Je sais que je lui reprochais d’être froid et antipathique dans ma critique du premier volume d’Au-delà des Nuages, mais je dois reconnaître que lorsque démarre le tome 2, intitulé Combats, le pauvre Pierre n’a guère de raisons de sourire et de faire la fête : défiguré dans un grave accident survenu durant une course d’avions aux USA, il a vu sa copine, la jolie Marie, le larguer pour rejoindre… son rival Alan. Outch, dire que je me plains de mes mauvais jours au bureau…


Au fond du trou, notre sosie de Jean Mermoz semble bien décidé à rejoindre son alter ego historique (disparu au-dessus de l’Atlantique en 1936, rappelons-le) au paradis des pilotes puisque, l’alcool aidant, il devient une espèce de Ghost Rider volant, trompe-la-mort traversant des cercles de feu avec son biplan Bucker Jungmeister, tout en cachant ses horribles brûlures derrière un masque de cuir, tel un catcheur mexicain.


Entre-temps, Alan, rongé par le remords (je vous avais dit que c’était pas le mauvais bougre), va se racheter une conscience en plaquant Marie pour rejoindre les volontaires américains de la RAF, aux prises avec la Luftwaffe nazie, la Seconde Guerre Mondiale ayant éclaté. Pierre l’apprend par-hasard et traverse lui aussi l’Atlantique pour s’engager dans l’escadrille Alsace, composée des meilleurs pilotes de la France Libre.


Je m’en veux d'enchaîner direct sur les errances du scénario, mais… pardon ? Si Pierre tient vraiment à retrouver Alan, n’aurait-il pas été plus facile de le faire pendant que tous deux étaient en Amérique, pays alors en paix ? La réponse est clairement oui, puisque lorsqu’ils se revoient Alan fait désormais officiellement partie de l’USAAF… engagée en Europe près de trois ans après les batailles d’Angleterre et de France.


Disons-le franchement, Hautière n’avait besoin que d’un prétexte pour les envoyer au charbon. Mais pourquoi ne pas jouer sur la carte patriotique de Pierre ? Il doit tout de même en avoir un minimum, puisqu’il sert dans les FFAL ! Non, au lieu de cela, monsieur attend gentiment que son pays se fasse envahir et se décide à bouger uniquement après avoir vu une photo de son rival dans la presse. Quand je vous disais que c’était difficile de le trouver sympathique !


Mais bon, passé cette entrée en matière maladroite et une fois les choses sérieuses commencées, l’album monte très vite de plusieurs crans. De son propre aveu, Hugault avait fait Le Dernier Envol pour « le plaisir », et cela se ressentait : il s’agissait surtout pour lui de se faire plaisir en dessinant là un P47, là un Zéro, etc, l’histoire passant au second plan. Ici c’est l’inverse, les avions se retrouvent au service de l’histoire.


Or dans le bien-nommé Combats, le jeune artiste et son complice Hautière sont clairement allés cherchés l’inspiration chez leur glorieux aîné, Pierre Clostermann, plus grand « as » français de la Second Guerre Mondiale avec 32 victoire, membre de l’escadrille Alsace et auteur du célèbre roman autobiographique Le Grand Cirque. Si vous ne me croyez pas, je vous signale que « Clo-Clo » a un caméo dans l’album, de même que son commandant René Mouchotte, autre figure légendaire des FFAL.


Escortes de convois, attaques d’aérodromes, protection de bombardiers… tout ce que Clostermann raconte avec brio dans son livre, l’autre Pierre se retrouve à le faire dans la BD, ce qui confère à ces fameux Combats un caractère beaucoup immersif et réaliste que sur ses deux premiers albums. Non seulement les batailles aériennes sont autrement plus trépidantes que les ronds dans l’eau de la Van der Bilt Cup, mais Hugault varie enfin sa palette de couleurs pour l’adapter au brouillard sinistre de la Manche et à la grisaille des ciels néerlandais ou allemand dans lesquels s’affrontent les Spitfires MKV de l’Alsace et les Bf-109 de la Luftwaffe.


En plus d’agrémenter son tableau de chasse, Pierre gagne également en sympathie, notamment grâce à sa relation quasi-paternelle avec son ailier, un jeune blanc-bec prénommé Jean. Alan devient presque anecdotique dans tout cela, mais ce n’est pas plus mal, la relation entre Pierre et Jean étant en fin de compte plus intéressante – et bénéficiant d’un joli twist à la fin de l’album.


Alan n’est cependant pas celui qui s’en sort le plus mal : la pauvre Marie, pourtant essentielle au premier tome et généralement dépeinte comme la plus raisonnable du trio, n’a droit qu’à quatre misérables cases au début de ce deuxième opus ! Je veux bien que la Seconde Guerre Mondiale fut une affaire d’hommes, en tout cas sur ce front aérien-ci, mais cette quasi-disparition n’en est pas moins regrettable et, outre le début un peu bof, constitue le seul véritable problème de l’album. Je ne peux m’empêcher de songer au personnage de Kate Beckinsale prise entre Ben Affleck et Josh Harnett dans l’immonde navet Pearl Harbor de Michael Bay, d’où mon titre peu flatteur.


Cette funeste comparaison ne doit cependant pas obscurcir le fait que Romain Hugault allait bien corriger le tir dès sa prochaine création, ni surtout que Combats clôt en beauté ce dyptique très réussi, un véritable... bijou de la BD d'aviation.

Szalinowski
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le 5 févr. 2019

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