Retrouver la BD. Retrouver les joies de contempler un roman graphique en écoutant un bon album aux teintes arc-en-ciel peintes en dégradés de noir et blanc. Paint It Black, Seeing Red. Blast est à lui seul la définition de ce qu'il introduit en intitulé et qu'il n'a de cesse de mettre en exergue. Le « blast » (pour ceux qui ne suivent pas), est la sensation de perdre pied, de voler de ses propres ailes pour la première fois ; enfin, et surtout, de vivre. Quitter sa carcasse adipeuse pour s'élever vers d'autres cieux bien éloignés des royaumes aseptisés de saints auquel l'anti-héros au faciès rebutant ne peut prétendre.
Certains dialogues appartenant au réel donnent le sentiment d'être importés du rêve alors que l'ambiguïté est absolument nulle. Concrètement : l'interrogatoire de la « grasse carcasse » donne à voir des réactions invraisemblables, alors même que la situation n'a rien d'excentrique. Il est alors inévitable de se demander si ces événements n'appartiennent pas au « cas de conscience » déclaré pathologique du protagoniste. Néanmoins, certaines incartades sont sans aucun doute volontairement irréelles. Le « blast » cause ces bouffées délirantes de couleurs arc-en-ciel plantées en plein milieu de la grisaille omniprésente.
Esthétiquement sublime, Larcenet fait tout en niveaux de gris, s'octroyant même le droit de rendre perceptible les contours d'une forme dans une masse aveuglante de noir impénétrable. La beauté est ce que je demande en priorité en matière de BD. Là, je l'ai sur les deux plans du signifiant et du signifié. Sous la masse graisseuse du protagoniste se cache une personnalité trouée, amochée, percée de part en part, à qui la fatalité joue pas mal de tour sous une mauvaise étoile. Une étoile du berger qui non seulement me guide, mais m'en met plein les yeux, avec des courbes et des couleurs qui savent me happer. Le meilleur moyen de comprendre pourquoi l'oeuvre a du mérite, c'est de s'y donner.