Just married - Clifton, tome 23
5.9
Just married - Clifton, tome 23

BD franco-belge de Zidrou et Turk (2017)

Le célibat est la plus belle conquête de l'homme, après le divorce.

Ce tome fait suite à Clifton et les gauchers contrariés qu'il n'est pas nécessaire d'avoir lu avant. Il est paru en 2017. Cette histoire est écrite par Zidrou (Benoît Drousie), dessinée et encrée par Turk (Philippe Liégeois), avec une mise en couleurs de Kaël. Il s'agit d'une histoire tout public.


L'été de ses 17 ans, Harold Wilberforce passait une partie de ses vacances à Brighton, et un jour il se promenait aux côtés de Maureen Melbourne, une de ses professeures. Malgré la différence d'âge, ce fut l'expérience de son premier baiser, sur la plage. Au temps présent, il fait sa toilette matinale, quand il détecte, oh horreur !, un poil blanc dans sa moustache. Il a vite fait de le teindre. Dans la cuisine, il trouve Miss Partridge (sa gouvernante) en train d'écouter les prédictions d'Hildira, une indienne qui lui prédit des mariages et du sang. Piqué au vif, Clifton accepte d'écouter ses prédictions également. Elle évoque l'avènement d'un groupe de rock de hannetons, la victoire de l'Angleterre lors de la coupe du monde football à Wembley, l'entrée du Royaume-Uni dans la communauté européenne (et sa sortie), et le mariage de Clifton. Il promet de se raser la moustache si jamais il venait à se marier.


Le même jour, les photographes Neckerchief du Clarion et Gutter du Daisy Mirror viennent couvrir le mariage de Lord Baltimore Arthus Wreck (très âgé et riche) et Betty Margaret Shyless (jeune et belle). La cérémonie se déroule bien, jusqu’au baiser où le bouquet de la mariée émet un clic et explose tuant les membres de l'assemblée sur le coup. Après un vague moment d'hésitation, les 2 photographes mitraillent la scène pour leur journal respectif. Le soir Clifton se souvient de son intégration dans le club des vitolphilistes de son lycée, le Dukobull College. Le lendemain, après une scène gênante dans la salle bain, Miss Partridge répond à un coup de sonnette, et se retrouve nez à nez avec le général Edward Fergus Gordon Horatio Clifton qui vient passer quelques jours chez son fils.


En 2016, Zidrou avait déjà fait la preuve qu'il est capable de se couler dans le moule et d'écrire un récit de Clifton en en respectant les caractéristiques, et Turk était très en jambe visuellement pour le tome précédent. Il n'y a donc pas de raison qu'ils fassent moins bien pour cette deuxième collaboration sur cette série, d'autant qu'ils collaborent également pour la reprise des gags de Léonard, à commencer par Léonard - tome 47 - Master génie (2016). Le scénariste ressort le même méchant que dans le tome précédent, avec un nouveau plan aussi loufoque qu'invraisemblable pour nuire au Royaume-Uni, basé sur des attentats au mariage. L'intrigue n'est pas plus idiote, ni plus intelligente que celle du tome précédent, et dans la droite lignée des histoires de Clifton. Le scénariste déroule une enquête réalisée par le personnage principal avec l'aide du MI5. Elle avance au gré d'échec, jusqu'au mariage final, avec une résolution haute en couleurs, sur la base d'une coïncidence bien pratique, mais cohérente avec la nature du récit.


Le lecteur remarque également que Zidrou continue de jouer le jeu des conventions des récits de Clifton. Il insère de nombreuses références à la culture typiquement anglaise. Il peut s'agir de références facilement accessibles comme les Beatles, les toasts (croustillants au dehors, moelleux en dedans), une citation très connue de Winston Churchill (Je n'ai à offrir que du sang, des larmes et de la sueur), ou encore la cathédrale de Canterbury. Comme dans le tome précédent, il insère également des références plus pointues : les séjours à Bath, les suffragettes (1914), l'appellation des églises commençant par sint, (plutôt que saint), la victoire des britanniques lors de la coupe du monde de football à Wembley en 1966, ou encore la spécialité culinaire appelée bubble and squeak (des restes de légumes frits). L'auteur s'adresse également aux adultes avec la référence à l'intégration du Royaume-Uni dans la communauté européenne et sa sortie lors du Brexit en 2016. Il met en scène les principaux personnages à commencer par Clifton lui-même et Miss Partridge, mais aussi le général Edward Fergus Gordon Horatio Clifton, le père de Clifton, créé par Bob de Groot. C'est également le retour de l'archevêque Beliefless qui était apparu dans le tome précédent.


Comme d'habitude, le lecteur est immédiatement séduit par l'expressivité des personnages. Ça commence dès la couverture avec la mine déconfite et résignée de Clifton qui a renoncé à son principe le plus cher, celui du célibat. Ça continue avec la douce gentillesse exprimée par le visage de Maureen Melbourne s'apprêtant à embrasser le jeune Clifton. Tout du long du tome, le lecteur ressent les émotions très variées des personnages : la consternation de Clifton en découvrant un poil banc dans sa moustache et sa volonté farouche de le colorer, la ferveur de madame Hildira à formuler ses prédictions, la morgue des 2 photographes se lançant des noms d'oiseau à la tête, le contentement de la jeune mariée à l'idée de ce qu'elle va hériter de son vieux mari, la sérénité de Miss Partridge face à la nudité de Clifton, l'assurance suffisante du père de Clifton, etc. En simplifiant les visages des personnages, le dessinateur les rend beaucoup plus expressifs, et capture avec une justesse exemplaire leur état d'esprit. Les personnages ressortent d'autant mieux que les décors sont représentés de manière réaliste. Dès la première case, Turk prouve à nouveau qu'il s'investit du temps dans la représentation de chaque environnement, à commencer par la promenade Brighton. Le lecteur qui l'a déjà vu la reconnait immédiatement. Il en va de même pour la représentation de la cathédrale de Canterbury, des rues de Londres, ou des différentes églises. Il apporte le même soin pour habiller ses personnages de vêtements plausibles.


Le lecteur familier de Turk recherche bien sûr les différents modèles de voiture. Ce récit s'y prêtant moins que le précédent, il retrouve la MG de Clifton (et celle de son père), mais aussi la voiture de sport du photographe Gutter (page 7), le double-decker (page 13), les 5 voitures dans la rue page 27, ou encore les voitures qui attisent l'envie de Phil et Bennie (page 38). Tout du long il se régale des détails inattendus dont Turk parsème ses planches. Les ustensiles de madame Hildira pour prévenir l'avenir valent le coup d'œil (sa tenue aussi). Chaque fois qu'il y a une scène de foule, le temps passé pour détailler les personnages vaut le coup pour la découverte des visages et des tenues (par exemple les invités à la noce dans l'église page 9, page 23, page 39). Il est impossible de ne pas compatir avec le pauvre pigiste en train de vomir dans une poubelle à la vue des clichés du premier attentat à la bombe dans l'église. Le lecteur remarque également à plusieurs reprises que le comportement des chats dans la maison de Clifton évoque parfois Raoul Chatigré, celui de Léonard. La mise en scène des avances du photographe Neckerchief sur la personne de Clifton bénéficie d'une mise en scène comique irrésistible. La roublardise avec laquelle les 2 comparses de François-Louis Bonaparte embobinent les bobbies est redoutable d'efficacité.


La lecture de cette bande dessinée s'avère donc très divertissante au premier degré, et irrésistible du fait des dessins expressifs de Turk. Au fil des pages, le lecteur observe également que Zidrou a gagné en confiance et qu'il insère d'autres composantes plus inattendues. Il y a les jeux de mot sur les noms des personnages, comme le nom du Collège de Clifton (Dukobull) qui rappelle le titre d'une série dont il est le scénariste (l'élève Ducobu). Les noms des 2 photographes sont tout aussi évocateurs : Gutter pour le ruisseau c’est-à-dire la presse à scandale, et Neckerchief sur le modèle de handkerchief comme s'il s'agissait d'un foulard, accessoire de mode indispensable aux individus de sa classe sociale. La mise en scène des 2 photographes (l'un de la presse à scandale, l'autre favorable à l'establishment) montre que les 2 prennent des photographies des victimes des attentats et les vendent à leur journal, se nourrissant des catastrophes. Le lecteur se rend également compte que de manière fugace il considère Clifton comme un personnage réel, et pas comme un simple dispositif comique. En particulier il est question de son âge, avec ses poils de moustache qui blanchissent, et son début de presbytie (page 14 avec les lettres floues dans le phylactère). Ce sentiment du temps qui passe se trouve renforcé par le fait que Zidrou évoque le passé du personnage : sa relation avortée avec une de ses professeures, son intégration dans le club de vitolphilie. Il y a là un constat des choix d'une vie, et des occasions manquées à jamais perdues. Dans ces moments, le lecteur lit le regret teinté de résignation sur le visage de Clifton, des sentiments complexes transcrits avec une grande sensibilité.


L'autre thème surprenant relève de la sexualité. Bien sûr, cette bande dessinée reste chaste et tout public, sans image offensante pour des enfants. Cependant le lecteur adulte a l'attention attirée par une remarque en passant de Miss Partridge se demandant si la polygamie pourrait être à considérer (page 5). Il y a bien sûr le mariage d'intérêt de la jeune Betty Margaret Shyless pour le vieux riche au regard concupiscent. Le lecteur n'est pas au bout de surprise quand il voit Miss Partridge faire irruption dans la salle de bain de Clifton et découvrir la nudité de son employeur. Le contexte (une BD tout public) produit un décalage d'autant plus important. Les tentatives de séduction de Neckerchief sur Clifton sont mises en scène de manière comique, mais sans utiliser la caricature de la grande folle. Le comportement sexiste du général Clifton prend alors une autre dimension lorsqu'on le rapproche de ces sous-entendus. D'un côté, Zidrou tourne en dérision les idées rétrogrades d'une autre époque, celle à laquelle se déroule le récit, en 1959 à un ou deux ans près. D'un autre côté, le choix du célibat par Clifton fils finit par apparaître comme une peur de l'autre sexe, plus que comme une volonté assumée.


Ce vingt-troisième tome ne dépare pas dans la série des Clifton, avec une intrigue loufoque dans la droite lignée des autres, où un mégalomane français essaye de saper la grandeur du Royaume-Uni, ce qui fait dire à Clifton que venant d'un français, il faut s'attendre à tout. Turk est toujours dans une forme éblouissante, que ce soit pour l'expressivité comique des personnages, ou pour la consistance et l'exactitude des environnements, ainsi que pour les petits détails. Les lecteurs de tout âge apprécient l'humour omniprésent. Le lecteur plus âgé détecte des références adultes, ainsi que des thèmes plus délicats. À la fin le lecteur obtient sa réponse : Clifton se rase-t-il oui non la moustache ?

Presence
10
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Créée

le 26 mars 2019

Critique lue 146 fois

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