J'ai remarqué que l'ennemi n°1 des jeunes auteurs dans les festivals, ce sont les bourses de BD (pour les romanciers, ce sont les bourses de livres). En effet, les gens vont claquer tout leur fric chez ces vendeurs de seconde main, puis font le tour des auteurs et là nous assène du traditionnel : "ha mince je l'aurais bien acheté mais j'ai plus assez". Super ! Alors, quand on est français dans un salon français, il reste toujours le chéquier, du moins pour ceux qui ne l'ont pas volontairement oublié chez eux afin de ne pas céder à de viles tentations et ainsi se retrouver à vivre une fin de mois difficile, mais pour les belges qui n'utilisent plus de chèques depuis longtemps, c'est un peu la galère. Bon, comme ma compagne travaille en France, elle a ouvert un compte français, je peux donc encaisser les chèques. Mais ce fut toute une histoire pour en arriver là. Je me souviens mon premier chèque reçu, d'abord j'ai cru pouvoir l'encaisser à ma banque facilement : le banquier m'a appris que les frais de dossier sont élevés, que ça prend 2 semaines minimum et qu'à chaque semaine supplémentaire, des frais de dossier supplémentaires sont prélevés (et c'est fréquent quand c'est un chèque qui vient de France) et que donc, sur un chèque de 16€, il ne me restera plus grand chose une fois la transaction effectuée ; j'ai dû renvoyer le chèque aux gens, leur demander de le refaire au nom de ma compagne, heureusement, ça s'est bien passé, elle a pu encaisser à sa banque (après il a fallu qu'elle signe divers papiers pour avoir le droit de virer son argent du compte français sur son compte belge sans devoir aller à la banque - je n'ai pas trop suivi l'affaire, mais apparemment, comme elle a ouvert un compte gratuit, ce n'est pas simple de réaliser une simple transaction entre deux pays). Soit. Tout ça pour dire que, n'ayant pas beaucoup de monde parfois à mon stand, je fais un petit tour (en général, le dimanche, entre 13 et 15h, c'est très calme). Et c'est ainsi que je participe au fléau même qui me ruine : j'achète des BD de seconde main. En même temps, il y a parfois de belles occasions, comme ce "Chroniques de Jérusalem" qui ne m'aura coûté que 15€ (le prix d'origine n'est pas indiqué mais vu l'épaisseur j'imagine qu'il coûtait au moins 25). Alors j'en profite. Comme ça je viens pas pour rien. J'aurai p'tet pas vendu grand chose, mais j'aurai ramené de la lecture. Forcément, après, je ne peux nier que partir en festival demande un certain budget, que je suis en perte... mais c'est à ça que sert mon job de prof aussi : plutôt que de partir en vacances, je pars en festival, j'auto-publie quelques vieux projets, j'investis dans du matos promotionnel... et j'achète des BD.
Guy Delisle, c'est ma compagne qui m'a fait connaître avec la trilogie du guide du père. Enfin, j'avais déjà lu un de ces tomes en librairie, mais chut, faut pas lui dire. J'apprécie son style graphique. Lorsque j'ai appris qu'il avait réalisé des BD sur ses voyages avec Médecins sans Frontières, je me suis dit qu'il fallait choper ça. Et ce "Chroniques..." est le deuxième de ses bouquins de ce genre que je me lis. C'est pas mal. C'est un peu trop factuel par moment. Surtout que c'est dense, et parfois c'est dur à digérer. L'auteur prend parfois quelques raccourcis et on ne se souvient plus de tout, donc on passe à côté de certaines choses, ou bien on ne se rend pas bien compte. La narration n'est donc pas des plus rigoureuse. Certaines anecdotes paraissent coupées aussi : on voudrait que l'auteur aille plus loin. Au lieu de ça il s'arrête et passe à autre chose. C'est donc un peu frustrant. Mais c'est aussi instructif : on en apprend sur le conflit mais aussi sur la vie de tous les jours (même si on ne sent pas assez l'immersion). Pas mal de thème tombent à l'eau, des choses qu'il aurait été intéressant de relater, comme l'éducation de ses enfants, leur regard sur cette société. En fait, il y avait énormément à dire, l'auteur a forcément dû trancher afin de ne pas se retrouver avec un bouquin de 2000 pages, mais disons que le problème est qu'il n'arrive pas à totalement virer ce qui ne sera pas raconter. Il laisse planer un espoir qu'il pourrait en parler. Et ça reste un peu brouillon : il aborde plein de sujets puis les abandonne.
Graphiquement, c'est toujours impeccable : son style minimaliste fonctionne bien avec le fond journalistique. Dommage que l'on ne puisse pas voir davantage de pages de son carnet. Le découpage est globalement réussi ; de temps en temps, on a l'impression qu'il finit trop vite son récit et que la ou les dernières vignettes sont plus du remplissage qu'autre chose. Le jeu de couleur fonctionne assez bien (juste pour le sang, pas sûr que c'était vraiment utile de le faire sortir à ce point quand tout le reste est si sobre alors qu'on trouve déjà des marques de violence). Les compositions sont bien construites. C'est parfois très géométrique (voir la scène où il quitte son atelier la nuit) grâce à son trait très simple, ses décors minimalistes. Les personnages ne sont pas hyper expressifs mais ça ne dérange pas plus que ça étant donné que nous sommes plus dans le raconté que dans le vécu.
Bref, ça se lit assez agréablement, même si on voudrait que ça aille plus loin, que ce soit moins froid, moins distant.