Second tome de Monsieur Mardi-Gras Descendres et si l’intrigue avance doucement, dévoilant certaines ombres dans les rouages narratifs de l’ensemble, l’auteur préserve intelligemment le mystère sur ce qu’il est en train de nous raconter. Aux confins du système, le soleil n’est qu’une tête d’épingle et l’album garde



l’ambiance sombre, noir profond,



de ce purgatoire sans lumière. L’auteur construit son récit en se contentant de divulguer le simple minimum nécessaire à la compréhension globale : ce qu’il faut pour tenter de distinguer les protagonistes et d’échafauder activement les imbrications de l’aventure.


Si le scénario reste trouble au lecteur, l’artiste fait le dessin explicite. Nourrit d’expressivité les milliers de squelettes qui errent par ce monde d’oubli : très belle et très dense séquence d’ouverture, beuverie au mercure, alcool mauvais et infiltration milicienne. Les décors sont toujours alambiqués, métaux sur sable,



poussières de réminiscences d’une civilisation perdue.



Dans le cloaque lugubre où les morts se résignent à une éternité d’ennui, Mardi-Gras ne trouve pas sa place et, pour dépasser l’ignorance dans laquelle le système tente de le maintenir, entreprend de cartographier les lieux malgré l’interdiction. Enlevé par la résistance silencieuse, le trépassé s’embarque alors dans un voyage plus périlleux qu’il n’y paraît, au côté d’un sinistre brigand manipulateur mais doué d’une détermination et d’une confiance sans faille.



Le seul qui peut résoudre l’énigme de ce monde… si tant est qu’il


y en ait une.



Derrière le désir de compréhension de Mardi-Gras, d’obscures associations d’intérêts mystérieux œuvrent aux ficelles : l’ordre établi autant que la résistance cherchent depuis longtemps à percer les secrets de ce purgatoire spatial extrême et comptent sur la future carte du fugitif pour y parvenir. Leurs motivations et leurs intentions restent encore indéfinies mais le lecteur imagine facilement que si les promesses d’émancipation animent la volonté des uns, c’est l’idée opposée de contrôle accru sur le territoire et ses habitants désœuvrés qui est l’objectif principal des autres, la préservation d’un système millénaire pour le confort sans se poser la question de son efficacité ou de son obsolescence.


Jusqu’à ce final de l’épisode qui suggère qu’une seule et même personne tient les rênes…
Qui, plutôt que d’apporter l’esquisse de réponses, pose alors de nouvelles questions.


Éric Liberge développe les parts sombres d’un récit lugubre pour entretenir l’ignorance de son personnage autant que de ses lecteurs, où les lueurs d’espoir pour l’homme sont faibles, lointaines et impalpables. Dresse petit à petit



la carte des enfers



et l’allégorie de l’absurdité des administrations prend alors une dimension particulière, comme si l’artiste nous susurrait combien vaine est l’idée d’un quelconque sens à la vie. En continuant de disséminer les rares indices obscurs qui éclaireraient le propos, Le Télescope de Charon situe certes un peu mieux le décor de l’intrigue mais la retenue scénaristique garde toujours épais le mystère du récit.
Avec un art du dialogue énigmatique, un trait fin, précis et puissamment évocateur, et une maîtrise absolue du suspense dans une narration qui ne peut s’éclairer qu’une fois achevée.

Matthieu_Marsan-Bach
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le 2 févr. 2017

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