Ne vous laissez pas avoir par cette pochette ideuse, ce disque est une perle !

Benjamin Biolay : mec bourré de talents, qui parvient à combiner la qualité artistique et la commercialité prestigieuse. C'est bien simple, il n'y a aucun album à mettre de côté dans sa discographie (même son premier, "Rose Kennedy", très gonflé comme album inaugurateur). Musicien, poète, touche-à-tout lyrique, on a pourtant failli ne pas le voir faire long feu. En effet, "Trash Yéyé" a ceci de particuliers dans sa discographie qu'il devait être son dernier: à cause de sa non-rentabilité à l'époque, sa maison de disques voulait le virer ! Et puis, il a;monté tout seul son chef d’œuvre "La Superbe", et on connait la suite... "Trash Yéyé" est à l'évidence un échec immérité, et demeure un des sommets de Biolay, par son innovation, son intelligence et son atmosphère si prenante.
Le disque commence avec une ballade, "Bien avant". Chaud bouillant, on ouvre sur un chef d’œuvre. L'ambiance contredit les paroles. Ces mêmes lyrics qui masquent leur profondeur malignement, avec une mélancolie à couper au couteau, par une interprétation imprégnée par le propos. Les guitares derrière, notamment la soliste qui tressaille sur la deuxième partie, me foutent vraiment les frissons, pareil pour la voix féminine. Tout est, d'aspect, simple, mais dans le fond, c'est vertigineux de romantisme. "Douloureux dedans" est plus complexe dans sa musicalité, plus métallique aussi. D'ailleurs, sur le premier couplet, j'entends un tintement mécanique sur la voix de Biolay. C'est incroyable comment ce chanteur arrive à retranscrire la douleur de l'amour blessé (oui c'est le sujet central du disque, c’est pas aussi poussé que "Varsovie-L'Alhambra-Paris" de Saez mais c'est pas mal aussi dans cette catégorie) ; ici, on ressens dans les veines la descente du narrateur dans l'abandon. Encore une fois, la soliste vocale donne une inspiration mystique à l’œuvre. Même si elle se termine de manière un peu trop bizarre à mon goût... "Regarder la lumière" ne coupe pas l'élan créatif du bonhomme. Le mariage qu'il arrive à conférer à la musique symphonique avec le rock, ce qui a lui a valu d'être injustement rapproché à Gainsbourg (en dehors le morceau "Initials B.B" et "Melody Nelson", il n'a jamais particulièrement essayer), est clairement maitrisé pour un rendu dantesque. Le sujet est sauvageon, il y assume un certain égocentrisme qui devient émouvant. C'est Grand, tout simplement. "Dans ta bouche" revient à une forme beaucoup plus classique que les trois autres, c'est pour ça sans doute que j'accroche moins (malgré que j'aime quand même). C'est quand même là qu'on se rend compte à quel point des sentiments passe à travers notre transmetteur buccal... "Dans la Merco Benz" est, m'a-t-on dit, un des rares tubes de Biolay. Ça m'a surpris car, malgré son atmosphère très "Le vent nous portera", ça reste plutôt ambigu comme texte. Ballade mélancolique sous le soleil cuisant de l'illusoire. Avec ma foi un instrument peu utilisé dans l'introduction. "La Garçonnière" est hyper-intéressante dans sa structure, et débordante d’originalité. Sur un leitmotiv de basse hyper-simple mais génial, pour une ambiance poisseuse à souhait, Biolay susurre C'est pas la peine de faire comme si c'était bien... Mélange de virilité et de détresse, il conte une véritable lassitude sentimentale, en filigrane une défaite d'aimer. Le son étouffé d'une radio, à la fin, étouffe cette relation ultra-passagère (en plus avec une femme mariée), comme le narrateur est étouffé par ce qu'il n'arrive plus à ressentir. "La chambre d'amis" est sa chanson valorisée au piano. Avant, il en faisait sur chaque disque, et c'était toujours un des moments forts de l'album ("A l'Origine" avec "Dans mon dos" ; "La Superbe" avec "Ton Héritage"). Ici, ça ne rate pas. Les paroles sont délicieuses (Des films interdits/Aux moins de 18 ans/Et des dessins d'enfants..." ; "Dans la chambre d'amis, je suis mon pire ennemi"), la mélodie somptueuse de résignation. Il y a vraiment une impression d'"à quoi bonisme" qui flotte sur tout l'album, qui lui donne un côté défaitiste et antipathique. "Qu'est-ce que ça peut faire ?" a, pour une fois, un texte plus banal, mais une instrumentation d'enfer. Avec un pont qui rappelle un peu Moriconne, un clavier de folie et une batterie en pleine forme, c'est un pur moment de cri. Puisqu'au bout de la route, il n'y a qu'un grand désert ! Transition habilement discrète pour le prochain titre, "Cactus Concerto" (titre énigmatique expliqué grâce à ce vers !). Une autre particularité de Biolay est qu'il parvient à faire ressentir sur certains titres la part ultra-personnelle, si ce n'est pas complètement personnel, sans jamais le dire. Cette chanson en est pour moi le meilleur exemple. D'ailleurs, la façon de lâcher à la fin le Va au Diable ! ne trompe pas pour moi : il parle littéralement à une femme qu'il a connu, et on saura pas laquelle. Le récit cruel de sa chanson (effectivement, c'est une garce) allié à sa musique désertique (qui n'a, pour le coup, aucun rapport avec un concerto !) donne une chanson mémorable qui aurait mérité d'être rallongée. "Rendez-vous qui sait" est la deuxième chanson vraiment très accessible et classique dans sa forme. Elle reste un franc plaisir, surtout pour son intro qui accroche tout de suite. Et puis vient un de ses gros chefs d’œuvres, "Laisse aboyer les chiens" : urbanisme ultra-mélancolique, libertaire extrémiste, hymne à l'excès et à la liberté absolue, solitude accrochée aux frontons de la guerre quotidienne, amour voué à la mobilité constante, misanthropie romanesque... Tout ça qui passe quasiment dans un seul vers: Tu savais pas la consigne, mon cœur... La musique est encore une fois majestueuse (je commence à en avoir marre de répéter toujours la même chose !). C'est immersif, carrément, on est dans l'histoire et on s'attache instantanément au désespoir de ses narrateurs qui ne savent pas aimer sans brûler la vie par les deux bouts. C'est une chanson admirable. Le disque se termine, officiellement (parce qu'il y a un titre caché, mais pas franchement formidable), avec "les beaux souvenirs". Plutôt crever que mourir sans de beaux souvenirs ! Musique plus normale, mais texte vraiment hyper intéressant, qui touche à l'universalité. Ça parlera à chacun.
Pour conclure: c'est de la balle. Un album de caractère, qui n'a pas froid aux yeux et surtout pas aux oreilles.

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le 10 déc. 2017

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Billy98

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