« C’est le diable qui tient les fils qui nous remuent » ou les as, le pacte et Méphistophélès

Excellente surprise que cette série de cinq albums consacrés au sergent Nikolaus Wedekind, tout jeune pilote projeté dans la fournaise en février 1945, à l’heure même où le IIIe Reich s’effondre dans un titanesque crépuscule des dieux. Le scénario mêle habilement recherche historique et plongée dans le fantastique. Olivier Pinard a travaillé son sujet, les situations sont réalistes, les missions parfaitement construites. Tout, des amphi-cabines aux passages de consignes, sonne juste.


Le dessin d’Olivier Dauger surprendra. Sa ligne claire est soulignée par des à plats de couleur uniformes, manifestement posés à la tablette numérique. Ses avions sont magnifiques, il multiplie les angles et les décors, mais aussi les adversaires, B-17, B-24, P-38, P-47, P-51 et autres Yak-3. Ces paysages sont réussis, il excelle dans la présentation des plaines russes. Ses humains sont moins bons, les visages souvent cabossés. Il peine à reproduire un même personnage. Par chance, le casting est réduit à Nicolaus, son frère Johannes et au trio d’Experten. Le style évolue dans le dernier album, l’encrage, plus proche des comics des années 50 ou 60, est désormais manuel. Les cases sont plus grandes, l’ensemble semble hâtif, comme si Dauger avait hâte de se débarrasser de son héros.


Nikolaus est muté à la JG 7. Confrontée à une pénurie, d’avions, de carburant et de pilotes, l’escadre se révèle fantomatique. Cependant, elle est dotée des mythiques et ultramodernes Me 262. Bien que de courtes séquences nous présentent l’État-Major, la résistance ou des exécutions sommaires, le scénario se concentre sur l’apprentissage de Nicolaus. Le néophyte s’initie au jeu périlleux d’une guerre menée à un contre cent. Le Reich est désormais réduit à une peau de chagrin. Il survole une armée en déroute, un pays détruit. Nicolaus est cornaqué par trois alter Adler, les as Jünger, Sturm et Lothar, vétérans indestructibles, cyniques et désabusés. S’ils se gardent bien de fraterniser avec des recrues statistiquement condamnées à périr avant le terme de leur troisième mission, ils introduiront le jeune et brillant impétrant dans leur cénacle à la fin du tome 4. Le dernier opus est consacré à la carrière de Johannes, son frère aîné, digne émule des Adolf Galland, Johannes Steinhoff, Erich Hartmann, Emil Lang, Hans Joachim Marseille, autant d’as que l’on croise au détour d’une page. Mais, le premier rôle n’est-il pas réservé à Fisto ? Le troublant chien des enfers, mieux dessiné que ses maîtres, le compagnon et protecteur des Experten. Ont-ils tous signés le pacte de Méphistophélès ? Faust écrivait : « Je suis allé plus loin que vous ne le pensez et j’ai fait une promesse au démon avec mon propre sang, d’être sien dans l'éternité, corps et âme ». Fisto est un bien piètre démon, qu’a-t-il à gagner à troquer la gloire et la survie contre des âmes déjà perdues ? Car la vaniteuse armée teutonne a vendu, collectivement, son âme depuis des lustres. Vae victis.


PS Critique de l’intégrale parue fin 2016.

Step de Boisse

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