Je reviens souvent sur certains disques comme on se repasse des vieilles photos. Tuber, le premier album de Bivouac, en fait partie. Et ce n’est pas seulement pour la musique, c’est aussi pour le contexte dans lequel je l’ai découvert.
Il y a des coïncidences qui font sourire : découvrir Bivouac alors qu’on passe ses journées à… bivouaquer. Je ne parle pas ici de camping tranquille, mais des bivouacs pendant les classes de son service militaire, ces nuits à dormir à la dure sous la pluie ou dans le froid, à attendre que les ordres passent. Et c’est exactement dans ce contexte, entre fatigue et monotonie que j’ai découvert cet album.
Un soir, un autre appelé m’a tendu une cassette. « Tu devrais écouter ça : Tuber, premier album de Bivouac ». Je l’ai glissée dans mon walkman, et là… la gifle.
Dès les premières secondes, j’ai senti quelque chose de différent. Ce n’était pas seulement des guitares nerveuses, c’était comme une échappée. Dans le dortoir, avec mon walkman vissé sur les oreilles, les riffs râpeux et la voix de Paul Yeadon devenaient une bouffée d’oxygène. Dans un environnement où tout semblait contrôlé, codifié, Tuber avait ce côté brut, désordonné, profondément vivant.
Il y avait un paradoxe presque ironique : la journée je portais l’uniforme, symbole de conformité, et le soir j’avais cet album qui transpirait l’authenticité, le chaos intérieur, la liberté pure. Chaque morceau me donnait l’impression de retrouver une part de moi-même, celle qu’on met en sourdine quand on marche au pas.
Je me souviens encore de cette cassette – un peu abîmée, la jaquette mal imprimée, mais elle passait de main en main comme une sorte de secret partagé. On ne parlait pas beaucoup entre nous, mais quand on s’échangeait de la musique, c’était plus fort que n’importe quelle discussion. Tuber est devenu ma planque mentale, mon refuge à l’intérieur de cette bulle militaire.
Quand je réécoute l’album, je n’entends pas seulement un groupe anglais influencé par le post-hardcore américain. J’entends ce moment suspendu, cette sensation de liberté retrouvée entre deux tours de garde. L’album n’est pas parfait, il est rugueux, parfois maladroit, mais c’est précisément ce qui le rend sincère et puissant.
Tuber n’a pas seulement été une découverte musicale, ça a été un échappatoire. Et c’est pour ça que, trente ans plus tard, il garde une place unique dans ma mémoire.