Debout l’humanité d’Osamu Tezuka

« Pourquoi l’homme passe-t-il sans cesse de la paix à la guerre ? La paix est-elle faite pour la guerre ? La guerre est-elle faite pour la paix ? »
1967, en pleine guerre du Vietnam et à l’aube du déchiffrage du code génétique, TEZUKA, nourrit de l’actualité et du roman La Guerre des salamandres de Karel ČAPEK, donnera naissance à Debout l’humanité, une oeuvre expérimentale de ces thèmes forts.


Le manga débute sur une île fictive dans un pays d’Asie. L’horreur de la guerre bat son plein. Les champs de bataille sont remplis de cadavres et les villages sont entièrement massacrés. Notre protagoniste principal, Tenka Taihei, est un déserteur. Manque de chance son exode sera de courte durée, il sera emprisonné. Il échappera à une mort certaine grâce à ses spermatozoïdes dotés de deux flagelles. Ces derniers peuvent donner naissance à des êtres asexués, créant ainsi un humain de troisième type.


Dès lors son sort est scellé, il doit aider la science à des fins militaires. La curiosité de l’Homme prend le pas sur l’Humanité, seule la découverte scientifique est importante et peu importe les dommages collatéraux. La morale et l’éthique scientifique sont mises à mal tout au long de l'œuvre. Tenka Taihei sera considéré comme le géniteur de cette nouvelle espèce humaine et se verra privé de sa liberté.


Qu’est-ce que ce troisième genre a de si spécial ? À quoi pourrait-il servir pour l’Homme ? Ces bébés éprouvettes asexués sont manipulés dès leur plus jeune âge. Leur particularité : obéir aux ordres et agir de manière synchronisée. C’est une aubaine pour les militaires, les personnes de pouvoirs ou déviantes. N’importe qui peut acquérir un asexué et en faire son bon vouloir, puisqu’il n’est pas légalement considéré comme humain, mais comme une marchandise.


Par son récit, l’auteur fait ressortir les desseins et les dérives des humains et commence une montée horrifique. Les pires scénarios sont mis en scène : homicides, soumission sexuelle, chair à canon… Et ainsi de suite jusqu’à atteindre son apogée.


En parallèle de cette déshumanisation et banalisation de la guerre, l’auteur développe la place et les sentiments de ces asexués dans une société genrée. Les enfants ne savent pas s’ils doivent s’habiller en garçon ou en fille pour s’intégrer à l’école. Les adultes sont confrontés à l’injustice de leur sort, à la faible valeur de leur vie ou sont victimes de ségrégation. Ne pouvant enfanter, leur avenir est incertain. L’individualité ou le libre-arbitre sont remis en cause du fait qu’ils agissent en groupe et obéissent aux ordres.


De part son ambiance, l’oeuvre se réserve à un public adulte. Pour faire passer ces propos lourds et noirs, le mangaka essaye d’alléger l’ambiance avec de nombreux gags et un personnage principal particulièrement crédule. Attiré par les jolies femmes, il se laisse facilement embarquer malgré lui dans les problèmes. L’auteur aura pour plaisir coupable d’en faire une caricature ridicule d’Hitler ou encore de l’obliger à fournir son sperme à cause d’un simple contrat papier.


TEZUKA est en pleine transition, dépassé par la nouvelle vague d’auteur, il doit se renouveler et cela se ressent dans la narration, plus adulte. À cette époque il ajoute toujours une dose d’humour et de caricature. C’est assez lourd dans la première partie, il aura la main plus légère dans la seconde moitié.


Le dessin est très expérimental, loin de son trait habituel. Les personnages sont simplistes et les décors minimes. L’auteur se cherche, teste et essaye de se moderniser. Le rendu est plus proche des mangas d’auteur que des oeuvres grand public. Toutefois il reste graphiquement cohérent sur la durée de l’oeuvre. Le manga se veut expressif mais il abuse parfois de l’exagération.


Regroupé dans un seul gros volume, ce sont les éditions FLBLB qui l’on édité en 2011 avec une superbe couverture. Il n’y a pas de jaquette amovible, mais le grand format est agréable pour cette histoire. Le sens japonais est respecté et l’impression est de qualité. Toutefois le papier est trop fin et on voit à travers. Il est regrettable de ne pas avoir un mot de l’éditeur pour remettre en contexte ce titre.


Entre l’éthique scientifique, la question du genre et la banalisation de la guerre, TEZUKA a créé une oeuvre hybride montrant les côtés les plus noirs de l’âme humaine. Parallèlement il remet en question la place du genre dans nos sociétés. Un titre qui vaut le détour, ayant des thématiques profondes et plusieurs niveaux de lecture.

darkjuju
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le 4 sept. 2021

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