Le Baron
7.2
Le Baron

BD franco-belge de Jean-Luc Masbou (2020)

Le célèbre baron de Münchhausen est célèbre dans toute la région pour les histoires délirantes dans lesquelles il aime à se mettre en scène. Mais voilà qu'un jour, un colporteur arrive au village et propose aux habitants un livre récemment publié qui raconte... les propres aventures du baron ! Apprenant la nouvelle, le baron découvre alors que sa célébrité a largement dépassé les frontières de ses terres. Mais un livre peut-il vraiment rivaliser avec le talent de conteur qui est le sien ?


Aujourd'hui, s'il y a deux auteurs dont je suis l'actualité plus que tous les autres, c'est Alain Ayroles et Jean-Luc Masbou, qui ont produit le plus grand chef-d'oeuvre de la BD contemporaine à mes yeux, avec De Cape et de crocs. Alors en attendant leur prochaine collaboration (apparemment, un pastiche humoristique de Macbeth par les deux auteurs serait sur les rails), ils nous offrent de quoi patienter chacun de leur côté.
Après le chef-d'oeuvre Les Indes fourbes l'année d'avant, c'est donc à Jean-Luc Masbou d'occuper le devant de la scène, avec sa première oeuvre en solo. Et comme on était en droit de l'espérer, c'est un vrai bijou !


Visuellement, déjà, on renoue avec le style De Cape et de Crocs dans l'intrigue principale, qui met en scène le fameux baron de Münchhausen dans la réalité (puisqu'il s'agit d'un personnage réellement historique). Mais à chaque fois que le baron raconte une histoire, Jean-Luc Masbou s'envole dans un style graphique différent, ce qui donne une excellente dynamique au récit, car on se demande toujours, en plus de savoir ce que va raconter la prochaine histoire, quel style l'auteur aura choisi pour la mettre en scène.


Le récit, lui, est très habilement construit sur une excellente mise en abyme, montrant le fameux baron de Münchhausen, habitué à raconter ses histoires fantaisistes, qui voit ces histoires lui revenir comme il ne s'y attendait pas, sous forme de livre. Cela permet bien sûr à Masbou d'introduire une réflexion fine et subtile sur la différence entre une histoire orale et une histoire écrite, et surtout, de rendre un hommage puissant à tous les raconteurs d'histoire de par le monde.
L'auteur nous fait entrer dans un monde imaginaire qui, lui-même, nous ouvre la voie à un nombre illimité d'autres mondes. C'est drôle, léger et envoûtant, on veut toujours en savoir plus, au point qu'on ne soucie plus guère de voir avancer l'intrigue (le récit-cadre faisant du sur-place pendant la majorité de la bande dessinée).


Seul petit bémol à mes yeux, qui m'empêche d'atteindre la note maximale : alors que l'auteur nous dévoile tout le potentiel émotionnel de son récit, il ne s'en sert jamais tout-à-fait. J'aurais aimé que la fin m'émeuve davantage, tant il y avait quelque chose à faire autour de ce personnage recherchant une simplicité que son rang semble lui interdire et s'évadant pour cela dans des histoires fantasmées.
En fait, il y a un élément que je trouve malheureusement sacrifié par Masbou alors que, pour ma part, je l'aurais mis au coeur du climax : il s'agit de la relation entre le baron et sa femme. Celle-ci prend un tour inattendu à un moment, mais aurait pu être davantage développée. En montrant le scepticisme et le mépris de la femme du baron pour ses histoires, Masbou aurait pu construire tout son climax autour d'elle et terminer sa BD sur le plus grand succès du baron : acquérir sa femme à la magie qu'il cherche à propager autour de lui, et qu'il aurait enfin réussi à introduire dans son foyer. Mais Masbou a choisi d'emprunter une autre voie, et il le fait tout de même très intelligemment. Simplement, je trouve que le personnage de la femme du baron n'est pas traité aussi bien qu'il aurait pu l'être et gêne parfois un peu l'intrigue.


Enfin, je ne veux pas terminer cette critique sur cette note (très) légèrement négative, car Le Baron n'a rien d'une déception. C'est une bande dessinée très généreuse, tant envers son lecteur qu'envers tous ceux qui inventent, qui créent, qui écrivent ou qui dessinent des histoires. L'hommage au pouvoir de l'imagination et à tous les hommes qui s'en servent pour faire rêver les autres et rendre le monde meilleur (ou essayer) est touchant, poétique et s'achève sur une dernière page assez laconique et pourtant pleine de sens.


En tous cas, Masbou relit de manière très intelligente l'univers fascinant du baron de Münchhausen (avec un joli pied-de-nez au récit sans doute le plus emblématique du baron), et donne ainsi clairement de découvrir plus en détail cet univers. Mission accomplie !

Tonto
8
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Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Un an dans la vie d'un bédéphile : 2020 et Les meilleures BD de 2020

Créée

le 14 avr. 2021

Critique lue 111 fois

6 j'aime

Tonto

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