférés.



  • Des moments plus chaleureux, d’autres plus décalés


Cette longue introduction nous donne donc un bon aperçu de l’album, on l’a vu, par ces nombreux thèmes qui reviennent, et en dehors du passage prog’, confirme plutôt bien l’ambiance dramatique de l’album. Toutefois, contrairement à ce que l’on veut nous faire croire, ces passages sombres ne sont finalement pas si omniprésents, allant même parfois totalement à l’opposé.


L'album apporte en effet par moments un peu plus de chaleur que de coutume dans la musique, notamment par le chant aux influences soul de Cammie mais également par le jeu du batteur Juan van Emmerloot parfois résolument plus jazzy (Message from beyond ou encore Hopelessly slipping away, un des premiers titres à avoir été dévoilé et qui m’avait à l’époque beaucoup ému, construit sous la forme d’une montée en intensité qui n’atteint malheureusement pas le climax que l’on peut attendre, mais reste toutefois une des bonnes surprises de l’album). Eh oui, c'est un des premiers constats qui a dérouté pas mal de fans, cette fois-ci Ed Warby n'est pas de la partie derrière les fûts ! Là encore cela s'explique par l'orientation différente voulue pour ce projet avant qu'il ne devienne un album d'Ayreon. Ce serait même Ed lui-même qui aurait suggéré ce batteur à Arjen, avec qui il avait d'ailleurs déjà travaillé par le passé, donc aucune inquiétude à avoir sur les collaborations futures des deux messieurs !


Outre ces sonorités plus chaleureuses, un autre type d'ambiance plus surprenant encore, quoique pas si inhabituel chez Ayreon, est ce côté parfois décalé, créé notamment comme dit plus haut pour le personnage de l'Ange de la Mort avec ses Furies (Simone Simmons, Marcela Bovio et Caroline Westendorp). Les titres où ces personnages sont mis en avant (This human equation, Listen to my story et Your story is over) l'illustrent parfaitement, avec notamment sur ces deux derniers la présence de cuivres là encore inédite que sont la trompette et le trombone (Thomas Cochrane) et qui contribuent à apporter une ambiance type « cabaret » originale. A propos de ces trois titres, on retiendra d'avantage l'efficace Listen to my story qui offre en outre l'opportunité à Tommy Karevik de briller à plusieurs reprises, et son rappel inattendu Your story is over qui cette fois donne le rôle à Amanda Somerville. This human equation, en dépit de son titre qui fait référence à un excellent album, est moins marquante. Le chant de Simone est lisse et peu varié, et le côté un peu trop décalé à mon goût a du mal à prendre, ne trouvant pas de contrepartie dans l'efficacité du titre comme pour les deux autres. Seul le passage solo de Marcela et Caroline ressort mais ne suffit malheureusement pas à faire de ce titre l'un des plus mémorables.



  • L’Ayreon traditionnel au goût de fan-service


On l’aura compris, Transitus, par bien des aspects, est différent de tout ce qu’a pu nous donner à écouter le projet d’Arjen. Non pas qu’il n’a jamais développé de titres sombres, mais jamais au travers d’atmosphères fantomatiques ou théâtrales. Non pas qu’il n’a jamais proposé de titres décalés, mais peut-être pas à ce point. Et le tout est globalement moins heavy que du Ayreon traditionnel et propose également des sonorités plus chaleureuses. Et tout ceci, pour la bonne raison que le projet ne devait initialement pas être un album d’Ayreon. Mais le changement de cap dernière minute a probablement forcé Arjen à incorporer des éléments, voire même des titres entiers, plus « Ayreonesques ».


À commencer par le single Talk of the town mettant en avant Paul Manzi (ex-Arena), caractérisée par une intro style renaissance avec un son de clavecin et de flûte, qui ramène quelque peu aux influences médiévales de The Final Experiment ou plus globalement aux influences folks très présentes dans l‘œuvre d’Ayreon. Sur le refrain, impossible de ne pas penser cette fois à Dawn of a million souls (Universal Migrator pt. II) ou même à Digital rain de Star One. Peut-être pas des plus inspirés, ce titre, qui reste néanmoins très catchy, fait émerger le Arjen en mode pilote automatique que l’on a déjà connu sur The Source, trahissant peut-être un manque d’inspiration momentané dans ce style.


Autre single, autre titre catchy, Get out! Now! est le seul titre mettant en scène un Dee Snider efficace (Twisted Sisters) dans le rôle du père de Daniel, un père, comme souvent dans l'univers d'Arjen, peu compréhensif et n'hésitant pas à mettre son fils à la porte lorsqu'il apprend sa liaison avec sa servante. Une piste aux sonorités rock plus classiques, un peu décalé là encore, mais plutôt à ranger aux côtés de titres tels que Loser (The Human Equation) aussi bien dans son orientation musicale que dans sa thématique.


Toujours dans la pure veine « Ayreonesque », lorgnant cette fois-ci à nouveau vers les influences folks toujours très présentes chez Lucassen, Dumb piece of rock met cette fois-ci en avant Patty Gurdy avec l'utilisation du hurdy gurdy mais surtout Mike Mills (Toehider), là aussi pour sa seule intervention de l'album. Toujours impressionnant dans son débit de paroles, sa capacité à monter dans les aigus, son scat et son gimmick de superposition d’harmonies vocales, Mills ne parvient néanmoins pas à surprendre, l'effet de surprise n'étant plus vraiment là. Il délivre alors un titre correct, ni mauvais ni transcendant. Au vu de son succès dans les dernières productions d'Ayreon (c'est, comme Tommy Karevik, sa troisième participation consécutive à un album studio d'Ayreon et il a également participé aux lives The Theater Equation et Ayreon Universe ainsi qu'indirectement à Into The Electric Castle Live and Other Tales sous la forme d'un caméo vidéo, à chaque fois sous les acclamations d'un public conquis), on peut se demander si sa présence ici ne tient pas plus du fan service qu'autre chose. En effet, cette curieuse histoire de statue qui prend vie et son absence totale d'implication dans le reste de l'histoire mènerait presque à penser que tout ceci a été ajouté à l'histoire après coup pour intégrer Mike Mills au casting...


Enfin, on note également quelques petites ballades classiques (Old friend, Seven days, seven nights) mais trop courtes (car servant plus d’interludes) pour être réellement mémorables.



Le comic book



Peut-être pour compenser l'absence du film prévu originellement, en complément de la narration, l'album sort accompagné d'un comic-book illustrant l'histoire. Si le style graphique de Felix Vega, illustrateur pourtant assez reconnu dans l'univers du comic-book, est assez discutable – du moins dans l'univers d'Ayreon (on ne s'attardera pas sur les poitrines disproportionnées et trop mises en avant des personnages féminins, notamment l'ange et ses furies), il est amusant de constater que les personnages prennent bien les traits de leurs interprètes vocaux, avec quelques ratages toutefois (le personnage de Daniel par exemple ressemble bien à Tommy Karevik sur certains plans mais beaucoup moins sur d'autres, idem pour Simone Simmons, etc.). Par ailleurs, le comic permet de mieux comprendre l'histoire dans son ensemble car les chansons seules ne le permettent pas forcément, et ce malgré la narration. Les deux supports se complètent donc et on sent bien que le comic vient combler les vides laissés par l'absence de pellicule accompagnant la musique.



Conclusion



Après un The Source en mode pilote automatique, loin d’être mauvais mais trahissant peut-être un petit manque d’inspiration pour le projet Ayreon, Transitus offrait à Arjen l’opportunité de retrouver cette dernière en explorant de nouveaux horizons. Le contexte ayant transformé en cours de route le projet en un nouvel album d’Ayreon est donc à double tranchant, puisque d’un côté il peut dérouter le fan qui n’y trouve peut-être pas son compte dans ce qui s’éloigne le plus de l’univers attendu, et d’un autre, pour ce qui s’en rapproche le plus, il fait ressortir ce probable manque d’inspiration momentané d’Arjen dans ce style. L’album peut donc sembler déroutant de prime abord ; on n’y trouve pas forcément ce que l’on cherche, mais en prenant le temps de creuser cette œuvre, on y trouve tout de même beaucoup de choses intéressantes, notamment du côté de ces nouvelles ambiances fantomatiques, la chorale, ou encore le thème prog’ de Daniel et Abby qui fait plaisir aux oreilles. On regrettera cependant l’absence de titre long et épique, d’autant plus qu’on attendait Fatum Horrificum au tournant pour ça, au vu de la longueur du titre, mais qui ne sera finalement qu’une introduction présentant les différents principaux thèmes de l’album. D’ailleurs cette absence de titre long se fait d’autant plus sentir que beaucoup de morceaux sont assez courts, voir même trop courts.


Vocalement, rien à redire, Arjen sait toujours aussi bien diriger ses chanteurs... Tommy Karevik est toujours au top, le chant soul de Cammie Guibert peut dérouter mais apporte de la chaleur et de la nouveauté, et tous les autres personnages secondaires s'en sortent très bien, avec une petite mention personnelle à Amanda Somerville que je suis content d'entendre et dont j'aime particulièrement les différentes interventions dans son rôle de voyante intrigante manipulatrice et manipulée. On regrettera toutefois le retour vers un schéma utilisé dans les plus anciens albums et dont Arjen avait pourtant réussi à s'affranchir, où certains vocalistes restent un peu trop en retrait et n'ont qu'un rôle de backing vocal. Pour une fois que Marcela Bovio aurait pu briller à nouveau dans un album d'Ayreon, elle comme sa compère Caroline Westendorp sont au final très effacées, laissant la belle part aux vocalistes avec qui elles partagent leurs titres. Dommage.


L'histoire, presque aussi importante que la musique dans ce type d'œuvre, n’est pas inintéressante mais s'avère à la fois un peu clichée et parfois brouillonne, et malgré la bonne intention, la multiplication des médiums se complétant pour la raconter ne fait qu'augmenter la confusion. Par ailleurs, on ne peut s'empêcher de ne pas être un peu déçu de l'absence d'un petit twist final, ou mieux, de connexion à l'univers des Forever ou même (et surtout !) à celui de The Theory of Everything malgré quelques clins d'œil plus ou moins évidents. C’est peut-être mon plus gros regret, car j’avais nourri de gros espoirs là-dessus. Le personnage principal étant dans les deux cas interprété par Tommy Karevik, on avait déjà un terrain favorable. De plus, certaines paroles issues des singles présentés avant la sortie de l’album m’avaient fait faire – à tort – un lien entre les deux albums. En effet, dans Get out! Now!, le personnage de Daniel est dépeint par son père comme un enfant enfermé dans sa bulle et s’ouvrant difficilement à son entourage (« For as long as I remember / You've been lost inside your own damn world / Nobody can reach you / You're always on your own »), ce qui rappelle beaucoup le personnage du Prodige. Et dans This human equation, l’Ange de la Mort, en observant notamment Daniel, décrit les humains comme étant « charmants et désarmants » (« They can be charming / Uniquely disarming »). Des qualificatifs qui ne sont pas sans rappeler encore une fois, ceux qu’utilise la petite amie du Prodige pour décrire ce dernier (« His shyness is charming / I wish I could reach him / He's strangely disarming / I hope I can free him »). Des faux indices qui avaient de quoi attiser des attentes, car cela aurait pu apporter des éléments d’explication à la fin énigmatique de The Theory of Everything, par des histoires de réincarnation et de fantôme ayant pu aider le Prodige à résoudre l’équation de la théorie du tout.


Finalement, malgré certains défauts, Transitus reste donc un bon, voire très bon album musical, et une histoire divertissante mais moins passionnante que ce à quoi Arjen nous avait habitué. Cet album restera un OVNI dans la discographie du projet (la faute, donc, à un projet stoppé dans son élan et transformé en album d'Ayreon), et ne restera pas dans les mémoires autant que d'autres chefs-d’œuvre du hollandais. Transitus sonne donc un peu en demi-teinte dans la discographie du projet. Il n'a pas l'efficacité d'un 01011001, ni la finesse d'un The Human Equation, ni encore la trempe d'un Into The Electric Castle ou d'un The Theory of Everything. En revanche, après un The Source un peu plus lourd, il apporte un vent de fraîcheur qui reste très appréciable.

Créée

le 3 oct. 2021

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Evanizblurk

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JimKey
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Bof

Du Ayreon qui ressemble à du Ayreon. Il faudrait que Arjen s'impose des contraintes, change de projets, arrête de tout composer seul parce que les thèmes ressemblent à s'y méprendre aux vieux albums...

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