Doomsday Clock
7.2
Doomsday Clock

Comics de Geoff Johns et Gary Frank (2017)

Un grand pouvoir implique un grand multivers

Doomsday Clock est une suite de Watchmen, ce dernier se fera donc allègrement spoiler dans cette critique parce qu'il n'est pas judicieux de les lire dans le désordre. En revanche le présent volume critiqué ne sera pas spoilé.


Si écrire une suite à Watchmen peut sembler périlleux, en faire un cross-over avec les super-héros de DC paraît carrément saugrenu. Le premier point sera relativisé par l'existence de la série télé qui ne prend pas la même direction, ce qui permet de considérer ces deux suites non mélangeables comme deux branches distinctes de ce qui pourrait se passer après Watchmen plutôt que comme des vérités canoniques. Ainsi il est aisé de se dire que l’œuvre d'Alan Moore et Dave Gibbons reste sur sa fin ouverte et que son penchant interdimensionnel est un récit apocryphe, quand bien même il ferait intervenir les mêmes personnages.


Geoff Johns voulait faire son mea culpa pour la gestion décriée du relaunch des New 52, il a donc initié le relaunch suivant, Rebirth, en suggérant que l'ancienne réalité aurait été le fruit du Docteur Manhattan. Les lecteurs du tome de Before Watchmen dédié au personnage savent en effet qu'il s'est rendu capable de créer des univers parallèles en modifiant divers événements de l'histoire et le concept de multivers est bien connu des lecteurs de DC. Il est donc bien question de changer de réalité et non de faire croire que Superman et le Docteur Manhattan cohabitaient dans le même monde sans le savoir.


Le plan d'Ozymandias a été découvert, et la menace atomique entre les USA et l'URSS est revenue comme elle était dans Watchmen. Adrian Veidt est l'homme le plus haï du monde, sa dernière solution pour sauver ce qui peut l'être encore est de partir à la recherche du Docteur Manhattan, seul être assez puissant pour stopper cette folie (à se demander pourquoi il n'avait pas commencé par ça avant d'envisager de tuer des millions de personnes). Accompagné d'un fan de Rorschach qui en a repris les habits et l'attitude et d'un couple de criminels costumés (au design super-chouette par ailleurs), il plonge dans l'univers des New 52 et mène son enquête dans ce monde étrange où existent des super-héros qui constituaient une fiction dans son monde (souvenez vous, il y avait des comics Superman dans Watchmen).


Watchmen faisait un commentaire des super-héros de son époque, notamment les comics Charleston, et de comment devrait véritablement être leur vie quotidienne, leur réception publique et leurs troubles psychologiques qui s'ensuivent. Doomsday Clock fait lui un commentaire sur les super-héros de DC, influencés comme tout le monde par l’œuvre d'Alan Moore, et il le fait par le biais des personnages de Watchmen justement. Une manière de boucler la boucle. Ozymandias donne régulièrement son avis sur le fonctionnement de cet univers, le Docteur Manhattan observe la longue histoire de ces super-héros avec la curiosité d'un joueur de jeu à choix multiples et les autres s'adaptent comme ils peuvent, guère impressionnés par les cosplayers en face d'eux. Beaucoup de critiques sont faites sur la profusion de super-héros aux origines de plus en plus absurdes et surtout sur le monopole des USA en matière de super-pouvoirs. On s'approche un peu de Kingdom Come dans l'idée du trop grand nombre d'encapés, mais avec la prise en compte supplémentaire des différentes nationalités des héros et des tensions politiques qui en découlent. Geoff Johns ne se prive pas pour autant de commenter lui-même Watchmen, l'intervention de Lex Luthor offrant quelques moments caustiques. On a donc une réflexion méta sur le problème de gestion des super-héros et sur ce que représente Superman, cela ne va pas bien loin mais ce panorama sur toute l'histoire de DC et des différentes versions de ces héros a tout du bel hommage pour les amateurs.


Passons à la forme : on reconnaît immédiatement le pastiche de la mise en scène d'Alan Moore et Dave Gibbons. La préface de la version française l'annonçait déjà, on retrouve énormément d'éléments caractéristiques comme les gaufriers, les cases muettes qui font durer une situation, l'annonce du titre, les couvertures qui reprennent la première case, tout y est. C'est plaisant au départ d'avoir l'impression de retrouver Watchmen, mais cet hommage devient un peu trop présent au fil des chapitres et transforme ces éléments en gimmicks. Vous vous souveniez du comics de pirates des Contes du Vaisseau Noir ? On a l'équivalent ici avec un film noir de la série fictive Nathaniel Dusk. Les entrevues de Rorschach avec son psy qui nous font entrevoir son sombre passé ? C'est de retour, avec juste un autre passé tragique. Le monologue introspectif du Docteur Manhattan sur Mars qui mélange les temporalités dans sa tête au point qu'il s'y perde ? De retour aussi, mais cette fois ce sont les différentes continuités de DC qui se mélangent, ce qui est finalement une manière futée de reprendre ce fameux chapitre.


Un exemple plus stylistique : Alan Moore aime beaucoup passer d'une temporalité ou réalité à une autre en enchaînant deux cases avec la même pose ou composition, l'une renvoyant à l'autre. Il le fait dans Watchmen, dans The Killing Joke et probablement ailleurs, ce sera donc aussi présent dans Doomsday Clock. Et c'est vrai que c'est élégant comme manière, surtout quand ça nous permet de comprendre que la jeune fille que l'on voit dans ce flashback est bien tel personnage. C'est parfois très bien fait, comme lorsqu'un jet de globe désigné comme représentant le monde devient littéralement la Terre, tandis qu'un fragment éclaté du globe devient la Lune. C'est significatif et un minimum recherché. Mais l'usage qui en est fait est trop fréquent et parfois assez fainéant. Dès qu'on passe d'une temporalité à l'autre on a ce gimmick, qui se contente parfois de mettre le personnage dans la même posture avec la tête penchée sur le côté alors qu'on avait eu la même chose quelques pages plus tôt. L'effet en est amoindri et il en est de même pour toutes les autres reprises citées plus haut, alors que certaines se justifient très bien. Cet abus est fort dommage et constitue par moment un carcan.


D'ailleurs l'histoire globale reprend la structure de Watchmen avec sa menace de fin du monde et ses multiples personnages secondaires qui vivent leur vie plus ou moins délabrée à côté. On note toutefois un peu plus d'humour que sous la plume d'Alan Moore, sans que ce soit jamais lourd ou inapproprié. Par contre le fan service n'est pas toujours heureux. J'ai parlé du nouveau Rorschach : il est traité, il a des choses à exprimer, mais il ne me paraît pas si nécessaire que ça au récit et on sent qu'il est là pour qu'il y ait un Rorschach. C'est encore pire pour un autre personnage dont je tairai le nom : déjà que son retour n'a aucun sens et n'est même pas justifié correctement, ce dernier ne sert à RIEN, à part une poignée d'affrontements gratuits qui ne mènent nulle part. Je n'ai pas compris ce qu'il venait faire là ni même quel était son objectif ou plus simplement son intérêt.


L'histoire devient difficile à évaluer : à mesure que l'on s'approche du Docteur Manhattan et de l'univers super-héroïque DC le discours méta devient plus présent et intéressant pour qui s'y connaît, mais l'histoire devient aussi plus confuse à force de s'éparpiller entre des personnages, certains étant issu d'un folklore DC qui ne parlera pas à tout le monde. On a des scènes fortes, notamment ce qui concerne les tensions entre les pays ou des réunions savoureuses entre costumés, mais aussi des résolutions très faciles. Ozymandias a un plan comme d'habitude et il nous le fera teaser, mais ce dernier se montre bien plat. La fin m'a déçu malgré la beauté de certains passages, les ficelles paraissent peu audacieuses.


Doomsday Clock n'est pas le sacrilège que l'on pouvait craindre devant son pitch, il trouve sa légitimité et a de vraies choses à proposer. Néanmoins son imitation du style de Watchmen trouve ses limites malgré de bonnes utilisations éparses, et sa profusion de pistes finit par lui peser. Il n'est pas le chef d’œuvre que certains m'ont vendu, mais il se défend bien et mérite d'être lu.

thetchaff
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le 2 déc. 2020

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