Atomic (S)trip
7.3
Atomic (S)trip

Manga de Atsushi Kaneko (2018)

La couverture parle d'elle même avec cette sorte de panthère woman la plume dans ses dents serrées et cette pose contorsionnée dans un mouvement étagé de haut en bas. C'est clairement un côté pop culture qui ressort, mais aussi un modèle de BD américaine avec les héros de comics et plus précisément les seconds rôles sombres, panthère woman et non Batman. On a une sorte de stylisation américaine rétro avec des lignes épaisses de contour et une sorte de mosaïque de points noirs et ponts blancs pour la transition des nuances sur le vêtement. On a les lignes de Z sur les plis des vêtements aussi, une double mèche qui descend drue avec une forme de lame dans une courbe gracieuse. La plume permet aussi de donner une idée de l'objectif de prestation artistique nerveuse et sauvage qui va rendre la lecture contrariante, ravageuse, et "destructrice" pour parler comme l'auteur dans les notes qui accompagnent ses récits.

La femme semble descendre comme un félin, et les récits ont une logique quelque peu à l'envers pour retourner le cerveau du lecteur. C'est de loin une des meilleures couvertures de manga qui soit. Dans le titre, il n'y a pas que le mot Atomic qui compte, il y a le mot "strip", et un titre original en japonais d'une partie des histoires publiées en recueil était "Comics". l'auteur interroge ce que c'est que faire la bande dessinée en interrogeant les limites de la narration dans un récit court.

On a aussi un fort aspect de pop culture américaine rebelle. On a des dessins de tête de chapitre qui s'inspirent des dessins des fanzines de punk et de rock garage. Par exemple, le dessin pour orner le titre du récit "Atomic ?" date de 1997 et s'inspire clairement d'une famille de dessins américains parmi lesquels la pochette d'un album d'époque (1990) des Devil dogs : Big Beef Bonanza ! du très bon rock de niche pas du tout connu du grand public. On a une voiture américaine défoncée sans toit et un chien démon rouge surdimensionné qui la pilote. Kaneko nous fait une voiture défoncée d'un autre genre mais sans toi avec deux monstres zombies crados surdimensionnés, le pilote et son passager. On a les roues qui font dragster par leur épaisser et le fait que celles à l'arrière sont plus grosses.

Ce volume est accompagné de commentaires de l'auteur avec quelques paragraphes de prologue et une double page à la fin d'avis de l'auteur sur plusieurs récits, mais des avis à la va comme je t'écris ça.

Il y a deux parties.

La première s'intitule Tatto girl(s). Il s'agit de la partie la plus récente, mais ce sont tout de même des histoires composés sur plusieurs années. Il y a un magazine "Tatto girls" qui sort une fois par an quand vient l'été, et pendant dix ans Kaneko y publiait à chaque fois un récit de quelques pages. La première histoire est très psychédélique. Les autres font un peu plus rentrer le lecteur dans un récit. La logique prend quelques coups. Il y a une fin d'histoire un peu cliché sur un braquage de banque, c'est l'histoire la moins bien, avec peut-être celel sur le point d'interrogation, mais tout de même il y a des tatouages un peu tordus et des explications sur les tatouages qui font qu'on a vraiment droit à l'expression d'un imaginaire barré et prenant.

Et c'est évidemment une expérience esthétique. On a une pratique inhabituelle dans l'univers du manga, c'est clairement plus du côté des comics pour les traits épais, le style des dessins. On a un jeu de chamboulement sur l'image qui fait BD onirique. Dans le domaine japonais, on pense inévitablement à Taiyou Matsumoto. Par exemple, on a des dessins tournés à 90 degrés en bande horizontale sur toute la largeur de la page, où donc le haut et le bas est couché de gauche à droite, procédé utilisé dans Zero de Taiyou Matsumoto (publié par le même éditeur avec une couverture un peu équivalente) et qu'on retrouve ici. Après, on retrouve les clichés pas vraiment ouf des mangakas japonais, le "fuck you" tatoué sur les lèvres, le côté "tu me trompes, mais je m'en fous, puisque je me casse !" Moi, personnellement, ça me fait peu d'effet, je trouve ça vain et faux, mais bon l'esthétique y est donc j'apprécie la lecture.

Cette partie contient un autre récit inédit qui ne fait pas partie de la série Tatto girl(s), le récit Fuck forever. Le titre fait encore très garage rock, "sixteen forever" est le titre de chanson qui me vient à l'esprit, au-delà de son évidence crue. C'est un récit particulièrement déconcertant puisqu'il finit en queue de poisson et son développement a un côté immoral désinvolte très particulier qui fait qu'on se demande comment ça va finir, et justement ça finit en queue de poisson.

La deuxième partie est plus ancienne, on sent la différence, mais c'est aussi très expérimental. Il s'agit de la réédition de l'ancien recueil "Atomic ?" sorti en 2001. Le titre nouveau des deux parties est "Comic", mais l'éditeur français a opté pour une adaptation "Atomic strip" à partir du titre de la seconde partie. Parlons de l'esthétique On a un jeu de brouillage sur des lignes de contours doublés avec un coloris orange. On a des récits où les personnages sont laissés en blanc, tout le reste des cases étant en orange, et on a des pages avec seulement une partie en case et le reste négligemment blanc avec un peu de paragraphe de texte mais un truc très aéré qui fait volontairement inachevé. L'auteur développe plus nettement la narration, mais on a des histoires étranges et dérangées avec parfois de très violents court-circuits. Le récit Cosmic ? est remarquable. C'est celui qui a des lignes doublées qui fait que tous les dessins ont un côté brouillé. Nous avons le principe à la Tezuka de cases aux contours en nuage pour les scènes de souvenir ou de pensées. La dernière page, on a un très habile jeu de bulle de parole sortant des limites de la case, principe encore une fois inspiré des habitudes de Tezuka, mais la subtilité vient de l'élargissement final, tant au plan spatial qu'au plan de la rupture logique. Je ne vous dis pas la chute de l'histoire, elle n'est pas que sur le dessin unique de la dernière page, elle est fascinante avec l'avant-dernier dessin, une illustration sur une double page. C'est un gag peu étonnant dans les années 90 et vu l'influence américaine, mais c'est superbement amené, c'est superbement exécutés, je vous laisse découvrir ça.

Le récit "Satanic ?"est marquant également, cette fois plus par le contenu que par l'esthétisation. Là, c'est vraiment le basculment horrifique de l'histoire et la mise en scène inquiétante du personnage. Avec l'oeuf sur la poële, on a un côté monstrueux à la Dexter avant l'heure. L'auteur dit ne pas l'aimer, qu'il peut mieux faire et il ne lui consacre que trois lignes, mais justement je constate que l'histoire pour une fois domine en intérêt sur une eshétique moins prégnante.

Super Bonbon est aussi l'un des récits les plus surprenants quant à la cassure du récit, il est quasi vers la fin du volume et sa conclusion est sans doute une des plus propres à porter l'espèce de message lunaire que l'auteur véhicule tout au long de sa production de récits déjantés.

Smile for me est un récit aussi assez impressionnant, c'est le récit avec des dessins en couleurs, les autres étant en noir et blanc ou en bichromie. On a un début au milieu des choses avec un personnage en train de songer, ce qui nous empêche de comprendre le contexte, puis celui-ci se révèle. Le gars est en train de risquer sa vie vu la situation, mais il se laisse aller à ses pensées, oublie le présent, et il finit par avoir une préoccupation saugrenue et la chute du dernier dessin achève de souligner l'étrangeté psychologique du personnage.

Voilà, j'en ai assez dit. Pour vous, bonne expérience de lecture originale en perspective.

davidson
7
Écrit par

Créée

le 29 déc. 2023

Critique lue 2 fois

davidson

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