Comme l'avait chanté, ou plutôt gémi, Sam Smith à l'occasion de la chanson de générique du James Bond Spectre : "The writing is on the wall", "la messe est dite". Plutôt que de traiter les soudains délires chamaniques de son troisième tome comme un accident de parcours, les auteurs de La Croix de Cazenac, Pierre Boisserie et Éric Stalner, avaient décidé de plonger tête la première dans les outrances engendrées par ce choix scénaristique douteux. L'initiation de leur jeune héros Étienne Cazenac au monde de l'animalisme et des croyances anciennes aurait certes pu donner lieu à une histoire intéressante, un peu dans la veine de Conan le Barbare, mais il aurait fallu le revendiquer d'entrée, plutôt que détourner un récit d'espionnage sur fond de Première Guerre mondiale... tout en continuant d'essayer de jongler entre l'un et l'autre. Du coup, aucun de ces deux concepts diamétralement opposés n'est exploré à fond.


D'un côté, nous avons les machinations du baron von Straufenberg, milliardaire suisse jouant un drôle de double-jeu, à l'aide d'hommes d'affaires issus des deux côtés de la guerre, et avec le concours d'une espionne allemande, "Frau D.", de son vrai nom Dalila Dolfuss, belle blonde sculpturale apparue dans les deux précédents albums. Je ne l'ai pas évoquée dans mes critiques de ces derniers et je m'en veux, car ce personnage se sera avéré plus intéressant que le simple rôle de Nibelung en imper' qu'elle semblait destinée à endosser de prime abord. Amoureuse de Henri Cazenac et haïssant en silence le baron, elle apporte un peu de substance à une intrigue qui, décidément, n'a pas grand-chose à dire sur le rôle réel de la Confédération Helvétique dans un conflit livré à ses frontières, par tous ses voisins...


De l'autre, nous avons la relation ambiguë entre Étienne "l'Ours", l'apprenti-chaman ayant choisi de se détourner pour préserver son humanité, et von Straufenberg "le Loup", psychopathe convaincu de son droit à dominer ceux qu'il juge inférieurs à sa caste, en vertu de la loi du plus fort. "Ambigüe", c'est vite dit, car il n'y a pas grand chose de plus à apporter à cette idée que le résumé que je viens d'en faire. Du coup, en catastrophe, Pierre Boisserie invente en cours d'album l'homosexualité du baron, histoire d'ajouter un peu de sel à ses motivations, mais c'est peine perdue.


De façon générale, La Marque du Loup met l'accent sur les relations entre les personnages, bien plus que ne l'ont fait les quatre premiers albums, mais pour un résultat globalement insatisfaisant. Conscient de l'impasse scénaristique dans laquelle il s'est placée, Boisserie cherche à la compenser en faisant feu de tout bois. La "révélation" des penchants masculins du méchant baron arrive ainsi juste après les retrouvailles entre Étienne et Louise, ponctuées par une double planche à l'érotisme soft rappelant la scène du train dans le tome 3. Mais cette passion entre la rouquine de l'Île de Beauté et l'ex-séminariste, déjà un peu difficile à croire tant leurs interactions ont été assez limitées jusqu'alors, se fait aux dépens de Henri, qui de playboy compétent et calculateur, se transforme en un mari jaloux et vindicatif.


Encore une fois, tout cela sent l'improvisation à plein nez, car c'est Henri lui-même qui rappelle son frère du front pour lui demander de l'aider à contrecarrer von Straufenberg à ses côtés - n'avait-il pas pensé aux complications que cela entraînerait, s'il tient tellement à la fidélité de sa chère et tendre ? On pourrait un temps supposer que la mauvaise humeur du personnage sur l'ensemble de l'album pourrait être un effet secondaire, genre "poison dans le sang", laissé par la griffure du Loup sur sa joue, mais au moins Boisserie nous épargne-t-il cette énième absurdité... au prix d'un nouveau plothole, j'en ai peur. Pas étonnant qu'il soit de mauvais poil, le Riton, si sa femme le délaisse pour son frère après qu'il se soit fait défigurer !


La relation entre les deux frères était auparavant tendre, respectueuse et crédible. Dommage de l'avoir sacrifiée pour du vulgaire vaudeville ! Aucun des personnages concernés n'en ressort grandi. Un peu comme dans Star Wars Episode II : L'Attaque des Clones, dont l'affiche ressemble de façon troublante à la couverture de La Marque du Loup, ce tome 5 est marqué du sceau de la négativité et de la puérilité, tout cela histoire de meubler avant le dénouement final.


Si Boisserie échoue donc sur presque toute la ligne, il n'en va heureusement pas de même pour son compère Éric Stalner, dont le trait sensuel et élégant s'attaque cette fois à Paris et à ses toits. La deuxième moitié de l'album, basée dans un environnement alpin plus pauvre, ne lui réussit cependant pas autant, et de même que sur le précédent tome, je me dois de critiquer la mise en couleurs, oscillant sans cesse entre le bleu et le jaune, pour un résultat tout aussi déplaisant que le filtre orangé de Némésis.


La Marque du Loup a donc raté le coche. Il devient de plus en plus évident que les auteurs se sont engagés dans un cul-de-sac en voulant à tout prix préserver l'équilibre entre intrigue d'espionnage et récit initiatique sur lequel ils ont souhaité fonder leur série. À force de ne pas pouvoir développer l'un et l'autre en profondeur, les voilà obligés de saboter les relations entre leurs personnages, en croyant les étoffer. Et au final, La Croix de Cazenac, plus incohérente que jamais, se retrouve à naviguer à vue, avec pour seule constante la règle des trois S : Sang, Sexe...et Stupidité.

Szalinowski
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le 11 mars 2021

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