Je ne suis ni un adorateur inconditionnel ni un adversaire acharné du contenu Star Wars de Disney depuis que la Souris a racheté la licence à George Lucas : il y a à prendre et à laisser. Néanmoins, je suis obligé de constater, et de déplorer, qu'un certain SW semble mort et enterré depuis ledit rachat en 2013. Ce SW-là, peu d'histoires, quel que soit leur support, film, série animée, comics, jeu vidéo, roman, l'exemplifient mieux que ce tome 3 de Star Wars : Clone Wars, Dernier Combat sur Jabiim.


À l'instar de Ténèbres deux auparavant, c'est une bande dessinée qui a marqué les esprits ; le mien, en tout cas, c'est certain. C'était du SW tel que nous n'en avions jamais vu : mature, adulte, brutal, sans concessions. De nos jours, beaucoup de fans râlent contre la teneur socio-politique des nouveaux films, ce que je peux comprendre, même si mes critiques tiennent davantage à la forme qu'au fond. Ce qu'ils ne doivent cependant pas perdre de vue, c'est que de même que les références aux grandes mythologies, le commentaire de l'actualité et du passé récent a toujours fait partie de l'ADN de Star Wars : la lutte des Ewoks contre les Stormtroopers, c'est celle des Vietnamiens contre l'envahisseur américain, George Lucas ne s'en est jamais caché. Plus récemment, le Californien entendait dénoncer la dérive autoritaire et belliqueuse des USA de George Bush après les attentats du 11 septembre 2001 dans les deux premiers films de sa nouvelle trilogie, La Menace Fantôme et L'Attaque des Clones.


Dernier Combat sur Jabiim est dans la continuité directe de ces deux événements : en effet, comment ne pas comparer le sacrifice des padawans jedi, avenir de l'ordre, sur l'autel d'une guerre injuste, dans un monde qu'ils sont censés libérer mais qui rejette leur système, lequel finit d'ailleurs par les abandonner à leur sort, à celui des milliers de jeunes américains envoyés se battre en Iraq… pour quelle raison au juste ?


Mais je vais un peu trop vite en besogne : Jabiim est une planète recouverte de boue, sur laquelle il pleut presque 365 jours par an, mais dont le sol est rempli de minerais convoités par les deux camps de la Guerre des Clones – hop, un parallèle de plus, pas très subtil mais efficace. Le leader local Aldo Stratus s'est rallié à la Confédération des Systèmes Indépendants, au prétexte (assez légitime…) que la cynique République n'est jamais intervenue lors des invasions et épidémies qu'a eu à subir la planète, tandis que d'autres, tels le capitaine Gillmunn, restent fidèles au Sénat. Obi-Wan Kenobi, Anakin Skywalker et plusieurs autres jedi sont envoyés commander les troupes clones supposées "pacifier" la rébellion.


Toute l'ambiguïté de leur cause est illustrée dès les deux premières planches : deux soldats séparatistes jabiimiens discutent de la réputation exécrable des jedi (rappelant en cela le roman Point de Rupture) lorsqu'un quadripode tout droit sorti de l'Épisode V les écrasent dans leur trou de souris. Les machines de mort qui foulent les malheureux combattants rebelles : on se croirait déjà dans L'Empire contre-attaque, mais cette contre-offensive est bien celle de la République. Une jeune padawan amie d'Anakin, Aubrie Wynn, tente bien de soigner les prisonniers jabiimiens, mais la haine viscérale des autochtones secoue profondément leur foi.


Le pire est cependant à venir, puisque lors d'une énième bataille dans la boue, Obi-Wan et le commando clone Alpha sont laissés pour morts dans l'explosion d'un quadripode…


Ce terrible coup du sort n'affecte pas seulement Anakin, mais toutes les forces républicaines : en effet, après plusieurs mois de guerre de positions, 9000 clones et 17 jedi ont été tués, principalement des maîtres. Seule maître Leska est encore en vie, mais ses forces ont été coupées du reste de l'armée. C'est d'ailleurs en tentant de les rejoindre que Leska finit elle aussi par passer de vie à trépas, à l'issue de deux des plus belles planches de l'album : un montage sans bulles de l'assaut républicain puis l'apparition inattendue du soleil, qui vient cependant la déconcentrer et provoquer sa perte. "Padawans… fuyez" murmure-t-elle dans son dernier souffle.


Mais les padawans ne fuient pas. Ils se battent avec l'énergie du désespoir, mais que peuvent-ils faire ? Tous leurs mentors sont morts, ce sont des enfants plongés dans le monde des adultes. Fort de son expérience, Anakin est plus ou moins intronisé comme leur chef, mais même ses frères et sœurs d'armes peuvent sentir sa rage et sa détresse. Ses relations avec Obi-Wan, pour le moins tendues dans Épisode II, s'étaient améliorées grâce aux conseils de Quinlan Vos dans La Défense de Kamino ; hélas, voilà le jeune homme privé de son père de substitution, et prisonnier sur une planète boueuse et en proie à une guerre sans fin. On comprend sa mauvaise humeur…


Comme dans les deux tomes précédents, le scénariste, en l'occurrence Haden Blackman, parvient à conférer suffisamment de personnalité aux divers jedi en peu de temps, de sorte que nous nous attachons à eux et compatissons à leur triste sort : Zule Xiss de l'album précédent est de retour avec un bras cybernétique, le timide aquale "Warble", le couple Mak Lotor et Kass Tod, le sagace gand Vaabesh, Tae Diath, neveu de Nico de Victoires et Sacrifices, et son amie sullustéenne Elora Sund.


L'une des plus belles scènes de l'album survient lorsque les padawans encerclés décident d'une seule voix de se sacrifier pour qu'Anakin puisse superviser l'évacuation des derniers clones survivants et des loyalistes. "Vis une bonne vie, Anakin Skywalker" lui intime Aubrie avant de partir… Un à un, les jeunes gens périssent lors du fameux "dernier combat" de Jaabim : Tae et Elora sont abattus les premiers, puis Warble explose sous un droïde-roue, Zule est écrasée par un quadripode, Mak et Kass sont pulvérisés par des missiles, Vaabesh est mortellement blessé, puis Aubrie se sacrifie en tuant Stratus. Le silence peut alors s'abattre sur le champ de bataille.


L'horreur n'est cependant pas terminée : il n'y a pas assez de place dans les transports pour évacuer tout le monde, il faut donc laisser les loyalistes jabbimiens sur place. Furieux, Gillmunn frappe Anakin et menace de prendre les armes, mais pour la première fois d'une longue série, le futur Dark Vador fait usage de la Force pour asphyxier quelqu'un. Gillmunn doit céder, mais son menton haut en dit long sur sa victoire morale sur un Anakin dévasté. La boucle est bouclée, Star Wars vient de renouer avec ses racines vietnamiennes, et l'ordre jedi de connaître son Saigon.


Anakin et les clones survivants arrivent sur la planète-hôpital New Holstice, où le jeune homme ajoute encore à sa frustration en échouant à sauver une jedi blessée, avant de rendre hommage à ses camarades tombés sur Jaabim. Puis l'appel du devoir reprend vite ses droits, il faut partir au plus vite pour la planète Aargonar.


Exit Haden Blackman et Brian Ching (dont les progrès sont constants, même si certaines cases sont très statiques et ses personnages pas toujours faciles à différencier – Aubrie et Leska sont littéralement identiques !), revoici le trio de choc Ostrander-Duursema-Anderson. Du reste, Aargonar n'a rien à voir avec Jaabim, puisqu'il s'agit d'une planète de sable en tout point similaire à Tatooïne. Cependant, la situation n'y parait pas plus favorable aux forces républicaines rapidement coupées en deux. Mais comme le souligne Ki-Adi-Mundi, chef du corps expéditionnaire, la République n'a pas droit à la défaite : un deuxième désastre d'affilée aurait des conséquences dramatiques.


Tandis que Mundi s'efforce de regrouper ses troupes, Anakin essaie avant tout de survivre : aux séparatistes, aux dangers du désert… et à son désir d'en découdre avec le jedi qui l'accompagne, A'sharad Hett.


Pourquoi donc pareil antagonisme vis-à-vis d'un compatriote tatooinien ? Eh bien, pour la simple et bonne raison que maître Hett… est un Homme des Sables. On se doute fort que le fils de Shmi Skywalker n'est pas exactement ravi de se faire sermonner par un membre de la race de ceux qui ont récemment torturé sa mère à mort… mais A'sharad est d'une patience infinie, qui finit par faire exploser le jeune homme. Dans un accès de rage, il attaque son collègue et révèle même le massacre de la tribu, chose que personne ne sait dans l'ordre jedi, sans quoi il aurait été expulsé. Mais A'sharad n'est pas là pour lui faire la leçon : ils ont d'abord une bataille à gagner.
Puisqu'Anakin est incapable de collaborer avec un Tusken, Hett décide lui aussi de révéler son plus lourd secret et met littéralement bas les masques : il a été élevé par les Hommes des Sables mais il est en réalité humain.


Fort de leur réconciliation, la République l'emporte sur le fil – mais là n'est pas l'essentiel : A'sharad, en paix, ne sentant plus le besoin de se cacher, décide de ne pas révéler le secret d'Anakin. C'est à lui-même de faire son travail de remords, et d'assumer ses actes lorsqu'il se sentira prêt. Mais nous en sommes encore loin, car lorsque Hett lui demande – rhétoriquement, croit-il – s'il serait prêt à le refaire, à les tuer à nouveau, le futur Dark Vador répond par l'affirmative…


Brian Ching reprend alors la main pour la planche-épilogue de l'album : Obi-Wan Kenobi est vivant mais enchaîné, prisonnier d'Asajj Ventress qui espère le faire basculer du côté obscur en lui faisant croire qu'Anakin Skywalker fait partie des padawans tués sur Jabiim…

Szalinowski
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le 20 mai 2019

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