Beelzebub
6.2
Beelzebub

Manga de Ryūhei Tamura (2009)

Avec un scénario, c'est mieux

S'il est question d'une intrigue s'occasionnant par l'arrivée d'un nourrisson improbable, je ne puis qu'être en proie au traumatisme suggéré par quelques lectures passées. Ça se présentait pourtant bien. En tout cas, l'idée de base restait correcte. Passable dirons-nous. Passable, c'est déjà beaucoup quand on n'attend rien d'un Shônen. Mais passable, Beelzebub ne le fut que le temps de ses premiers pas.


L'amorce est engageante ce qu'il faut pour nous enjoindre à poursuivre passé le premier chapitre pourtant cahoteux. L'agencement des planches y était assez confondant, les transitions d'une case à l'autre parfois absentes et contribuant à instiller en nous un sentiment de malaise et d'incompréhension à la lecture. Il est tout de même curieux d'avoir le mal de mer en lisant depuis le plancher des vaches.
Il y a de l'humour. Trop farouche, je ne m'y suis pas toujours laissé prendre ; toutefois, les gags n'étaient pas de ces drôleries poussives et envahissantes que l'on aurait pu lire dans foultitude de Shônens sans la moindre créativité. C'est relativement nouveau et, s'il n'y a pas de quoi se faire des crampes aux zygomatiques, ça vise juste une cartouche sur un dix. Bien entendu, le faisandage coutumier qui ne manque (presque) jamais de flétrir les Shônens, à compter d'une durée de parution plus ou moins longue, rendra très vite l'humour - comme le reste - parfaitement inopérant.


Il y aura de toute manière peu de choses sujettes au pourrissement chez Beelzebub puisque l'ensemble est déjà nettement gâté dès le départ.
Le devanture préfigure le reste. Je pourrais me perdre dans une tentative de description bricolée minutieusement pour tenter de vous situer le dessin, mais je préfère m'en tenir à un adjectif : c'est moche. La laideur n'est pas une fatalité en soit, bien qu'un lecteur avisé cherche en principe à la fuir, mais ici, c'est moche et impersonnel. Même des compositions graphiques que la litote pourrait concevoir comme rudimentaires ont au moins un trait qui leur est propre. «Ce dessin est une chiure mais il a au moins le mérite d'être le mien» peuvent se rassurer les artistes les plus malhabiles. Cette consolation de troisième ordre, Ryuhei Tamura ne peut même pas y souscrire alors que son dessin ajoute du conventionnel au minable.
Les personnages partagent tous ou presque le même visage. Les traits ne sont pas minimalistes - supposant alors une certaine fonctionnalité dans leur conception - mais pauvres. Et comme tous les pauvres qui cherchent à avoir l'air plus riche qu'ils ne le sont, ces anomalies graphiques présentées comme des dessins de manga se ruineront sous les trames à pas cher entre autres crayonnés épais et disgracieux. On cède aux impératifs de la mode pour devenir finalement plus quelconque qu'on ne l'était au départ. Il n'y a rien à retirer des dessins si ce n'est une conjonctivite maligne.


Le trait a en plus le mérite indicible et honteux d'être taillé sur mesure de sorte à en épouser le fond de l'œuvre. La devanture ne ment pas sur la marchandise, hélas.
Pour ce qui est des personnages : un idiot violent Nekketsu-type, son ami plus raisonnable pour lui prêter la réplique et une Lolita-gothique. Nous ne sommes pas très haut perchés sur l'échelle de l'originalité éditoriale, et il faut en plus se dire que le reste du bestiaire se situe encore en dessous. Pas de personnages travaillés-main avec le savoir-faire de l'artisan pour leur donner vie derrière, plutôt des caricatures standardisées achetées et à jeter par lots entiers.


La seule constance que l'on retirera de l'œuvre tiendra à sa perpétuelle indécision quant à la direction à prendre. Perclus vingt-huit tomes à ne pas savoir où aller, Beelzebub avancera à l'aveugle pour revenir à son point de départ, non sans s'être lourdement cogné dans les murs au préalable.
Un bébé, un loubard, le monde des démons en embuscade, de la baston ; le postulat laissait clairement entendre une resucée de Yuyu Hakushô ; le plagiat d'un Shônen correct eut alors été préférable à ce qui nous fut servi en guise de substitut. Beelzebub se sera essayé à tout avant de réaliser qu'il n'était bon à rien. L'humour, on a vite-fait le tour de la question. Les combats sont bien évidemment fouillis et démunis du moindre tonus qu'aurait pu engendrer une mise en scène de toute manière absente. Les premières bastonnades ont tout de celles d'un Reborn en moins chargées graphiquement ; l'auteur étant aussi économe dans la dispense de l'encre que de son talent.
Sans motif ni direction vers laquelle s'orienter, le manga se perd. Il erre sans but et son exode dans le désert vers lequel il nous traîne n'aboutira à aucune finalité - en atteste ses derniers chapitres. Il nous faut alors le suivre sans raison dans un périple qui n'en est pas un, où l'improvisation n'aura d'égal que l'amateurisme.


Du Gintama clopinant, c'est vers ça qu'on tend. On s'essaie à tout en espérant occasionner chez son lecteur une réaction autre qu'un état de mort cérébrale. Gintama savait faire rire et ses personnages lui rendaient la tâche aisée. Versatile, l'œuvre retombait toujours sur ses pattes quelle que fut l'itinéraire entrepris, car, elle, savait où elle allait.
Tenter pour la finalité de tenter comme s'y affairera Beelzebub ne le mènera évidemment nulle part. Même à s'essayer à du volley, l'auteur ne résiste pas à son instinct compulsif de résoudre l'affaire par un combat au nom d'un quelconque impératif d'honneur, de justice, ou de niaiserie du même acabit. Non seulement ça ne sait pas ce que ça fait, mais ça trouve en plus le moyen de mal le faire. J'ignorais qu'il était physiquement possible de se planter aussi triomphalement.


Quand s'ébauche alors un soupçon d'intrigue rudérale en lien avec le script originel, il se veut évidemment prévisible à des kilomètres autant dans son déroulé que sa conclusion. La seule valeur ajoutée distinguant Beelzebub de tout autre Shônen étant son imprécision perplexe à l'origine et la conclusion de toute chose se profilant dans le scénario. Ça n'a même pas le mérite d'être aléatoire puisque le hasard trouverait encore moyen de surprendre. Je ne comprends pas ce que le manga cherche à exprimer, ce vers quoi il achemine. Lui-même ne le sait pas.
Perdus que nous sommes à notre tour dans ce flottement timoré et brumeux, nous naviguons à vue sur une embarcation dont on se demande encore où elle va ou même si elle a seulement largué les amarres. À force d'indécision à ne pas savoir vers quoi s'orienter, Beelzebub trouve en plus le moyen de se scléroser.


Tamura tente des trucs. Une piste d'intrigue qui restera inexploitée par ici, un personnage secondaire dont il ne saura plus quoi faire ensuite par là ; il sème, il plante mais il n'arrose pas. De cette moisson éditoriale nous ne récolterons que la disette. L'œuvre est le récit de sa propre agonie, elle est venue au monde sans savoir pourquoi et ne trouvera jamais la voie pour s'accomplir.
Nous sommes présentés à la quintessence du Shônen super low-cost ; le dessin trouve moyen d'être en-dessous du niveau de banalité admissible et se met au service d'une composition assumant n'avoir aucune ambition, ignorant même ce qu'elle pourrait faire de ses personnages.
À la question «Pourquoi veux-tu dessiner un manga», l'auteur répondrait «Pour dessiner un manga». Ryuhei Tamura n'a rien à raconter, il le sait, mais ne peut s'empêcher de se confondre en une série bavardages stériles sur vingt-huit tomes, prétendant alors avoir ainsi accouché d'un scénario.


L'auteur se sera donc exercé un court temps à du simili-Gintama en mettant en scène ses personnages dans des situations du quotidien absurdes sans parvenir à être drôle. On en revient toujours aux combats de toute manière. Pas de répit dans la chienlit, on continuera de s'indigner du vide conceptuel sans interruption.


Quand un auteur de Shônen ne sait pas quoi écrire, il enchaîne simplement les combats brouillons et faussement enragés jusqu'à ce que le lecteur atteigne son seuil de saturation et ne se demande ce qui est advenu du scénario. D'ici là, la supercherie peut durer des dizaines de tomes durant. Vingt-huit en l'occurrence ; vingt-huit tomes condensés de lecture fastidieuse au rendu incertain.
Des arcs improvisés se succèdent, chaque nouvel enjeu se présentant sans préambule aucun. On trimarde mollement sur un chemin nu qui n'a pas de fin ou de finalité. Quelques pistes scénaristiques laissées à l'abandon surgissent parfois à nouveau sans qu'aucun lien logique ne nous y ait préparé. Un soubresaut d'épileptique soudain quand l'auteur ne sait plus quoi raconter.


Entre fade et quelconque, l'œuvre n'a rien de mémorable à nous proposer et s'en contente sans rougir. Beelzebub ne fut pas tant un manga qu'un business plan de plusieurs années orchestré de sorte à ce que son auteur en tire ce qu'il faut pour payer ses facture. De passion, l'œuvre en est tout bonnement dénuée ; elle aura été écrite pour de mauvaises raisons.
Ça ne cherche même pas à compenser la tiédeur avec la démesure coutumière des Nekketsus en fin de règne ; à vrai dire, ça n'essaie même pas à en juger la bataille finale de deux chapitres. Il n' y a ni gravité ni implication des personnages dans le récit. T**outes les bonnes idées sont laissées en friche** ; la terre des démons n'aura pas été exploitée le moins du monde. Le reste non plus d'ailleurs.


Comme un aveu avant d'expirer, la dernière réplique de l'œuvre fut «Bel n'a pas grandi du tout». Effectivement, personne n'est jamais ressorti grandi de la lecture de Beelzebub, pas même ses protagonistes. Cloîtré et perclus dans un marais d'indéterminations poisseuse, ce Shônen n'aura jamais réellement pris forme. Il ne s'agissait guère que d'une fausse-couche éditoriale dont le râle d'agonie - constituant son seul et unique cri - n'avait que trop duré ; la vie laborieuse d'une entité qui ne voulait pas exister et qui nous le faisait ressentir à chaque page.

Josselin-B
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le 25 mai 2020

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Josselin Bigaut

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