Les aventures de l’iconique Batman, prolifiques à souhait, ne sont pas sans éprouver la créativité de scénaristes tiraillés entre deux tangentes opposées : le respect des fondations et l’indispensable renouvellement. Quant à trouver le juste milieu, la chose tient tout autant de notre perception à nous autres lecteurs, de l’émérite aficionado au public occasionnel : c’est dans ce contexte que l’essai de Scott Snyder n’illustre que trop bien les contraintes qu’impose l’exercice, mais parvient malgré tout à proposer un récit franchement prometteur.


À juste titre, La Cour des Hiboux se fendant d’une introduction mouvementée, un peu artificielle et facile, mais c’est davantage le discours en arrière-plan de Bruce qui retient l’attention : un phrasé cérémonieux, frisant le pompeux, et une impression patente de déjà-vu suggérant que l’intrigue à suivre sera bien en peine de faire du neuf avec du vieux.


Rien de désagréable au demeurant, mais un départ timoré en somme : néanmoins, le présent a priori a tôt fait de s’étioler à mesure que l’ombre de rapaces n’assombrissent cette bonne vieille Gotham, que l’on imaginait pourtant acquise au Chevalier Noir... lui aussi, d’ailleurs. Le procédé peut paraître simpliste, mais l’exécution est sans équivoque : en faisant appel à ces fameuses fondations, la ville étant partie-intégrante de la légende du Batman, La Cour des Hiboux va en user toute l’imagerie tout en tordant le cou aux apparences de coutume.


En résulte donc un sentiment d’urgence, et d’insécurité, tranchant savamment avec d’anodines péripéties annexes (où le vilain archi-secondaire adopte surtout une posture de ressort scénaristique) : et si le coup de la société secrète à la frontière du réel n’est en rien une innovation, force est de constater la réussite de Snyder en tiraillant de bout en bout son principal sujet, malmené comme rarement.


Une bonne occasion de faire le pont avec le travail de Greg Capullo, dont la précision du trait va draper de la meilleure des manières un récit millimétré, mais souvent imprévisible : s’il n’évitera pas certains écueils, ce dernier accouchera en ce sens d’une séquence sens dessus dessous où le talent, aussi bien narratif qu’illustratif, de ce dernier et son compère atteindra un climax proprement fascinant - et étouffant.


Poussé dans ses retranchements, passé une lente et inextricable hallucination complétée d’un usage lumineux du médium qu’est la bande dessinée, Batman adoptera une posture inédite (ou presque) où la faiblesse primera : pas loin d’en ressortir brisé, Snyder n’en oublie cependant pas de lui insuffler un ultime éclat liant fureur et ingéniosité, le propre du célèbre justicier hors de sa zone de confort. Et au bout du compte, une claque dans la gueule, et cette même notion de promesse que j’évoquais plus haut.


Bref, La Cour des Hiboux s’avère foutrement efficace, et compose une entrée en matière d’emblée saisissante : si l’on n’exclura pas de redondantes ficelles, pas rédhibitoires fort heureusement, l’évidente et revendiquée métaphore de la chaîne alimentaire prend ici des proportions épiques comme pas deux. Chapeau, et vivement la suite !

NiERONiMO
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le 23 juil. 2018

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