Contenu dans ces pages, c'est l'A.D.N même du Shônen-prototype qui se révèle à nous. La matrice originelle mais pas originale, la source archétypique ultime qui alimentera moult compositions Nekketsu ayant sévi ces trois dernières décennies. Devant moi, dévoilé ouvertement, il opère ses méfaits sans honte ni retenue aucune. Dragon Quest : La quête de Daï ou le patient zéro du Nekketsu contemporain, celui qui contamina pléthores d'auteurs de Shônen abreuvés à ses mamelles. Naïf que j'étais en entamant la lecture, je m'attendais à aborder un succès éditorial quelque peu tombé dans l'oubli, je découvrais en réalité l'origine du mal absolu.


Dragon Quest : La Quête de Daï, une pièce de Nekketsu mainte fois reprise en exemple. Un mauvais exemple. Les codes du genre y sont ici inscrits en toutes lettres. Tout ce que le répertoire Shônen connait de poncifs y est condensé. Ce n'est même plus des dessins que l'on a sous les yeux, mais la nomenclature de ce qui régentera le milieu éditorial Nekketsu pour les décennies à venir. Qui sait, peut-être même les siècles prochains...
Des exemples tout trouvé de Shônen auxquels se référer, il y en a eu. On leur préféra un registre grossier duquel toute forme de profondeur était purgée. Le choix de la facilité. Toujours.


N'ayant - contrairement à l'un de mes auteurs manga favoris - jamais tripoté une manette pour m'abandonner à l'aventure Dragon Quest, j'analyserai ce manga indépendamment du support jeu-vidéo sur lequel il repose. D'autant que de ce que je me suis laissé conté, l'histoire déballée ici n'a pas grand chose à voir avec celle des jeux.


Transparent dans ses intentions, on lit à travers La Quête de Daï comme dans un livre ouvert. De par le fait. L'œuvre ne cherchera jamais à se présenter autrement comme ce qu'elle est. Son projet est clair et affiché. Exposé à nous sans ambages aucun, la matrice du Nekketsu contemporain annonce immédiatement la couleur dans son préambule. Le héros s'appelle Le Héros et il est censé délivrer les braves gens d'un démon maléfique qui les tyrannise ; ce postulat établi, on se doute que le claquage de neurone n'aura pas lieu à la lecture.
Toutefois, il convient de se méfier, tout ce qui est simple n'est pas nécessairement simpliste. Derrière ce principe scénaristique apparemment reposant pour les méninges peuvent néanmoins se dissimuler quelques bonnes surprises. Si l'on n'en attend rien pour commencer, La Quête de Daï a donc les moyens de nous prendre à revers puisque nous lui prêtons manifestement le flanc.
De surprise, il n'y en aura aucune. Ni de bonne, ni de mauvaise. Pour peu que vous connaissiez les codes en vigueur dans le Shônen contemporain, vous savez que l'une des principales tares lui incombant étant la linéarité de son récit.


Ce propos enfantin impose naturellement un dessin à sa mesure. Le style est assez proche de ce que Toriyama avait pu nous offrir durant la fin de sa période Dr. Slump et le début de Dragon Ball. Silhouettes lisses et quelque peu rondouillardes aux postures souvent rigides, visages expressifs mais dépourvus de détails, le trait est au final très sommaire. Ce n'est pas pour autant qu'il dessert l'œuvre. La légèreté intrinsèque à ce que La Quête de Daï a la prétention de nous faire parvenir justifie amplement le dessin on-ne-peu-plus adapté à sa formule.
À la mesure du contenu, il ne faut pas en espérer grand chose sans pour autant s'attendre à en être déçu.


De déception, il n'en sera pas question un seul instant. En effet - et c'est là où la bât-blesse - le manga a le défaut de ses qualités si tant est que de qualité il y ait. Puisque tout est d'un prévisible outrageusement convenu, nous savons par avance ce qu'il adviendra du script jusque dans ses moindres détails. Comment être déçu d'une œuvre dont on sait déjà tout ?
Si tant est que je n'ai pas suffisamment mis l'emphase dans mon introduction, il est capital que le lecteur éventuel de La Quête du Daï comprenne qu'il s'imbibera ici dans du Shônen pur jus. Tout ce que vous avez pu lire de clichés dans d'autres mangas émargeant au même registre, c'est de là dont ils sont issus.


Pour qui sait ce qu'implique le procédé classique du Nekketsu, rien de nouveau ne lui chatouillera le regard à un quelconque instant. Un personnage principal aux idées purs et à la naïveté confondante et des camarades lui donnant le change, une princesse à sauver à un instant donné, des méchants aux gueules patibulaires dont le but est de détruire le monde (c'est soit ça, soit en devenir le maître), un tournoi, des combats partant du moins puissant des antagonistes jusqu'à en affronter le plus costaud (avec ce que cela comporte à la fin, mais j'y reviendrai), des pouvoirs issus de la fibre «Ta Gueule C'est Magique», des gains de puissance immédiats sur un coup de colère... On a les deux pieds dedans et on va patauger trente-huit tomes dans cet état de fait.


Tout ne se voulait toutefois pas aussi linéaire que je n'aurais cru. Les protagonistes essuient des défaites occasionnelles, sont contraints de partir en retraite pour survivre, les victoires sont parfois difficilement arrachées et apparaîtront même des semblants de dissensions internes dans le camp des antagonistes. Une hirondelle ne fait pas le printemps ; l'œuvre rentrera très vite dans le rang afin de mieux nous bercer de ses platitudes scénaristiques coutumières. Le déshonneur est sauf.


Est-il besoin de rappeler que tout Shônen archétypique suppose des personnages sans le moindre relief, protagonistes et antagonistes inclus ? Aussi lisses dans leur conception graphiques que dans leur psyché, il ne se trouvera pas un personnage un pour sortir du lot. Des archétypes avec deux bras et deux jambes, rien de plus.
La narration ne saura d'ailleurs pas plus les mettre en valeur, j'en veux pour preuve la mort prématurée d'Avan dans le récit quelques chapitres à peine après avoir été introduit. Il est compliqué de susciter le chagrin pour la mort d'un personnage dont on n'a pas eu le temps d'apprendre grand chose. La construction des caractères et des personnalités étant ce qu'elles sont, même cent chapitres d'exposition n'auraient suffi à suggérer l'empathie. Je n'ai pas pour habitude de m'émouvoir du sort de coquilles vides.


Inutile de recourir à la balise «Spoiler» pour dissimuler ce que je m'apprête à éventer. Car ce ne sera une surprise pour personne ; en tout cas, personne d'un tant soit peu initié aux turpitudes du Nekketsu. Aucun personnage ne meurt parmi les protagonistes ou ceux qui changeront de bord pour les rejoindre à l'exception de Baran. Entre les résurrections et les «En fait je n'étais pas mort voyez-vous», le trépas ne figure pas à l'ordre des préoccupations des héros. Tant mieux pour eux. Tant pis pour nous.


En dépit de tout ceci, je n'aurais pas eu à forcer ma lecture. Dragon Quest : La Quête de Daï n'est pas très recherché dans son propos ni son déroulé et c'est faire preuve du plus infini sens de l'euphémisme que d'écrire ceci ; pour autant, que ce manga soit la source la plus pure de ce qui se fait en matière de Nekketsu peut paradoxalement lui servir. L'innocence de ton fait l'affaire. Rien de révolutionnaire dans l'idée ni même d'original, mais juste suffisant pour maintenir son lectorat dans un certain état de pesanteur plus ou moins béat.
C'est de la fantaisie-héroïque tout ce qu'il y a de plus basique mais sans accroc ni souillure.


Seulement, l'innocence et la pureté, ça peut charmer au premier jour, mais certainement pas trente-huit tomes durant. L'incontournable redite d'un script qui nous rejoue la même piste en boucle lasse et fatigue. Qu'Hadlar se découvre des subordonnés passé la moitié du manga atteste d'une volonté malsaine de l'auteur à réinjecter du neuf pour continuer de faire tourner une machine aux rouages enraillés. Ça grince.
Les arcs qui en résultent sont interminables et d'une redondance à provoquer le tournis. Même un poisson rouge dans son bocal finit par remarquer que l'affaire tourne en rond. Et dire qu'il se trouvera des auteurs pour puiser ce travers. La ritournelle infernale, l'astuce ultime des feignasses sans imagination qui cherchent à prolonger leur composition par tout moyen. À croire que certains sont payés à la répétition.


Le sentiment de tourner en rond n'est que d'autant plus renforcé par la stagnation apparente de la puissance des personnages principaux. Les combats s'enchaînent, les coups pleuvent, mais jamais je n'en ai retiré l'impression qu'ils aient progressé. Les premiers combats sont pareils aux derniers, seule la longueur permet de les distinguer.
Pour un Nekketsu, même un mauvais, c'est une disgrâce.


Fidèle à ses conjectures, La Quête de Daï mène immanquablement vers une fin des plus banales. On ne pourra pas lui en faire le reproche, tout était annoncé dans le préambule. Inutile de plisser les yeux pour lire entre les lignes, un œil avisé sait dans quoi il s'engage et à quoi aboutira son périple.


Vearn, roi démon sans charisme ni motivation définie, nous gratifiera alors de ses capacités de transformiste jusqu'à aboutir à sa forme ultime. «Ce n'est pas ma forme finale», «Je vais détruire tout ce qui vous est cher», «Nous serons ensemble, unis contre ta haine», «Nous n'abandonnerons pas», tout ça étalé sur une cinquantaine de chapitre. Pour peu que vous connaissiez la musique, ce sempiternel couplet final devrait vous rappeler quelque chose. Tout ce que le genre a de plus caricatural est ici assumé jusqu'à la dernière virgule. Dragon Quest : La Quête de Daï aura incarné ce qu'il est jusqu'au bout sans faillir. J'ignore s'il faut s'en réjouir ou non.


Daï s'adonne finalement au sacrifice comme Goku l'avait fait contre Cell à peu de chose près qu'il n'en meurt pas. Le sacrifice ultime sans mort, une autre valeur-sûre du genre. L'épilogue est bâclé en cinq pages avec un plan focalisé sur tous les survivants sans que l'on sache ce qui adviendra d'eux, générique eeeeet.... coupé.
On a beau ne s'attendre à rien, on trouve quand même le moyen d'être déçu. C'est dire si les auteurs sont doués pour aller au-delà des espérances qu'ils suscitent.


En définitive, j'ai beaucoup pardonné à Dragon Quest : La Quête de Daï et à son festival de clichés douteux. Tout ce que je considère comme des tares rédhibitoires et inhérentes au Nekketsu étaient au final si assumées que je ne pouvais en faire le reproche aux auteurs. Sans nécessairement avoir été pionnier du genre - il n'a même pas ce mérite - le manga aura suivi les préceptes propres aux Shônens à la lettre au point d'en devenir leur personnification même.


L'œuvre a beau avoir tente ans, elle ne peut toutefois pas s'abriter derrière l'excuse du contexte éditorial de l'époque. Quand, à la même période, paraissaient des succès éditoriaux de la trempe d'un Dragon Ball, d'un Yuyu Hakushô, d'un Hokutô no Ken - et je vous fait grâce de Slam Dunk - le rendu est impardonnable. D'autant moins que ce Nekketsu, apparemment oublié du plus grand nombre, fait aujourd'hui office de référence officieuse à laquelle s'en remettent les auteurs les plus médiocres du répertoire.
La postérité de La Quête de Daï est au final plus indécente que son substrat. L'héritage éditorial laissé par ce qu'il représente au regard de ce qui s'est fait par la suite ne mérite aucune indulgence.

Josselin-B
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le 3 mai 2020

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Josselin Bigaut

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