La Loi d'Ueki
6.5
La Loi d'Ueki

Manga de Tsubasa Fukuchi (2001)

Bien sûr que c’était mieux avant. Lorsqu’on est, comme aujourd’hui, jeté en chute libre dans le précipice de la médiocrité ambiante, on se rend compte que c’était naturellement mieux avant ; avant qu’on se laisse aller à la chute mortelle. Même si « avant » n’était pas idyllique, on mesure trop tard ce que l’on a perdu une fois que l’on s’en retrouve privé.

Les Shônens n’ont pas toujours été fameux, mais de ceux dont on pouvait instruire le procès, on leur reconnaissait parfois des mérites. Il y avait des tentatives, on s’essayait à la nouveauté ; on cherchait à créer quelque chose quitte à échouer et non pas à réitérer ce qui a été fait sous d’autres formes. La notion de prise de risque sur le plan éditorial est aujourd'hui à proscrire dans le milieu.


Si je me perds d’emblée dans un élan nostalgique dont on ne saurait contester la légitimité, c’est parce que les dessins de la Loi d’Ueki m’ont naturellement menés sur cette pente glissante. Car ces dessins, il faut bien le dire… ils n'étaient pas somptueux pour un sou. Ils étaient impersonnels, approximatifs par moments et relativement peu travaillés. C’est pas correct à dire, mais pour ce qui est du style, on fraye avec un plagiat raté des dessins de One Piece (ceux de la belle époque) quand ça n’est pas du Belzeebub. Pas fameux, hein ? Et pourtant, comparé à ce qui se fait aujourd’hui, ces dessins piteux avaient au moins un semblant de charme. Un charme qui m’aurait échappé en 2005 et qui me saute pourtant maintenant aux yeux en deux pages de lecture à peine. Nous en sommes à un point où le milieu de l’édition Shônen contemporain nous amène à penser que ce qui tient à la nullité et à l’abjection d'alors était infiniment préférable au le haut du panier de ce qui nous parvient aujourd’hui. C’est le signe d’une époque ; et pas un signe franchement encourageant. Mais restons positifs ; à force de tout faire pour toucher le fond, y’a bien un moment où on sera contraints de rebondir.


La Loi d’Ueki est passé relativement inaperçu en nos contrées. Et au Japon aussi. Pourtant, il est de ces shônens assez peu fameux à avoir tenté une incrémentation du genre. Il est celui qui, dans la parabole des talents, en fait fructifier le moins, mais en fait fructifier tout de même.

L’humour déjà, nous est forcé à travers la gorge.La comédie, entre ces pages, s’annonce comme une gatling. C’est lourd, c’est bruyant, ça fuse partout et sans arrêt mais, fatalement, y’a bien une ou deux cartouches qui font mouche de temps à autre, même que certaines visent franchement bien. Et pour ce qui est du propos de l’œuvre, soyez priés de croire qu’on ne tourne pas autour du pot pour nous en gratifier.


Ueki a le pouvoir de transformer les ordures en végétaux et devra combattre dans un tournoi qui sera l’unique cadre dans lequel évoluera le manga. On un mélange de Jojo’s Bizarre Adventure pour les pouvoirs assignés de base et de Shaman King – lui-même inspiré de JJBA par ailleurs – pour le scénario. Les personnages, cependant, ne seront pas aussi attachants ; ceux-là ne seront en effet que des taches d’encre plus ou moins informes en direction desquelles de bulles de texte s’orienteront pour asséner un propos vide de sens et d’intérêt. Bien qu’il me faille l’admettre, l’apathie insouciante d’Ueki aura suscité chez moi comme de l’affection à son endroit. Pour ce qui est du reste en revanche… il y a bien le robot-boomer qui saura se démarquer, mais il n’y aura que lui.


Toujours est-il que les tournois, pour moi qui suis plutôt bon public en la matière, ça se présente comme une piste scénaristique particulièrement engageante. Et ces pouvoirs, très simples, très fonctionnels et surtout, limités ce qu’il faut pour prévenir les abus, ils me feraient presque oublier toutes les tares dont est fait la Loi d’Ueki.

C’est très Shônen dans l’idée et c’est de circonstance vous me direz, mais ça respecte franchement à la lettre le cahier des charges que recouvre ce genre. Les gentils rigolos au cœur d’or d’un côté et des méchants sans vergogne en face. Alors faut qu’il y ait la Justice par la bagarre, parce que les méchants n’ont pas compris que c’était méchant d’être méchant comprenez-vous, et c’est mal de se battre sauf si c’est pour les autres. Voilà pour le corpus philosophique, ça n’ira va pas chercher beaucoup plus loin. Oui, c’est très pauvre pour ce qui est du contenu ; la loi d’Ueki, à n’en point douter, manque d’articles à faire valoir pour mieux affirmer son autorité et sa légitimité.


Il n’y en a qu’un seul qui ait une réelle portée : de la stratégie en combat. Du fait de la nature des pouvoirs, chaque personnage engagé dans la compétition doit transformer une denrée pour générer son pouvoir de création. Ueki transformera les petits déchets qu’il peut tenir entre ses mains en végétaux (imaginez ce qu’il pourrait faire avec une anthologie de Tetsuya Tsutsui entre les mains) comme d’autres pourront transformer l’eau qu’ils boivent en feu ou encore des pièces de monnaie en vent. Naturellement, ça n’est pas au niveau d’un JJBA, mais le sens de l’astuce et de l’ingéniosité prend le pas sur le caractère strictement martial des affrontements. Le rendu, dans l’ensemble, est ainsi remarquablement plaisant. Il ne bouleverse rien, mais il a le mérite de capter l’intérêt. Chose rare quand on sait que les Nekketsus-baston, depuis trop longtemps, se perdent dans la frénésie de bastons confuses et mal retranscrites.


Cette particularité ainsi brossée, on pourrait jurer qu’il s’agirait alors de l’unique point fort d’un manga assez carencé de ce côté-là. Non, il y en a un autre. Et c’est là où se situe la valeur ajoutée propre, l’incrémentation qui justifie l’existence de ce Nekketsu là où les autres brassent à l'envi sans jamais chercher à élever leur œuvre. Ueki, chaque fois qu’il utilise son pouvoir sur une personne normale, perd un « Zai », soit un talent qui lui est propre. Ces talents, à mesure qu’ils disparaissent, laissent parfois lieu à des situations amusantes, notamment la perte du talent d’être apprécié par les filles. L’inconvénient tient au fait qu’après la disparition de ses talents, Ueki disparaîtra. L’enjeu de ses erreurs a ainsi un poids palpable et pesant qui l’handicapera progressivement tout du long de l’œuvre. Perdre le talent qui permette de gagner à la loterie est une chose ; perdre celui qui consiste à atteindre une cible à distance en est une autre. Et le personnage devra aini composer avec ces handicaps pour mieux les contourner en usant d’astuces diverses afin de mieux compenser ses tares.


Le passage chez les Roberts 10 est une addition remarquablement innovante – à ma connaissance – dans le milieu du Shônen. Ce n’est pas tous les jours que l’on voit le personnage principal d’une telle œuvre rejoindre le camp de ses ennemis. Même avec des buts non-avoués.

Le récit est parfois prenant bien qu'il ne soit pourtant fait que de successions d’affrontements. La narration n’a quant à elle rien de franchement extraordinaire, mais il faut croire que si on a des choses à rapporter sur papier – même peu de choses – on peut capter son lectorat pour longtemps.


Puis, les Célestes font irruption dans le récit. Ueki en est un. C’en est fini des arbres et des astuces, faites place aux canons géants dévastateurs. Ça a failli être un Shônen correct à défaut d’en être un bon. Mais il s’est relâché ce bougre d’auteur, il a laissé tomber tout ce qu’il y avait de bon pour suivre la recette Nekketsu prémâchée. Je l’ai mal digérée celle-ci, mais ça a failli passer crème. C’est l’arrière-goût qui, en définitive, aura eu raison de moi.

Josselin-B
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le 7 oct. 2022

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Josselin Bigaut

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