Comme attendu derrière la complexe structure d’un récit ésotérique, le dernier tome vient livrer les ultimes clefs de voûte du chemin de croix de Monsieur Mardi-Gras Descendres et rendent au purgatoire sa fonction première d’expiation avant l’épreuve de la réincarnation dans un cercle vicieux et éternel, supplice inaltérable de Sisyphe. Éric Liberge clôt son cycle obscur dans



l’illumination imperceptible de nos âmes aux couleurs multiples,



mirage au regard de l’homme décharné sous l’incertitude d’une existence de non-sens.


Il faut commencer par souligner l’impressionnant travail graphique de l’artiste : la complexité du récit se retrouve dans la forme. Si effectivement tout s’éclaire des imbrications sous-tendues de l’aventure extraordinaire de ce mort rebelle par soif de compréhension, l’atmosphère en fait de même et va jusqu’à prendre couleurs donc, pastels d’abord, pour renforcer l’évolution presque insensible de ce monde moribond qui doucement se réveille aux sensations passées. En quelques mots : les milliards de condamnés, crânes poussiéreux d’anthracite, retrouvent leurs vibrantes et fragiles couleurs éphémères d’arc-en-ciel. La conscience est douloureuse évidemment, oscille entre reniement et acceptation sans préhension concrète. Les souvenirs déchirent les chairs au plus sûr de leur absence.
La compréhension n’est pas non plus à la portée immédiate de chacun et la superposition de trames, ces gravures en surimpression, vient à son tour appuyer le cloaque intérieur de l’esprit confus et



l’indispensable effort intellectuel que demande la vie.



Pour ce qui est du récit, Éric Liberge continue de dénoncer les mysticismes de la foi chrétienne, ces siècles d’obscurantisme entretenu et, cerise sur le poison, la supercherie du purgatoire, création humaine destinée à noyer l’appréhension des foules crédules dans un espoir de rémission et d’éternité qui dit la nécessité d’une soumission terrestre au royaume invisible des cieux. Mais au-delà de cette généralité, l’auteur vient aussi asséner un grand coup sur la conscience de l’homme en rappelant que



l’enfer de l’existence, c’est soi-même :




Tu as traversé la moitié des égouts de ton âme, voyageur, et par


miracle Tu tiens encore debout.



C’est en affrontant le champ infertile de son âme damnée par ses pêchés passés encore inexpiés que Mardi-Gras saisit l’urgence de retourner à la chair sans pourtant saisir tout le poids sur ses omoplates fragiles de cette réincarnation ardemment désirée. Ce champ de poussières et de désœuvrement, c’est l’âme à nue qui se regarde sans complaisance : la sécheresse incarnée de l’abandon égoïste et égotiste de l’homme sur Terre, enferré dans un point de vue limité à son individu, incapable de comprendre l’autre, au sens stricte du terme – de prendre l’autre avec lui. 

Frère, semblable, miroir.


Dans un final qui concentre en une galerie de portraits innombrables, combustions explosives instantanées et colorées, vives, du repentir, l’artiste dépasse l’état de ses expériences squelettiques et expose



la simplicité humiliante et indispensable du vivre-ensemble contre les ardeurs irrépressibles de l’instinct individualiste.



Le Vaccin de Résurrection c’est la conscience des autres à travers soi, le dépassement compassionnel de son propre horizon pour l’incarnation sensible des fluctuations que l’on intercède à l’autre sans y réfléchir, sans même y revenir jamais. Du monde des morts, l’auteur explique le vivant et dénonce l’atrocité de l’existence terrestre dévolue à la souffrance quand les possibilités de partage et de compréhension sont niées. Monsieur Mardi-Gras Descendres est une œuvre complexe qui exige du lecteur un abandon total aux tréfonds sombres et lugubres de son âme obscure, un chef-d’œuvre du neuvième art tant par la grâce surchargée et pourtant désincarnée de sa forme que dans les méandres insondables de l’humain qu’il explore, et qui dévoile, humblement,



les lueurs conscientes qui nous distinguent de l’animal,



physiquement absent certes, mais profondément ancré pourtant dans l’adn osseux de nos frêles squelettes.

Matthieu_Marsan-Bach
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le 6 févr. 2017

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