Les 400 coups de Yoshio [critique des 4 premiers volumes]

Pour parler de ce manga, j’ai choisi de mettre l’accent sur les différents niveaux de lecture dont il peut faire l'objet. Cela m’est apparu comme un bon compromis pour aborder plusieurs facettes du manga et l’analyser sans trop rentrer dans les détails, pour que le plaisir de lecture demeure intact.


La trique c’est chic


Le premier niveau est celui de l’humour. Le Vagabond de Tokyo nous donne à voir Yoshio Hori, débarqué à Tokyo de sa campagne natale, qui vivote à la résidence Dokudami, ramassis de paumés plus ou moins bizarres, paysage parfois brouillé par l’arrivée d’une jeune fille ou d’un jeune couple.


On le voit alors, au fil des pages et des histoires, faire différents boulots, flemmarder chez lui quand il fait trop chaud ou qu’il n’a pas envie de travailler, se faire payer des coups à boire ou aux bains publics, se faire arnaquer par des amis ou des filles qui débarquent de nulle part, prendre des coups et finir une soirée à dormir à la belle étoile, les idées vagues, le taux d’alcoolémie élevé et la tête pas loin du vomi qu’il a régurgité.


Travailler (quand il le faut), boire et manger : il manque un verbe pour compléter le portrait de Yoshio : serrer des femmes. Une partie de son temps (et de ses rêves) est dédiée à diverses opérations de séduction et de rapprochement avec la gente féminine. Le plus souvent c’est un échec. Il faut dire que le personnage principal ne possède pas les talents d’un gentleman et aborde souvent les filles en ayant quelques coups dans le nez… D’où des résultats catastrophiques et un personnage célibataire endurci. Cela fait partie du comique de répétition de la série, qui voit Yoshio souvent la main dans le caleçon (s’il est habillé), à se soulager. Chez lui ou à l’extérieur : il en faut peu pour être heureux.


Pour autant, ce premier niveau peut se voir complété, en trouvant dans Le Vagabond de Tokyo diverses ressources montrant l’autre côté du miroir de Tokyo – et, plus largement du Japon – de la fin des années 1970 aux années 1980 (pour le moment). Si ce sont des années de croissance soutenue, tout le monde n’a pas pour autant sa part du gâteau. Le manga de Takashi Fukutani nous montre la vie dans les marges, comment ceux qui ne sont pas les « dominants » s’en sortent, vivent au jour le jour… Ont-ils leur place à Tokyo ? Ont-ils seulement une place ?


Les années passant, on voit ainsi Yoshio (22 ans au départ de l’aventure) penser mariage (certes, la motivation principale chez lui est de se marier pour « baiser gratis »), retourner auprès de sa famille, faire le bilan (calmement), se questionner...


La galère


Une fois lu les deux premiers tomes qui permettent de présenter le personnage (et l’auteur, qui est pas mal présent dans le premier volume) ses relations et l’environnement où Yoshio gravite, les tomes qui suivent ont un ton plus grave, même si l’humour demeure. Le Vagabond de Tokyo fait rire (il y a des scènes qui sont vraiment mémorables), mais il interroge aussi, sur la place réservée à ceux qui ont du mal à pleinement s’intégrer, à ce que la société fait (ou ne fait pas) pour eux, quels sont les filets de sécurité présents (ou absents)…


On peut alors regarder les tomes et les actes de Yoshio sous un autre jour. La masturbation systématique peut être un signe de misère sexuelle, ses rêves (certaines histoires commencent d’ailleurs avec le héros qui dort et nous, lecteurs, qui pénétrons son rêve) – où il est ce qu’il n’est pas en réalité – et son état d’ébriété une forme d’évasion. Yoshio c’est aussi l’homme qui voulait vivre sa vie, aussi imparfaite soit-elle (cf. la préface de Joseph Ghosn dans le tome 3).


Dans un dernier temps, on peut aussi voir la série comme une œuvre où Takashi Fukutani nous parle de lui. Yoshio n’est pas sa réplique exacte, mais le mangaka s’est inspiré de son existence pour donner vie à son personnage. Si Takashi Fukutani est très présent dans le tome 1 (outre sa biographie en fin de tome, différentes histoires courtes le mettent en scène, notamment sa rencontre avec Yoshio) et moins par la suite, le quatrième mur n’est pas sauvé pour autant car, que ce soit à travers les indications du narrateur comme à travers certains propos de Yoshio, le statut de manga de l’histoire se voit rappelé de temps en temps, toujours sous couvert d’humour.


Compiler pour bonifier


Un mot à propos de l’édition : la série originale fait plus d’une trentaine de tomes. Stéphane Duval note, au début du tome 2, que la série est inégale, l’auteur ayant, au fil du temps, répété certains gags, bouclé plus ou moins bien les dessins (les effets du rythme de publication sur le manga ne sont pas nouveaux). C’est pour cela que Le Vagabond de Tokyo se présente sous la forme d’un best-of, une compilation d’histoires sélectionnées par l’éditeur français.


Les histoires ne sont pas toujours proposées dans un ordre chronologique mais la compilation est bien menée, on n’est jamais perdu dans l’intrigue et je trouve que les histoires ainsi agencées s’enchaînent remarquablement bien.


Anti-héros un jour, anti-héros toujours


Contrairement aux héros habituels montés à la capitale pour réussir, et qui y parviennent, Yoshio n’y arrive pas. Il a une existence passablement compliquée, quand bien même il essaye de la simplifier au maximum. Véritable trublion, arnaqueur parfois, arnaqué souvent, il touche un peu à tout, déambule dans les rues de Tokyo à la recherche d’une petite amie, d’un coup à boire ou d’un métier.


Si la construction du récit et ce qui arrive au personnage restent souvent dans des sentiers balisés, les histoires retenues ont toujours un petit plus qui les rend savoureuses, par la chute (où le héros perd, en une case, ce qu’il avait gagné), par la poisse qui colle aux basques du personnage et par les trombines impayables de Yoshio ou de ceux qui l’entourent.


Le Vagabond de Tokyo est un excellent manga, dont le trait n’a aucunement vieilli, qui nous offre des scènes de vie drôles, touchantes, avec un personnage principal agité dans tous les sens par son auteur mais qui plie sans jamais rompre. Cela fait plaisir de pouvoir le découvrir en français.


Version développée de cette critique à retrouver par ici.

Anvil
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le 11 juil. 2016

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