L’ikigami est un préavis de décès remis par un fonctionnaire de la mairie à une personne sur mille, 24 heures avant sa mort. Nous sommes dans un pays d’Asie, ami du Japon, dans lequel a été instaurée la loi de sauvegarde de la prospérité nationale. Chaque enfant, qui entre à l’école, se voit injecter un vaccin qui contient entre autres une nano-capsule qui, pour un sur mille d’entre eux, explosera dans le cœur à un âge situé entre 18 et 24 ans. Le but recherché est de promouvoir l’amour de la vie et ainsi obtenir un pays plus productif, moins de délinquance et plus de cohésion sociale. L’injection est faite au hasard, mais un registre permet de savoir lequel d’entre eux mourra et à quel moment.

Ikigami est une bande dessinée absolument admirable, visuellement très aboutie et universelle par les thèmes qu’elle touche et traite avec une justesse émouvante. Sa construction narrative est la meilleure possible, dix tomes de chacun deux histoires traitant d’un personnage qui se voit remettre l’ikigami et en fil conducteur une trame de fond qui évite la lassitude au lecteur et permet de voir l’évolution psychologique et surtout politique des personnages récurrents. Au noir et blanc de rigueur s’ajoute un trait nerveux et précis, qui rend le panel d’émotions ressenties par les personnages tantôt glaçant, tantôt émouvant et qui nous pousse naturellement à l’empathie. Plusieurs planches d’une double-page sont parsemées dans chaque volume et, même si elles apportent souvent peu de choses à l’intrigue, on reste presque toujours bluffé devant l’incroyable force qui s’en dégage.

Ce noir et blanc vient appuyer de la plus belle des façons des histoires souvent révoltantes, qui parfois touchent en plein cœur mais ne peuvent laisser dans l’indifférence. On nous pousse plus d’une fois à nous interroger, peut-on faire le bien des autres malgré eux ? Peut-on faire le bonheur des autres malgré eux ? Chaque histoire se termine par un débriefing entre le fonctionnaire de la mairie et son supérieur, l’un a des doutes, l’autre est convaincu de l’utilité de la loi de sauvegarde de la prospérité nationale, il lui arrive même d’être convainquant. Pour chaque histoire, on espère un deux ex machina qui viendra éviter la mort à tel ou tel personnage. Très souvent on est submergé par des sentiments de révolte ou d’injustice, la frustration est grande d’assister à un carnage organisé, un génocide d’Etat. On s’immerge dans cette bande-dessinée sans s’en apercevoir, spectateur impuissant de ces familles détruites, de ces vies détruites avant même d’avoir vraiment commencé.

La paranoïa est bien présente également, la loi de sauvegarde de la prospérité nationale s’accompagnant d’une véritable police de la pensée, chargée de repérer et reconditionner les sujets dégénérés qui ne croient pas en son bien-fondé. Des bureaux de surveillance sont installés, les espions à la solde du gouvernement veillent à la bonne tenue morale des citoyens. Le doute n’est permis à personne, pas un seul instant.

Ikigami est une vraie belle surprise, une gifle magistrale qui marque et vient ébranler nos certitudes sur la noirceur que pourrait revêtir l’avenir de nos sociétés qui se disent jusque-là modernes et civilisées. On se retrouve, de page en page, totalement bouleversé, avide de la page suivante, incapable de ne pas savoir. Cet univers n’est pas de fiction, mais d’anticipation, cela tient à une unique que l’on se pose sur l’avenir qui nous est promis, en refermant le dernier volume de ce chef-d’œuvre : « Au fond, pourquoi pas ? Rien ne nous préserve fondamentalement d’une telle dérive… »
Jambalaya
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le 26 mars 2013

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Jambalaya

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