Manga d'une grande poésie, même si personnellement j'ai de la réprobation

J'ai un rapport compliqué à ce manga. D'un côté, je n'aime pas sa perversion, d'un autre côté, je suis admiratif de sa conduite artistique.

Le manga prétend nous intéresser au sort d'une femme japonaise dans le contexte des années soixante et soixante-dix où elles ne sont pas vraiment encore libres en société. Mais l'auteur a choisi une femme particulièrement trouble. Il a fait un choix intéressant, elle est la fille naturelle d'une mère qui donc a eu une relation libre et en a payé le prix socialement, et pour ne rien arranger le père politicien l'a laissée tomber elle et son enfant. Et nous suivons l'histoire de cette fille qui s'identifie à sa mère. Le manga s'ouvre sur des pages remarquables qui ne doivent pas passer inaperçues. On tourne la couverture, on a une page de titre avec le dessin d'une femme très élégante, maquillé et apprêtée, la main sur la joue, et on tourne la page et on a un dessin équivalent, mais d'une femme plus contemporaine au regard plus chargé, bien que les positions soient identiques. Et sur ce dessin, on a un carton où l'enfant Sumire du dessin de chapitre 1 explique que le dessin précédent représente sa mère.

L'histoire de Sumire va être d'échapper au sort de sa mère, sachant qu'il va aussi y avoir les drames de la maternité, etc. Sumire va avoir comme sa mère une relation libre, puis des relations avec plusieurs hommes en-dehors du mariage. Donc, il y a un bon effort de conception à la base. Il y a une idée de la condition féminine évoluant peu mais évoluant quand même de génération en génération, il y a l'idée d'une prédétermination à la souffrance par la fatalité d'une naissance où on n'a pas de père au foyer, il y a des choses à interroger. L'héroïne est déjà dans la vie amoureuse quand on commence les premières pages du manga, mais c'est le moment où elle vit quelque chose de similaire à sa mère. Elle était avec un homme marié, l'épouse s'en rend compte, se venge, gifle notre héroïne, et comme elle vient d'une famille riche et puissante le mari renonce à Sumire. Partant de là, l'histoire de la "fleur de l'ombre" peut commencer. L'héroïne va devenir une femme entretenue avec une idée horrible de contrat (qui en-dehors de la rupture de contrat confine à l'esclavage du corps et à la vente de soi). Elle reçoit une somme de départ, puis reçoit de l'argent à intervalles réguliers tout au long du contrat à tenir. Soit le contrat est renouvelé, soit il s'arrête à la fin du temps décidé. Et donc elle donne sa compagnie, offre des relations sexuelles, etc.

On notera qu'étrangement elle connaît d'abord des relations où le sexe n'est pas consommé, avec des vieux, mais ça finit par arriver évidemment.

Le projet est de vivre ainsi en marge de la morale en étant entretenue mais en connaissant une tranquillité de la vie, sauf que ça ne va pas marcher et qu'évidemment ça va finir en drame. Entre-temps, parmi les contractants, elle va avoir un amour sincère pour un vieil aveugle. Elle lui fait signer le contrat, mais elle l'aime jusqu'à ce qu'il meurt. Et Kamimura, il croit qu'une femme qui fait n'importe quoi avec son corps devient une spécialiste éclairée de la jouissance. Quand elle veut, elle prend un plaisir maximal. Ben tiens...

Et cela bascule aussi avec une sorte de mépris pour les autres. Kamimura cherche à légitimer ce mépris. Par exemple, dès les premières pages, l'amie collègue vendeuse ou caissière au magasin cherche à se débarrasser de ses engagements en demandant à Sumire de chauffer son mec pour le prendre en flagrant délire. Sumire refuse, son amie est méprisable, sauf que ça devient une espèce d'acquis qui sert à justifier en permanence les réactions froides, sans-coeur et sans-gêne de Sumire. Le truc fonctionne aussi pour le petit ami collègue du magasin. L'auteur s'empresse de le montrer comme un mec pas assez courageux. Je veux bien. Effectivement, une femme ne va pas regarder un homme de la même façon s'il n'a pas eu le courage de se battre au quart de tour face à un groupe de motards qui viennent pour la violer, mais bon en contrepartie elle s'amuse à se moquer de son manque de capacité à la satisfaire en comparaison des hommes qu'elle a connus. C'est une femme horriblement condescendante et égoïste à laquelle on a affaire. Elle n'a pas d'humanité. Les scènes de baise, on a de la poésie, on a des dessins brillantissimes du dessinateur avec des objets symboliques, il y a plein d'idées poétiques en veux-tu, en voilà, ça force le respect, sauf que on n'est quand même pas dupe, cette Sumire, c'est une femme qui parle comme un Hitler au féminin, elle parle au nom de la supériorité de l'ardeur sexuelle d'une élite. Tout au long du manga, Kamimura nous demande de compatir à sa tristesse d'une noblesse exceptionnelle. Elle est malheureuse, la pauvre, sauf qu'elle méprise les gens, qu'elle se met dans la merde toute seule. C'est elle qui est dans le délire des contrats de prostitution. Même si elle est une fille naturelle, elle se met dans des situations toujours tordues, elle sort avec un homme marié, qu'en plus elle sait lâche, puis après l'auteur essaie de nous vendre qu'elle cherche l'homme de confiance, c'est pour ça qu'elle va avec un vieux aveugle, sauf que de l'autre main ce qui est mis en scène une fois la justification donnée, c'est qu'elle rend grâce à un vieux qui a eu plein de maîtresses, qui respire l'autorité du mâle et qui a une ardeur sexuelle insatiable malgré son âge.

Il y a un moment dans la critique sociale où il faut savoir ce qu'on veut raconter. On ne peut pas tout faire passer au nom de sa complaisance pour la vie sexuelle dépravée.

Moi, elle ne me fait pas pleurer Sumire, puisque je la méprise.

En revanche, même les gens aux mauvais penchants peuvent être des artistes exceptionnels, et c'est indéniable que Kamimura a le talent poétique qui lui permet d'aller avec sa morgue méprisante pour les gens normaux. Il y a une inventivité folle dans les dessins, dans la mise en page, c''est d'évidence un grand nom du manga.

davidson
7
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le 26 janv. 2024

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